rapport sur l’état des droits de l’Homme en France en 2005


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date de publication : vendredi 14 avril 2006
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Dans son rapport pour 2005, la LDH dénonce une régression et accuse le ministre de l’Intérieur de se livrer à une "dérive sécuritaire".


[Le Monde, 14 avril 2006]

Dans son rapport annuel présenté jeudi 13 avril
 [1], la Ligue des droits de l’homme (LDH) met en garde contre "la régression" des droits en France et des "dérives des politiques publiques". A un an de l’élection présidentielle, le rapport signale la "dérive sécuritaire" attribuée au ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, dont la LDH dit craindre les ambitions politiques pour 2007.

"Le changement de gouvernement intervenu en juin a aggravé les dérives sécuritaires et xénophobes qui tentent trop de dirigeants et de forces politiques dans ce pays", écrit le président de la Ligue, Jean-Pierre Dubois, soulignant que "des hauts responsables du gouvernement, comme Sarkozy" ont tenu "des propos que même Le Pen n’aurait pas prononcés". "Le retour au ministère de l’intérieur d’un candidat permanent à l’élection présidentielle (...) a accéléré l’application d’orientations inacceptables aussi bien sur le plan de la politique de l’immigration que dans la mise en scène de la gestion policière des quartiers populaires et des banlieues", poursuit-il [2].

"La société française sous la mainmise de la police"

La crise dans les banlieues en novembre 2005 est l’un des révélateurs majeurs de ces "dérives", selon la LDH. A la suite de ces violences urbaines, "des peines très lourdes" ont été infligées, alors que 60 % des prévenus n’avaient jamais été condamnés : "2 787 personnes interpellées, plus de 600 incarcérées", dénonce la LDH. Les sanctions ont concerné surtout des jeunes de 16 à 25 ans issus de l’immigration, souligne la Ligue [3].

Outre la "violence judiciaire", "chacun peut apprécier la violence symbolique du recours non nécessaire à l’état d’urgence, c’est-à-dire à une forme d’état d’exception qui renvoie à la guerre d’Algérie et à l’affaire d’Ouvéa", poursuit la LDH. Le "tout sécuritaire" se lit aussi dans les réformes du gouvernement. La Ligue cite le programme "Identité nationale électronique et sécurisée" (INES), qui doit être présenté au Parlement en juin. Il équivaut, selon elle, à la "mise en place d’un outil de surveillance généralisée de toute la population et place la société française sous la mainmise de la police comme jamais auparavant".

59 241 personnes incarcérées, dont 21 033 présumées innocentes

La justice contribue à cette évolution, estime la LDH : au 1er décembre 2005, sur 59 241 personnes incarcérées en France, 21 033 étaient présumés innocentes, en détention provisoire [4]. Le nombre de places dans les prisons est passé à 51 195 contre 49 601 en 2004, et la population des mineurs détenus à 808 contre 637, précise le rapport. Premières victimes de cette politique : les étrangers et les sans-papiers, dont "la traque a pris une ampleur et un rythme réellement sans précédent", estime la LDH.

"Nous réagissons à une actualité particulièrement forte au cours de laquelle Sarkozy a voulu, par exemple, pour des problèmes de papiers, chasser des enfants scolarisés de notre pays", a expliqué le président de la LDH. "Depuis des années, on assiste à une conjugaison des discriminations sociales et à une hausse des tensions liées à ces discriminations avec un monde politique incroyablement coupé du monde réel, et une aggravation de la logique sécuritaire dans les banlieues", a-t-il ajouté. "A chaque fois, on a l’impression d’assister à une diminution des libertés, avec les questions de police, justice, d’inégalités sociales et d’absence de réponse politique à des problèmes sociaux", a-t-il martelé.

Pour "un droit universel au logement"

Dans son rapport, la LDH déplore aussi la "déstabilisation du système de protection sociale" et le manque de réformes adaptées pour lutter contre le chômage. Elle regrette notamment la création du contrat nouvelles embauches (CNE), qui remet en cause le contrat à durée indéterminée, "seul statut juridique réellement protecteur du salarié".

La Ligue s’inquiète, par ailleurs, de l’extension de la précarisation en général en France. A commencer par le "déficit structurel de logements" : plus de trois millions de sans-logis et mal-logés. Il faudrait construire environ 300 000 logements de plus par an, selon elle. La Ligue a demandé mercredi un "véritable droit universel au logement", regrettant que le plan triennal pour l’hébergement des SDF annoncé lundi par la ministre déléguée à la cohésion sociale, Catherine Vautrin, ne l’assure pas. "ll est regrettable que les propositions du Haut Comité au logement des personnes défavorisées n’aient pas été retenues pour assurer un véritable droit universel au logement", a déclaré la LDH.

Rappelant qu’il y a "87 000" sans-domicile-fixe en France, la LDH a affirmé que "l’urgence de remédier à une situation inacceptable dans un pays riche aurait mérité, d’une part, l’ouverture immédiate toute l’année de structures d’hébergements en nombre suffisant permettant de ne plus laisser personne à la rue, d’autre part, l’orientation rapide de tous les SDF vers des logements pérennes avec l’accompagnement social adapté à chaque cas".

Avec AFP

Notes

[1L’Etat des droits de l’Homme en France, avec un dossier Les droits des femmes (éd. La Découverte, 6,90 euros).
Les notes ci-dessous ont été ajoutées par la LDH-Toulon.

[2Interrogé sur le rapport 2005 de la Ligue des droits de l’Homme, qui l’accuse notamment de "dérive sécuritaire", le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, a sèchement répliqué jeudi 13 avril. "Je suis mis en cause ? Il (le président de la LDH) aurait mieux fait de se taire. La polémique de m’intéresse pas", a-t-il déclaré lors d’un déplacement dans le Nord.
"Ce ne sont pas des questions, ce sont des insultes", a-t-il encore répondu à une question détaillant les accusations de la LDH.

[3Les émeutes urbaines de 2005, lors desquelles des mots comme « Kärcher », « racaille » ont été prononcés, ont « jeté de l’huile sur le feu » d’une profonde crise sociale, estime Jean-Pierre Dubois. « Ce ne sont pas des dérapages verbaux mais une vraie stratégie calculée du ministre de l’Intérieur. Il est en train de construire les conditions du ralliement d’une partie de l’électorat de l’extrême droite. »

[4Me Henri Leclerc rappelle les propos du président de la République lors du 14 juillet 2000 : « Nous avons 51 000 prisonniers, c’est un nombre excessif, il faut diminuer. »


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