Jacques Chirac a fait inscrire l’abolition de la peine de mort dans la Constitution le 9 février 2007. Mais l’utilisation systématique par Nicolas Sarkozy de la douleur des victimes risque de conduire aux pires renoncements et à une remise en cause de l’Etat de droit.
COMMUNIQUÉ LDH
Paris, le 3 septembre 2007Le président de la République et la peine de mort : dans un Etat de droit, tout n’est pas possible
Lors d’une interview réalisée par Karl Zéro, le père de la victime d’actes de pédophile commis à Roubaix affirme que le président de la République aurait manifesté son accord quant à l’application de la peine de mort pour des crimes de cette nature.
Rien ne permet de mettre en doute la sincérité des propos tenus mais la gravité de cette révélation implique que le président de la République confirme ou démente formellement et sans ambiguïté ces propos.
La LDH ne peut, en tout état de cause que souligner que les réactions émotionnelles du premier responsable de la République ouvrent la voie à la remise en cause des principes les plus élémentaires.
Utiliser de manière systématique la douleur des victimes pour transformer la législation en une démarche de vengeance et non de justice risque de conduire aux pires renoncements et à une remise en cause de l’Etat de droit.
Le Président s’est-il déclaré en faveur de la peine de mort pour les pédophiles ?
Cela pendait au nez de Nicolas Sarkozy. La victimologie, un de ses principaux créneaux de la rentrée, a eu pour effet boomerang de faire planer, hier, un doute sur certains propos tenus par le chef de l’Etat lors de son entretien à l’Elysée, avec Mustafa Kocakurt, le père d’Enis, l’enfant de 5 ans violé le 15 août à Roubaix par Francis Evrard, un pédophile récidiviste de 61 ans.
« Mains liées ». Dans une interview filmée vendredi dernier [1] pour la future émission de faits divers de Karl Zéro sur 13ème Rue et divulguée hier sur son site Leweb2zero, Mustafa Kocakurt explique à l’animateur de façon calme :
« Pour les pédophiles, moi je suis pour la peine de mort. » Pas pour les braqueurs ou les voleurs, mais pour ceux qui s’attaquent à des enfants. Il sait néanmoins « qu’en France humainement ce n’est pas possible ». Karl Zéro demande au père de l’enfant : « Quand vous avez vu Sarkozy, vous lui avez dit que vous étiez favorable à la peine de mort pour les pédophiles ? » Mustafa Kocakurt acquiesce :
« Oui bien sûr. » L’animateur continue :
« Et que vous a-t-il répondu ? » Le père répond :
« Franchement, étonnamment, il m’a répondu que lui aussi, c’est ce qu’il aurait voulu. » Karl Zéro pousse un peu :
« Il est Président. Alors pourquoi il ne le fait pas ? » Mustafa Kocakurt développe :
« Apparemment même s’il est Président, il a quand même les mains liées parce qu’il n’est pas tout seul à décider. Parce que déjà quand il était ministre, pour ce qui est hôpitaux fermés et des castrages [castrations chimiques, ndlr],
il était d’accord pour ça aussi. Il m’a dit qu’il avait été freiné, qu’il avait fait ces propositions-là, mais qu’ils n’avaient pas voulu et que, maintenant, mon histoire était un tremplin justement pour leur prouver qu’il avait raison. Et maintenant, j’espère qu’il tiendra parole parce qu’il me l’a promis. Et de toutes façons, je ferai en sorte qu’il tienne parole. »
Dans la soirée, l’avocat de Mustafa Kocakurt, Me Riglaire nuançait les propos de son client :
« En fait, il se souvient que Sarkozy lui a dit qu’il comprenait que dans une telle situation un père puisse songer à la peine de mort. Face à la rapidité des questions de Karl Zéro, il n’a pas mesuré l’écart entre ce qu’il disait et ce qui s’est passé à l’Elysée. »
David Martinon, le porte-parole de Nicolas Sarkozy, dément
« catégoriquement cette version, d’ailleurs nous avons un témoin direct de la scène, le conseiller sécurité de l’Elysée. Et notez l’écart entre les propos du père d’Enis à sa sortie de l’entretien et la version d’aujourd’hui. »
Dérapages. L’incident devrait en rester là, mais montre que l’empathie systématique avec les victimes peut provoquer des dérapages. Ainsi, à l’issue d’une rencontre fin août avec les familles des victimes des aides-soignantes assassinées à Pau en 2004, Sarkozy avait lancé son idée de juger les personnes déclarées irresponsables pénalement. Le projet a suscité une vague de protestations, et semble juridiquement difficile à mettre en œuvre.
Après que l’Elysée a démenti « formellement », lundi 3 septembre, que Nicolas Sarkozy soit favorable à la peine de mort pour les pédophiles, l’avocat de Mustafa Kocakurt, père du petit Enis enlevé et violé le mois dernier, tentait mardi de faire retomber la polémique, en relativisant les propos que son client avait attribués au président de la République.
Dans une vidéo mise en ligne dimanche sur le site du journaliste Karl Zéro, le père du petit Enis affirme clairement que Nicolas Sarkozy lui a confié qu’il était favorable, comme lui, à la peine de mort pour les pédophiles. « Même s’il est président, il a les mains liées, et n’est pas tout seul à décider », ajoute-t-il, assurant aussi que M. Sarkozy lui avait pourtant « promis » de mettre en œuvre cette sanction.
Karl Zéro « savait où il voulait en venir »
Mardi, Me Emmanuel Riglaire a appelé Le Monde.fr, qui avait tenté de contacter son client, Mustafa Kocakurt, parce qu’il « tient à apporter » une précision, évoquant « une regrettable polémique ». « En réalité, voici ce dont se souvient aujourd’hui Mustafa Kocakurt, quinze jours après son entrevue à l’Elysée, avec toute l’émotion suscitée par cette affaire, a expliqué Me Riglaire. Quand il dit à Nicolas Sarkozy qu’il avait déjà pensé à la peine de mort dans le cas d’un pédophile récidiviste comme Francis Evrard, Nicolas Sarkozy lui a répondu qu’il respectait le fait qu’un père puisse ressentir ce type de sentiments par moments. Mais Nicolas Sarkozy n’a rien dit d’autre sur ce sujet. »
Comment le père d’Enis a-t-il pu se tromper ainsi ? « Les propos de M. Kocakurt mis en ligne par Karl Zéro sont une réponse trop rapide à une question posée par un interviewer particulier, pas n’importe lequel, qui savait où il voulait en venir, explique l’avocat. C’est pour cela que le père d’Enis, peu habitué des plateaux télé, a été maladroit et a pu déformer les propos de Nicolas Sarkozy. » Le défenseur de M. Kocakurt note « l’habileté » de Karl Zéro, qui saluait lui, lundi, « l’assise » et « le calme » du père d’Enis. Pour Me Riglaire, « il était indécent d’amener quelqu’un dont la vie est aussi chamboulée sur un terrain aussi glissant que la peine de mort ». L’avocat nie enfin que l’Elysée ait contacté le père d’Enis. L’intégralité de l’émission de Karl Zéro sera diffusée le 28 septembre sur la chaîne 13e Rue.
Dans un point de vue publié dans Le Monde du 3 janvier 2007, Nicolas Sarkozy avait écrit après l’exécution de Saddam Hussein : « Je suis opposé à la peine de mort. C’est pour moi une question de principe. Je crois que le monde doit continuer à cheminer vers son abolition totale. »
[1] Faits Zéro, le 28 septembre à 23 h 30 sur 13ème Rue.