Nicolas Sarkozy et l’effet Barnum


article de la rubrique démocratie > Sarkozy le manipulateur
date de publication : lundi 27 août 2007
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Il n’existe pas de meilleur exemple d’utilisation politique de l’effet Barnum que la déclaration de Nicolas Sarkozy le 20 août dernier : « Quand je me suis retrouvé devant la famille d’Enis, je me suis dit : “et si j’avais été à leur place ?”  », suivie de l’affirmation lapidaire : «  Le premier des droits à défendre, c’est le droit de la victime. »

Mais, au fait, savez-vous ce qu’est l’effet Barnum ?


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Phineas Taylor Barnum

Faites le test suivant

  • 1 - Commencez par lire attentivement le texte suivant :

Vous avez besoin d’être aimé et admiré, et pourtant vous êtes critique avec vous-même.
Vous avez certes des points faibles dans votre personnalité, mais vous savez généralement les compenser.
Vous avez un potentiel considérable que vous n’avez pas tourné à votre avantage.
À l’extérieur vous êtes discipliné et vous savez vous contrôler, mais à l’intérieur vous tendez à être préoccupé et pas très sûr de vous-même. Parfois vous vous demandez sérieusement si vous avez pris la bonne décision ou fait ce qu’il fallait.
Vous préférez une certaine dose de changement et de variété, et devenez insatisfait si on vous entoure de restrictions et de limitations.
Vous vous flattez d’être un esprit indépendant ; et vous n’acceptez l’opinion d’autrui que dûment démontrée. Mais vous avez trouvé qu’il était maladroit de se révéler trop facilement aux autres. Par moment vous êtes très extraverti, bavard et sociable, tandis qu’à d’autres moments vous êtes introverti, circonspect, et reservé.
Certaines de vos aspirations tendent à être assez irréalistes.

  • 2 - Pensez-vous que ce texte s’applique à votre propre personnalité ? Pour essayer de préciser votre réponse, nous vous proposons de lui attribuer une note entre 0 et 5, « 5 » si le texte correspond parfaitement à votre personnalité, « 4 » si la correspondance est bonne, ... et « 0 » s’il ne correspond absolument pas.

L’effet Barnum

En 1948, le psychologue Bertram Forer a réalisé l’expérience suivante : il a distribué ce texte (ou un texte analogue) à ses étudiants, et a ensuite demandé à chacun d’entre eux d’évaluer par une note entre 0 et 5 la concordance entre ce texte et sa propre personnalité.

La moyenne des notes attribuées a été de 4,26. Le test a été répété des centaines de fois avec des étudiants en psychologie et la moyenne a toujours été voisine de 4,2.

C’est cette tendance naturelle à se reconnaitre dans ce qu’on pense être une description de soi-même qui est désignée sous le nom d’ “effet Barnum” en hommage au maître de la manipulation psychologique, l’homme de cirque Phineas Taylor Barnum.

Cette tendance de nombreuses personnes à accepter une vague description de personnalité comme les décrivant bien, sans se rendre compte que la même description pourrait s’appliquer aussi bien à n’importe qui, pourrait expliquer, au moins en partie, le succès rencontré par l’astrologie, la cartomancie, la chiromancie, la voyance, etc.

Sarkozy et l’effet Barnum

Il est évident que Sarkozy et ses conseillers en communication jouent avec l’effet Barnum. Pendant la campagne, les discours du futur président furent si nombreux et variés qu’ils semblaient s’adresser à chaque Français pour lui faire comprendre qu’il était exceptionnel et que Nicolas allait personnellement s’occuper de lui s’il était élu. [1]

Mais, y a-t-il meilleure illustration de l’utilisation de l’effet Barnum que l’exploitation par Nicolas Sarkozy de la douleur des victimes, à l’occasion des faits divers les plus révoltants ?

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Rachida Dati, Nicolas Sarkozy et Roselyne Bachelot sur le parvis de l’Elysée, le 20 août 2007.

Nicolas Sarkozy : « Ma responsabilité, c’est de prendre en compte la douleur des victimes »

Le 24 août, après avoir rencontré à sa demande les familles des deux aides soignantes assassinées, en décembre 2004 à l’hôpital psychiatrique de Pau par un déséquilibré pour lequel le procureur vient de requérir un “non-lieu psychiatrique”, Nicolas Sarkozy a déclaré : « Ma responsabilité, c’est de prendre en compte la douleur des victimes. »
Depuis son élection, il avait déjà reçu à l’Elysée la famille de Sophie Gravaud, assassinée à Nantes, celle du petit Enis, enlevé et violé à Roubaix. Le chef de l’Etat ne peut laisser la moindre occasion d’afficher sa compassion.

Le 20 août, à l’issue d’une table ronde convoquée à l’Elysée pour étudier les « mesures de sûreté contre les criminels dangereux », il devait prononcer une allocution reprise sur le site internet de l’Elysée, dont voici quelques extraits significatifs.

« Mon devoir de chef de l’Etat, c’est d’agir, d’être à l’écoute de ce qu’il se passe dans la société française et de prendre les bonnes décisions au bon moment. Je respecte le droit des coupables. Je comprends parfaitement que chaque homme a le droit d’être défendu et de se défendre. Je reconnais bien volontiers que chacun ne doit pas être laissé seul face à son propre destin. Mais mon devoir, c’est de protéger les victimes et de tirer les conséquences d’un effroyable désastre. Car c’est un désastre, que de laisser sortir de prison, un homme dont tout le monde sait qu’il est dangereux. Vous savez que je n’emploierai pas la langue de bois. Je dis les choses telles que je les pense.

« Quand je me suis retrouvé devant la famille d’Enis, je me suis dit : et si j’avais été à leur place ? Je demande à chacun de réfléchir. Qu’est-ce qu’on dirait de l’Etat et quelle serait ma part de responsabilité si j’avais considéré que, parce que l’on était au mois d’août, il ne fallait pas réagir et ne pas prendre de décisions. Le premier des droits à défendre, c’est le droit de la victime. Je ne mets la pression sur personne. Je comprends parfaitement qu’il puisse y avoir des failles, des erreurs humaines. Mais là, c’est un désastre parce que tout le monde savait qu’il était dangereux. Et donc, on ne devait pas le laisser sortir.

« La loi ne prévoit pas justement ce que l’on fait des individus dangereux. [...] Il ne s’agit pas d’être répressif. Il s’agit de tirer les conséquences d’une faille épouvantable dans notre dispositif. De tirer les conséquences rapidement afin que cela ne se reproduise pas. En tout cas, je ne laisserai pas des prédateurs de ce type en liberté alors même que de tels drames auraient pu être évités.

« Vous savez très bien que c’est pour moi une préoccupation constante depuis que j’ai été ministre de l’Intérieur, que j’ai développé le FNAEG [2] et demandé que les obligations de suivi des délinquants sexuels soient renforcées. »

Nicolas Sarkozy

L’appel à l’émotion et à la culpabilisation plutôt qu’à la réflexion... Dans le domaine de la manipulation, Phineas Taylor Barnum est battu !

La stratégie de l’émotion permet de faire accepter l’inacceptable !

Notes

[1Ce paragraphe est extrait de cette page du site lié à l’association Faire Le Jour.

[2Ce passage de Nicolas Sarkozy pourrait être taxé de faux témoignage  : le FNAEG a bien été créé par une loi de 1998 sur les infractions sexuelles, mais c’est Nicolas Sarkozy en personne qui, par sa loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003, l’a étendu à la quasi-totalité des crimes et délits — à l’exception de la délinquance en col blanc !
Et, depuis lors, la police fait du forcing pour ficher au FNAEG le plus grand nombre possible de personnes — en mai dernier on a dépassé les 500 000 profils, à terme on arrivera à plusieurs millions (voir en particulier cette page).

Un autre fichier, le FIJAIS (fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes), créé par loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, dite Loi Perben II, est, comme son nom l’indique, réservé aux délinquants sexuels.


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