le maire de Villeurbanne refuse la vidéo-surveillance imposée


article de la rubrique Big Brother > vidéosurveillance
date de publication : jeudi 11 mars 2010
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Le projet de loi Loppsi 2 [1] voté en première lecture par l’Assemblée nationale contient une mesure autorisant les préfets à imposer aux maires l’installation de caméras de vidéo-surveillance dans leurs communes – voir cette page.

Le maire PS de Villeurbanne s’insurge contre ce projet qui, s’il était définitivement adopté, permettrait de forcer la main des maires. Alors qu’aucune évaluation sérieuse n’a été menée pour évaluer l’efficacité de la vidéo-surveillance, Jean-Paul Bret dénonce “une forme d’aveuglement” dans la décision de tripler en deux ans le nombre des dispositifs de vidéo-surveillance.

“Aveuglement” ou exploitation à des fins électoralistes du sentiment d’insécurité méthodiquement entretenu par ailleurs ?


Jean-Paul Bret : “Non, les maires ne sont pas défaillants”

[Point de vue publié dans Le Monde du 2 mars 2010]


Selon la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la
sécurité intérieure, la Loppsi, votée le 16 février en première lecture par
l’Assemblée nationale, un préfet sera désormais autorisé à passer outre l’avis
d’un maire dans certains cas de sécurité extrême, comme le terrorisme. Il
pourra ainsi se substituer à son autorité dès lors que l’édile fera montre de
défaillance, comme l’a évoqué Brice Hortefeux, le ministre de l’intérieur,
lors du débat.

Depuis l’effondrement des Twin Towers, l’argument du péril terroriste justifie
quelquefois l’injustifiable. Il est la carte joker par laquelle tout devient
possible. Mais dont acte ! A situations exceptionnelles, moyens
exceptionnels ! Elu ou citoyen, de droite ou de gauche, tout le monde peut le
comprendre. En revanche, ce que la loi ne dit pas, et qui, du coup, amène à
douter de sa finalité, c’est ce qui caractérisera demain la défaillance d’un
maire, et à qui en incombera le diagnostic. Au préfet lui-même ? A la police ?
A la justice ? Sur quels critères ? Après entretien ? Après visite médicale ?
La différence de points de vue pourra-t-elle être constitutive de cette
défaillance ?

En tant que maire de Villeurbanne, j’ai émis des réserves sur la pertinence de
la vidéo-surveillance. Je ne cultive pas les oppositions de principe. Je pense
même qu’en quelques cas de figure elle peut s’avérer efficace, notamment dans des espaces clos. Mais – et tous les analystes le disent – elle ne peut pas
être présentée comme un remède miracle, sachant que même Scotland Yard la
qualifie de "fiasco". Parmi les études menées par de nombreux chercheurs,
appartenant à différentes disciplines, aucune ne permet de conclure à une
efficacité quantifiable. Quant aux démonstrations du ministère de l’intérieur,
leur méthodologie est – pour le scientifique que je suis également –
comparable à ce que l’astrologie est à l’astronomie.

C’est pourquoi, et contrairement à ce que me demandait le préfet du Rhône,
j’ai refusé que la vidéosurveillance se généralise sans discernement sur la
voie publique de ma commune, lui préférant de loin une présence policière de
proximité, bref l’humain contre la machine ! L’actualité récente – notamment
dans les établissements scolaires d’Ile-de-France – a montré que les caméras
n’empêchaient pas la violence. Quant aux hommes – je veux parler des policiers –, ils sont malheureusement soumis à la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux. Ainsi, la police nationale de Villeurbanne a perdu 50 agents sur les 200 en poste il y a huit ans.

Une question se pose désormais aux maires. Demain, un préfet considérant la
divergence de propos d’une municipalité pourra-t-il conclure à sa
défaillance ? Le risque sera grand alors de voir les représentants de l’Etat
se substituer à ceux du peuple, au plus grand mépris du suffrage universel. A
la fin du XIXe siècle, l’Etat avait trouvé une solution radicale pour étouffer
la parole des élus. La loi des maires, votée en 1874 après trois ans seulement
de libertés municipales, lui redonnait le droit de les nommer et de leur
retirer leur pouvoir de police.

Le motif de défaillance, qui revient à instaurer un nouveau délit d’opinion,
est le bâillon d’aujourd’hui ! Cette conception curieuse de la démocratie
pourrait s’avérer plus dangereuse que le terrorisme dont elle est supposée
nous protéger.


"Vidéosurveillance imposée" : le maire de Villeurbanne voit rouge

par Fabien Fournier, lyoncapitale.fr, le 3 mars 2010


Jean-Paul Bret monte au créneau contre le projet de loi gouvernemental qui permettrait aux préfets d’imposer aux maires des caméras de vidéo surveillance dans leurs communes. Cette volonté de tripler le nombre de ces dispositifs est selon lui "une forme d’aveuglement". Nombre de maires socialistes, à l’instar de Gérard Collomb, y sont pourtant favorables.

Dans une tribune parue lundi 1er mars dans Le Monde, le maire de Villeurbanne exprime ses réserves sur la vidéo surveillance alors que Brice Hortefeux promet d’en tripler le nombre d’ici 2011. Pour ce faire, le ministre de l’Intérieur est prêt à forcer la main des maires, à la faveur de son projet de loi Loppsi 2. Le débat autour de ce type d’équipement est de ce fait relancé, alors que Bret refuse d’en installer dans sa commune, tant qu’une évaluation sérieuse ne sera pas menée.

Des critères trop vagues

Le texte gouvernemental qui prévoit aussi la confiscation des véhicules pour les récidivistes, instaure un couvre-feu pour les mineurs de moins de 13 ans et durcit les peines pour les agresseurs de personnes âgées, il permet aux préfets d’imposer aux municipalités l’installation de vidéo surveillance. Dans trois cas de figure : "la prévention des actes de terrorisme, les sites d’importance vitale ou les intérêts fondamentaux de la Nation". L’Etat mettrait alors au pot, en finançant jusqu’à la moitié des investissements, mais les communes seraient priées (comprendre forcées) de payer le reste, ainsi que les dépenses de fonctionnement.

Une disposition qui n’est pas du goût du maire de Villeurbanne. "L’argument du péril terroriste justifie quelquefois l’injustifiable", tonne-t-il. Il trouve les trois critères évoqués trop vagues. "Le préfet pourra-t-il m’imposer des caméras avenue Henri Barbusse sous un prétexte de sécurité nationale ? Ce que la loi ne dit pas, c’est ce qui caractérisera demain la défaillance d’un maire, et à qui en incombera le diagnostic. Au préfet lui-même ? A la police ? A la justice ? Sur quels critères ? Après entretien ? Après visite médicale ?".

"Plus utile d’installer un lampadaire"

A Villeurbanne, les caméras sont discrètes et pour cause : elles sont en petit nombre. Huit le long de grands axes routiers (pour la sécurité routière), quelques autres pour protéger les bâtiments communaux (aux abords de la nouvelle cuisine centrale et du centre nautique Etienne-Gagnaire) mais aucune contre la délinquance de voie publique. Il ne juge ces installations efficaces que pour les espaces clos, comme les parkings fermés.

"En tant qu’élu rationnel et scientifique, je m’étonne qu’aucune étude sérieuse n’ait été menée pour évaluer les effets ces équipements. C’est une forme d’aveuglement", affirme-t-il. Selon lui, les Anglais, précurseurs dans ce domaine, en reviennent. "Peut-être ces caméras déplacent-elles les problèmes là où elles ne sont pas présentes ? Peut-être même qu’elles sont sans résultat sur la délinquance, renforçant seulement un sentiment de sécurité qui, lui, est difficilement quantifiable ? Parfois, je pense qu’il serait plus utile d’installer un lampadaire", lance-t-il, sans plaisanter.

A la différence de Collomb ...

Bret préfère "de loin une présence policière de proximité". Son credo : "l’humain contre la machine". A cette fin, il a doublé les effectifs de la police municipale, de 18 en 2001 à 40 cette année. Or l’Etat est selon lui tenté de réduire les effectifs de la police nationale (200 agents dans sa commune en 2002, 152 aujourd’hui) pour demander aux villes de payer des caméras.

Il le sait, sa position n’est peut être plus majoritaire au sein du PS. Son homologue lyonnais, qui avait fait de la sécurité une priorité dès le début de son premier mandat, a fortement investi dans la vidéo-surveillance (219 sur la voie publique, chiffres d’août 2009). D’autres maires de gauche lui emboîtent le pas, tels Manuel Valls (Evry), François Rebsamen (Dijon) et même Anne Hidalgo et Bertrand Delanoë (Paris).

Notes

[1Loi d’Orientation et de Programmation pour la Performance pour la sécurité intérieure.


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