L’état d’urgence a été proclamé le 14 novembre 2015, fragilisant les libertés publiques. Nous ne pouvons accepter que les dérives qui ont acompagné sa mise en place soient considérées comme des dégats collatéraux inévitables, et nous demandons que cet état d’exception ne soit pas pérennisé.
Trois organisations des Alpes-Maritimes, la Ligue des droits de l’Homme, le Syndicat des Avocats de France et le Syndicat de la Magistrature, ont décidé de créer un Observatoire de l’état d’urgence du département des Alpes-Maritimes.
Communiqué — LDH, SAF, SM
Observatoire de l’état d’urgence du département des Alpes-Maritimes
Après les attentats de novembre 2015, déclarer l’état d’urgence était compréhensible. Trois mois de mise en pratique de cet état d’exception permettent de mesurer les atteintes susceptibles d’être portées aux libertés publiques et les risque de dérives auxquelles sa pérennisation expose.
Des rassemblements et des manifestations sur des thèmes très éloignés des causes de l’état d’urgence ont été interdits. Par exemple, au moment de la COP 21 des militants écologistes ou altermondialistes ont été perquisitionnés ou même assignés temporairement à résidence.
Plus de trois mille perquisitions administratives ont été pratiquées. Le plus souvent effectuées en pleine nuit, elles ont été fréquemment assorties d’un usage disproportionné de la force, indigne d’un état de droit.
Les renseignements justifiant la mise en œuvre de ces mesures se sont dans certains cas révélés totalement erronés ou très fragiles.
Ainsi, le 19 novembre 2015, à Nice, la police perquisitionnait un appartement sur la base d’informations erronées. Selon Nice Matin : « Les témoignages des riverains et les traces d’impact au niveau des serrures témoignent de traces de tirs. Mais selon la police, aucune arme à feu n’a été utilisée. Des éclats ont néanmoins été projetés dans la chambre voisine, où dormaient trois enfants. Une fillette a été blessée au cou et à l’oreille. »
Le 22 janvier 2015, le Conseil d’Etat suspendait l’assignation à résidence d’un homme accusé à tort notamment d’avoir fait des repérages autour du domicile d’un membre de l’équipe de Charlie Hebdo. Il constatait qu’ « Aucun élément suffisamment circonstancié produit par le ministre de l’intérieur ne permettait de justifier » que le suspect « appartiendrait à la mouvance islamiste radicale ».
Attentatoires aux libertés publiques ces mesures ne font pas la preuve de leur efficacité. Seules cinq enquêtes concernant des activités terroristes auraient été ouvertes à la suite de perquisitions administratives.
Les conditions d’exécution de ces perquisitions peuvent au contraire fragiliser les poursuites judiciaires. Pour cette raison, le 13 janvier 2015, le tribunal correctionnel de Grenoble a relaxé des personnes chez qui des stupéfiants, une arme et des munitions avaient été trouvés.
Jean-Jacques Urvoas, alors le co-rapporteur de la commission parlementaire de contrôle de l’état d’urgence, devenu depuis Garde des Sceaux, soulignait le 13 janvier 2015 que « la législation d’exception ne doit pas être une alternative aux temps normaux. Elle doit être limitée ». Il ajoutait : « On sent un essoufflement. Partout on nous a dit que l’essentiel a été fait. » .
Pourtant, la prolongation de l’état d’urgence est annoncée. Les cas litigieux vont se multiplier.
Le projet de loi « renforçant la lutte contre le crime organisé et son financement, l’efficacité et les garanties de la procédure pénale » prévoit la pérennisation au delà de l’état d’urgence de mesures juridiques d’exception. Il engage un glissement important des pouvoirs en faveur du pouvoir exécutif, au détriment des garanties qu’offre le contrôle a priori des mesures restrictives de libertés par un juge indépendant.
Dans ce contexte de fragilisation des garanties des libertés publiques et de la séparation des pouvoirs, les sections locales de la Ligue des Droits de l’Homme, du Syndicat des Avocats de France et du Syndicat de la Magistrature, ont décidé de constituer un observatoire départemental de l’état d’urgence.
L’observatoire sera à la disposition des personnes ayant subi dans le département des Alpes-Maritimes, des perquisitions ou des assignations à résidence ou toutes autres mesures restrictives de liberté de liberté en relation avec l’état d’urgence, afin de recueillir leur témoignage. Il peut être contacté au numéro de téléphone et à l’adresse internet qui suivent :
téléphone : 07 81 40 01 18 — courriel : obsetaturgence06@gmail.com
Il procédera aussi au recensement des restrictions au droit de rassemblement ou de manifester qui auraient été justifiées, dans le département des Alpes-Maritimes, par l’état d’urgence.
Dans son édition du 26 janvier 2016, le quotidien Var Matin rapporte une affaire qui ne fait que confirmer les craintes et les mises en garde de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) à propos de la prolongation de l’état d’urgence
[1]. De quoi s’agit-il ? Le 20 janvier, un jeune majeur de 19 ans est arrêté à Toulon en possession de 21 gr de résine de cannabis. Son avocate met en évidence que le Parquet a été informé de l’arrestation hors délais et que, par conséquent, elle réclame la nullité de la garde à vue.
Jusque là, rien de très original, mais c’est la réponse du Parquet qui doit nous alerter : il demande la validation de la garde à vue en arguant de l’état d’urgence ! La présidente du tribunal, fort heureusement, prononcera la nullité de la garde à vue [2].
Deux enseignements peuvent être tirés à partir de ce fait divers :
Il est donc urgent de remettre le juge judiciaire à la place qui est normalement la sienne : c’est à lui de décider d’une perquisition ou d’une assignation à résidence et pas au préfet.
[1] Le lien sur le site de Var Matin ne donne accès qu’au début de cet article : http://www.varmatin.com/faits-diver....
[2] Ce qui, d’ailleurs, n’empêchera pas la condamnation du prévenu à cinq mois de prison avec sursis.
[3] Voir cet article paru le 22 janvier dans le Dauphiné libéré