Antoine Sollacaro, contre toute forme d’injustice


article communiqué de la LDH  de la rubrique justice - police > la Corse
date de publication : jeudi 18 octobre 2012
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Ce mardi 16 octobre 2012 est un jour de deuil pour la Ligue des droits de l’Homme. Antoine Sollacaro, formidable avocat et militant de la LDH, a été brutalement assassiné en Corse. Il complète ainsi la triste liste des morts sur cette île, qui n’en peut plus. Quinze morts depuis le début de l’année. La LDH s’honorait de compter, dans ses rangs, un homme dont la véhémence exprimait avant tout sa révolte contre toute forme d’injustice. Cet assassinat démontre à l’évidence que la Corse vit sous un droit d’exception permanent, sans que cela ait changé quelque chose à ce qui y défigure la République. Ce n’est certes pas de l’inaction de l’État dont il faut se plaindre, en l’occurrence, mais de son incompétence. Il revient, en ces heures douloureuses, de se tourner vers la société corse, et de rappeler que l’exercice de la citoyenneté n’est pas de la seule responsabilité de l’Etat, mais de celle de la société elle-même.

(Communiqué LDH)



Ci-dessous la tribune co-signée par Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme (LDH), et André Paccou, membre du Comité central de la LDH, publiée, le 17 octobre 2012, sur lemonde.fr.

Antoine Sollacaro, un homme “révolté contre toute forme d’injustice”

Antoine Sollacaro, un homme "révolté contre toute forme d’injustice"
Quinze morts depuis le début de l’année. Plus d’un par mois. Antoine Sollacaro est le dernier de cette liste. Il fut un extraordinaire avocat, un militant de la LDH et derrière "sa véhémence" s’exprimait avant tout sa révolte contre toute forme d’injustice. N’est-ce pas lui qui, bâtonnier en exercice, provoqua l’ire d’un préfet dont les errements finirent par une pantalonnade dévastatrice pour l’autorité de l’Etat.

A la peine s’ajoute la sidération que provoque cet assassinat. Le président de l’Assemblée territoriale corse en appelle à l’action du gouvernement. Mais, l’autorité publique ne cesse, depuis des décennies, de mettre en œuvre tous les moyens d’exception à sa disposition : législation antiterroriste, Jirs, services de police spécialisés entretenant, parfois, des liens surprenants avec les personnes qu’ils sont censés surveiller, etc. La Corse vit sous un droit d’exception permanent sans que l’on sache que cela y ait changé quelque chose.

Non, la faute des autorités publiques n’est pas d’être inactive : c’est d’avoir confondu, depuis des décennies, le maintien de l’ordre et la paix publique, d’avoir cru que les rodomontades autoritaires pourraient pallier le sous-développement économique, le tourisme de carte postale ou les petits arrangements entre amis érigés en mode de vie. Au point où, maintenant depuis trop longtemps, les frontières deviennent floues entre l’action politique de certains, les intérêts d’autres et le souci des pouvoirs publics que tout cela reste un folklore à dominante locale, faisant de la Corse et de ses habitants, les pensionnaires d’un vaste zoo à ciel ouvert que les vacanciers viennent regarder vivre avec leurs drôles de mœurs et de coutumes.

Faire reproche à l’Etat de son inactivité, c’est se tromper de diagnostic, c’est croire que, depuis la fusillade d’Aléria à aujourd’hui, l’Etat n’a jamais fait autre chose, à une ou deux exceptions près, que gérer la situation sans jamais vouloir contribuer à sa solution. Ce n’est pas de l’inaction de l’Etat dont il faut se plaindre mais de son incompétence. S’en tenir là serait participer de la même erreur.

On ne peut, en effet, s’en prendre aux carences de l’Etat sans en même temps interpeller la société corse sur ses ressorts et ce qui fait qu’il est possible qu’une communauté de 300 000 personnes tolère que les cadavres parsèment ses rues et ses chemins. Cette espèce d’hymne à la mort qui est fredonné depuis des décennies par les milieux les plus divers n’a pas encore trouvé son frein naturel, c’est-à-dire son rejet par la communauté elle-même. Non que l’indignation ne soit pas sincère, comme elle le fut à d’autres occasions, mais plus simplement l’acceptation tacite d’une sorte de rite qui va de pair avec d’autres stigmates.

Poser ces questions, ce n’est pas montrer du doigt "les Corses", c’est rappeler à chacun que l’exercice de la citoyenneté n’est pas de la seule responsabilité de l’Etat, elle est aussi celle de la société elle-même. Beaucoup pensent déjà que l’on ne retrouvera pas les assassins et les commanditaires de l’assassinat d’Antoine Sollacaro ; les services de police et la justice feront, on veut le croire, leur devoir. A la société corse de montrer qu’elle ne reconnaît pas le droit d’abattre quiconque comme un chien. C’est bien le moins que l’on doit à la mémoire d’un homme qui aima son pays et la liberté.

Michel Tubiana, président d’honneur de la LDH
André Paccou, membre du Comité central de la LDH

Antoine Sollacaro, militant des prétoires et compagnon de route des nationalistes

par Ariane Chemin, Le Monde, 17 octobre 2012


On croisait beaucoup Antoine Sollacaro, comme tous les grands pénalistes, sur les routes et dans les airs. Comme les avocats corses, il prenait au volant de sa Porsche la route aller-retour du tribunal d’Ajaccio à celui de Bastia, l’avion pour Marseille, où siège la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) et où se traitent désormais presque toutes les affaires de banditisme de l’île, ou encore le vol de Paris, direction la cour d’assises spéciale. Il ne fallait jamais rater le dernier avion retour. Car Antoine Sollacaro était d’abord un Ajaccien. Une notabilité locale, avec villa route des Sanguinaires, carte du club des amateurs de cigares de la ville, cabinet place du Diamant au cœur de la vieille ville, costumes cintrés parfois rayés, et même la responsabilité régionale, un temps, de la Ligue des droits de l’homme.

EN PENSION CHEZ LES FRÈRES AVEC GILBERT COLLARD

Né à Propriano, en 1949, le Corse perd son père très jeune, dans un accident d’avion : sa photo trônait sur son bureau. Il devient pensionnaire cinq ans chez les frères maristes de La Seyne-sur-Mer sur la côte varoise : on en trouvait des traces dans ses plaidoiries, où il citait volontiers Galileo Galilée et Dante. Le week-end, il est comme assigné à résidence loin de son île, avec un autre enfant, puni : son futur confrère Gilbert Collard. "Notre amitié, secrète, et peut-être notre révolte contre l’ordre est née dans cette souffrance commune, moi à cause de mes mauvaises notes, lui par éloignement", se souvient l’avocat devenu député (FN) du Gard, qui devait bientôt déjeuner avec lui à l’Assemblée nationale.

Le temps de caresser le rêve de devenir officier de marine, Antoine Sollacaro tente la faculté de médecine, à Marseille avec Me Jean-Louis Seatelli, un pilier du barreau de Bastia, l’ami "fidèle" de quarante-deux ans qui le pleure aujourd’hui. Tous deux finissent par choisir le droit. La fac de Nice n’est pas encore tout à fait l’incubateur du nationalisme corse, mais déjà un bouillonnement se fait jour. Avec Pierrot Poggioli, Antoine Sollacaro participe en 1973 à l’aventure de la CSC, la première fédération d’étudiants de Nice, devant l’UNEF. Il chante "Chi fa ?", d’Antoine Ciosi, "que faire" pour la Corse, et occupe le Restau-U pour réclamer la création d’une université sur l’île.

L’AVOCAT SOLLICITÉ PAR LES AMIS D’ÉCOLE, DE VACANCES, DE FAMILLE

Autour de lui, davantage d’étudiants proches de la droite dure que de l’extrême gauche, terreau des premiers militants. Mais ces frontières s’effacent vite quand le mouvement nationaliste prend son essor. En 1979, deux ans après avoir prêté serment, le jeune avocat Sollacaro défend au sein d’un collectif d’avocats 21 militants du tout jeune Front de libération nationale de la Corse (FLNC) devant la cour de sûreté de l’Etat –que François Mitterrand supprimera après 1981. Des plaidoiries pour l’Histoire, d’abord : "A la Santé ou à Fleury-Mérogis, il venait indifféremment nous rendre visite, son ami Alain Orsoni – venu du GUD [un mouvement d’étudiants d’extrême droite] – ou moi", se souvient ému Nanou Battestini, un des "maos" qui ont fondé le "Front".

En Corse, un avocat est d’abord souvent celui d’une région. Il est sollicité par les amis d’école, de vacances, de famille. Antoine Sollacaro vient du sud d’Ajaccio. Lui-même est le neveu d’Emile Mocchi, maire (RPR) de Propriano et proche de la chiraquie. C’est là qu’il se fait connaître, en 1983, dans le procès de Tommy Recco, un tueur en série originaire du port où l’avocat est né. Là qu’il échouera aussi en politique, sur une liste derrière son parent. Lorsque la Cuncolta et le FLNC historique font scission au début des années 1990, Sollacaro choisit à Ajaccio les listes du Mouvement pour l’autonomie (MPA), la vitrine du Canal habituel. Le "Mouvement pour les affaires", persifle-t-on en Corse. "Alain Orsoni était l’homme le plus intelligent d’entre nous et le MPA le plus démocratique", expliquera Sollacaro en 2002 aux auteurs du documentaire "Génération FLNC".

UN MILITANT DES PRÉTOIRES

Mais il n’intègre jamais l’exécutif du mouvement. Sollacaro reste un militant des prétoires. A son palmarès, le procès de Lyon, en 1985, un des actes de gloire du nationalisme corse : un "commando" de trois militants était entré dans la prison d’Ajaccio pour tuer les deux hommes qui, selon eux, avaient assassiné Guy Orsoni, le frère d’Alain. Une photo-trophée de la clémente sentence – huit ans – trônait sur la bibliothèque du bureau de l’avocat, là où ce champion de judo à l’élocution parfois difficile préparait jusque tard le soir ses plaidoiries-marathon.

Son heure de gloire médiatique, c’est en 1998, quand il devient bâtonnier d’Ajaccio. Plusieurs de ses anciens clients se retrouvent en prison, soupçonnés –à tort– d’appartenir à une "piste agricole" qui mènerait aux assassins du préfet Claude Erignac. Lors de la séance de rentrée solennelle du tribunal, en janvier 1999, le patron du barreau fait la leçon au préfet Bonnet, l’accusant de couvrir la fraude électorale, "cette catin qui a engendré le terrorisme". Bonnet quitte la salle, seul. Dix ans plus tard, après la préfectorale, c’est l’institution judiciaire qui déserte. C’est le 27 février 2009, lors du deuxième procès d’Yvan Colonna, qu’il défend : Sollacaro a connu sa famille via Joseph Caviglioli, le beau-frère du berger de Cargèse, un militant actif du MPA. "Vous devriez partir, vous êtes indigne de présider ces débats !", lance, après un incident, l’avocat ajaccien au président Didier Wacogne avant de traiter la cour d’assises de "junte birmane". Le président se retire avec ses assesseurs.

Depuis sa condamnation à la réclusion à perpétuité pour l’assassinat du préfet, Yvan Colonna lui a retiré sa confiance. "Je resterai son avocat jusqu’à la mort", protestait Me Sollacaro en montrant les dossiers de son bureau. Il est vrai qu’il y avait passé du temps, délaissant une partie de sa clientèle, pour s’accrocher aux figures et aux oripeaux plus très nationalistes de feu le MPA : la chambre de commerce d’Ajaccio, Alain Orsoni, revenu sur l’île en 2008 pour diriger le club de foot de l’ACA, son "lieutenant" Antoine Nivaggioni. Ce dernier, patron de la Société méditerranéenne de sécurité (SMS) a été assassiné en 2010 à quelques centaines de mètres de la station-service où a péri mardi l’avocat, alors même qu’il s’apprêtait à gagner son bureau, pour revenir, devant une caméra de France3 Corse, sur l’exécution de son ami et client...


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