Un bilan des années Sarko 2002-2007 : cinq années d’hyper-activisme législatif sécuritaire et de discours répressifs, au cours desquelles la forte progression du nombre des « mis en cause » par la police ou la gendarmerie n’ont empêché ni l’augmentation des violences aux personnes (+ 5,5 % en un an et + 43 % en cinq ans), ni le développement de la violence dans les banlieues ...
Le langage sécuritaire et la répression étaient de toute évidence de mauvaises réponses au problème de la délinquance. D’ailleurs, ces lois sécuritaires n’ont pas pour but d’être efficaces mais de le faire croire [1].
C’est aux causes profondes de la délinquance qu’il aurait fallu s’attaquer : la pauvreté, le mal-logement, le chômage, les discriminations et le manque de moyens consacrés à une véritable prévention (travailleurs sociaux, enseignants,... ).
Depuis 2002, nous avons eu droit à dix lois sécuritaires ou comportant des modifications de nature sécuritaire.
En tout, dix lois promulguées en quatre ans ! Délinquants, rendez-vous, vous êtes cernés ! Hélas, trois fois hélas, les derniers chiffres de la délinquance ne sont pas à la hauteur. Si une baisse globale du nombre de « faits constatés » est observée depuis 2002, les récentes données montrent une augmentation continue des violences aux personnes. C’est à n’y rien comprendre !
Heureusement, Sarkozy veille. Toujours sur la brèche, le ministre de l’Intérieur a eu une idée fulgurante : une nouvelle loi. La onzième, celle qui est consacrée à « la prévention de la délinquance » que le parlement va prochainement adopter. Voici le texte qui manquait et qui va tout changer. Des peines encore alourdies, des procédures contre les mineurs encore accélérées. En résumé, on va taper plus vite, plus fort, plus tôt. Tout ira mieux...
L’électeur du Front national doit être ébloui. Et l’électeur de l’UMP rassuré : si les résultats promis ne sont pas là, c’est qu’elle manquait, cette onzième loi.Louis-Marie Horeau, Le Canard enchaîné du 22 novembre 2006
Projet de loi de prévention de la délinquance [2] : le maire devient shérif. Le champ du sécuritaire s’étend au delà du judiciaire : au secteur social, psychiatrique et éducatif dont l’objectif devient la sécurité. Le secret professionnel devient partagé ; le maire aura le pouvoir de suspendre les allocations familiales.
Un entretien de Sebastian Roché [3] avec Marie-France Etchegoin, Sylvain Courage, Olivier Toscer, publié dans Le Nouvel Observateur n° 2201 du jeudi 11 janvier 2007.
Sebastian Roché. - Sans jugement idéologique, la réponse est globalement négative. J’examine les faits et les chiffres. Je compare les promesses qui ont été faites et celles qui ont été tenues. En cinq ans, Nicolas Sarkozy n’a pas réussi à stabiliser, ni même à faire baisser, les violences les plus graves : violences urbaines, violences aux personnes, trafics de drogues dures.
S. Roché. - Le pourcentage global est exact, mais il n’exprime qu’une partie de la réalité. Car certains crimes et délits ne sont pas pris en compte par les statistiques officielles de la délinquance. Nous y reviendrons plus loin. Examinons d’abord les chiffres du ministre. Qu’est-ce qui baisse depuis quelques années ? Les atteintes aux biens. Ou pour parler plus simplement les vols, qui représentent aujourd’hui près des trois quarts des quelque 3,3 millions de faits de délinquance recensés par la police - le reste se partage entre les atteintes aux personnes et les infractions économiques et financières. Nul besoin d’être un grand statisticien pour comprendre que si le « poste vol » - de loin le plus important - diminue, alors le chiffre global de la délinquance décroît aussi. Mais cette baisse globale de 9% cache des hausses.
S. Roché. - Evidemment. Cependant, la décrue observée aujourd’hui en France se produit dans toute l’Europe. Partout, il y a moins de vols d’automobiles ou dans les magasins. En France comme dans des pays où Nicolas Sarkozy ne dirige pas la police ! Nous sommes dans la moyenne, sans plus, par rapport à nos voisins.
S. Roché. - Ni avec celle d’aucun autre ministre de l’Intérieur ! Elle est due à l’amélioration des systèmes de protection. Les constructeurs de voiture, par exemple, sensibles aux demandes des consommateurs, ont développé les alarmes, les coupe-circuit ou les serrures renforcées. Et les hypermarchés se sont équipés de vidéosurveillance ou de portiques.
S. Roché. - Reportons-nous aux chiffres du ministère de l’Intérieur. En mai 2002, quelques jours après l’arrivée de Nicolas Sarkozy Place-Beauvau, selon la définition de l’OND (Observatoire national de la Délinquance), on compte 372 263 atteintes à l’intégrité physique. A la fin de l’année 2006, on en dénombre 432 441. Cela représente 60 178 faits de violence supplémentaires, soit une hausse de 16%
[Le graphique suivant illustre l’affirmation précédente de Sebastian Roché : il met en évidence l’évolution du nombre de violences physiques « non crapuleuses » – c’est à dire dont l’objet n’est pas le vol – enregistrées entre 1996 et 2006 [4].]
S. Roché. - C’est un chiffre à replacer dans une évolution générale. A l’inverse des vols, depuis les années 1980 les atteintes aux personnes augmentent de façon continue dans d’autres pays d’Europe. Et comme pour les atteintes aux biens, les explications ne sont pas à rechercher en priorité dans l’action ou l’inaction de la police. Elles dépendent en grande partie des conditions socio-économiques ou familiales. On sait notamment que la précarité favorise la frustration et l’agression... En France, en vingt ans, ce type de violence a été quasiment multiplié par trois. C’est un mouvement de fond qui ne dépend pas de la couleur politique du ministre de l’Intérieur.
S. Roché. - On observe des variations à la marge. Des hausses plus ou moins rapides sous l’effet du contexte, mais globalement l’arrivée de Nicolas Sarkozy ne marque aucune amélioration décisive dans la lutte contre les violences. Son bilan est un bilan moyen, qui ressemble à ceux des autres ministres de l’Intérieur. La communication en plus. C’est là qu’est le vrai changement : Nicolas Sarkozy a nommé sans fard l’insécurité et ses ravages. Mais il a aussi voulu croire, ou laissé croire, que la police allait, à elle seule, résoudre ce problème que l’on disait numéro un en 2002. C’est en fait impossible. Aujourd’hui, la déception peut être d’autant plus grande que ce sont les actes graves qui progressent le plus.
S. Roché. - Cette étude repose sur une enquête auprès de personnes qui affirment avoir été victimes et non sur les faits comptabilisés par la police. Au sein même du ministère de l’Intérieur, on s’interroge sur cet écart entre la statistique officielle et la réalité vécue. Mais le ministère ne change rien à ses méthodes de comptage.
S. Roché. - Cet argument est curieux. D’abord, les délits commis pendant ces émeutes n’expliquent pas à eux seuls l’augmentation continue des violences urbaines. Ensuite, Nicolas Sarkozy lui-même n’a cessé de répéter que les émeutiers étaient des « voyous » et des délinquants récidivistes. Et on devrait exclure leurs délits du bilan ?
S. Roché. - Pourtant il s’est comme les autres cassé les dents sur les quartiers difficiles. Contrairement à ses annonces, la police n’a pas porté le fer dans ce que l’on appelle des « zones urbaines sensibles », les ZUS. Dans la plupart de ces zones, les atteintes aux biens et aux personnes les plus graves progressent.
S. Roché. - Une affirmation démentie par les chiffres. Selon les chiffres de l’OND, entre décembre 2005 et novembre 2006 les atteintes aux biens ont progressé de plus de 9% en Seine-Saint-Denis et les atteintes aux personnes de 12%. Chose peu connue, le taux d’homicide y est aussi nettement plus élevé que dans le reste des départements de la région parisienne. Nicolas Sarkozy a mis un coup d’arrêt à la police de proximité – ce modèle très prometteur pas réellement mis en oeuvre par la gauche –, mais ses dispositifs n’ont pas été plus efficaces pour éradiquer les noyaux durs de la délinquance. Les chiffres livrent un paradoxe très éclairant : c’est dans les départements où la délinquance est la moins élevée qu’elle a le plus diminué ces dernières années ! Dans la Creuse (moins 26% entre 2002 et 2005) ou dans l’Ariège (moins 22,5%). En revanche, plus un département est « criminogène », plus la baisse de la délinquance y est faible ! Ainsi, toujours entre 2002 et 2005, elle baisse de moins 0,5% en Seine-Maritime ou de moins 0,1% dans les Bouches-du-Rhône. [...]
S. Roché. - Malheureusement le fait d’interpeller plus d’auteurs ne suffit pas à faire baisser la délinquance ! Exemple : les vols d’automobiles, on l’a dit, ont diminué depuis 2002. Or, sur cette même période, ils sont moins élucidés : on arrête moins de voleurs de voitures. Inversement, les crimes et délits les mieux élucidés sont les atteintes aux personnes, qui sont en constante augmentation. Pour une raison simple : le plus souvent, les victimes voient l’agresseur et peuvent donner des éléments à la police. Malgré cela, les violences continuent à progresser... En fait, Nicolas Sarkozy est resté rivé à un vieux modèle de police datant des années 1960, la « police réactive ». Celle qui intervient après coup. Pour lui, une bonne police est une police qui interpelle beaucoup. Pour cela, il lui a donné des moyens juridiques (de nouvelles lois), des moyensfinanciers (5,6 milliards d’euros en 2002), des moyens, si l’on peut dire, « psychologiques », c’est-à-dire une incitation plus grande à arrêter les délinquants. Ce qu’il appelle la « culture du résultat ». Avec des quotas d’interpellations ou de gardes à vue à réaliser... Mais est-ce qu’une bonne police, c’est une police qui arrête beaucoup d’émeutiers ou qui empêche les émeutes ? Une police qui arrive quand il est trop tard ou qui évite aux gens d’être victimes ? [...]
[Sebastian Roché de conclure :] Nicolas Sarkozy n’a pas donné la priorité aux atteintes aux personnes pourtant au coeur de la mission de police publique, au trafic de drogue, ni tenté de mieux anticiper et amortir les explosions urbaines. Il n’a pas réussi à mettre en place un nouveau système de police pour les quartiers difficiles. Il n’a pas inventé des instruments pour mesurer la qualité du service. Bref, son successeur aura devant lui un énorme chantier : celui de la démocratisation et de la modernisation de la police.
[1] Voir sur ce site : à quoi servent les lois sécuritaires ?.
[2] Il sera adopté à la mi-février.
[3] Sebastian Roché est directeur de recherche au CNRS et enseignant à Sciences-Po Grenoble. Il a publié notamment « Police de proximité. Nos politiques de sécurité » (Seuil, 2005) et « le Frisson de l’émeute. Violences urbaines et banlieues » (Seuil, 2006).
[4] Source : Bulletin annuel 2006 de l’OND.