Hyères et la vidéosurveillance


article de la rubrique Big Brother > vidéosurveillance
date de publication : jeudi 19 août 2010
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Les dix-huit caméras de surveillance en activité à Hyères seront soixante-trois dans un an, pour une population d’environ 55 000 habitants. Var Matin du 18 août 2010 le confirme, les trente-quatre actuellement en service à Toulon seront cent-vingt-quatre d’ici 2013. Mais ni Hyères, ni Toulon ne parviendront à rattraper Nice qui disposera bientôt d’une caméra pour six cents habitants – Christian Estrosi tient à ce que Nice reste la ville la plus vidéosurveillée de France.

Mais Jacques Politi et Hubert Falco se sont-ils informés de l’efficacité véritable de la vidéosurveillance ? S’ils lisaient le rapport de la Chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes sur la politique de la sécurité dans la ville de Lyon, ils apprendraient que l’impact de la vidéosurveillance sur la délinquance est considéré comme marginal, mais qu’en revanche son coût est élevé.


18 caméras de surveillance sont déjà installées à Hyères, comme celle avenue Joseph-Clotis. (Photo Laurent Martinat)

Hyères : une caméra de surveillance pour 900 habitants !

par Thomas Huet, Var Matin, le 16 août 2010


« Dès le début de mon mandat, j’ai voulu faire de la sécurité un des piliers de notre politique. » Dans ce domaine, les paroles du maire Jacques Politi auront été suivies de réalisations concrètes cette année : augmentation des effectifs de la police municipale (de 52 à 62 agents), transfert du siège de la police avenue Gambetta - « un emplacement stratégique pour une meilleure efficacité » - et installation de cinq caméras de surveillance supplémentaires sur la voie publique [1].

Les Cil consultés

Petite précision du maire, par ailleurs : « Aujourd’hui, on ne parle plus de vidéosurveillance, mais de vidéoprotection ». Question de sémantique… En matière de vidéoprotection, donc, la municipalité a décidé de mettre les bouchées doubles : 45 nouvelles caméras seront installées dans la cité d’ici l’été 2011, en fonction des secteurs sensibles et des demandes des Comités d’intérêt local (qui continueront à être consultés). « Notre premier souci est de mieux protéger les Hyérois, tout comme nos visiteurs, reprend le maire. Mais ces caméras ont également pour rôle de protéger les bâtiments, aider à la résolution des crimes et délits, et réguler le trafic routier ». Cette augmentation considérable passe par une refonte de la salle du PC (poste de commandement) de surveillance, qui doit être équipée d’écrans high-tech. « Le PC devrait être opérationnel en janvier 2011, indique Fabrice Werber, chef de la police municipale. Mais cela nécessitera aussi une quinzaine de personnes derrière les écrans de contrôle. À l’heure actuelle, ils sont trois. »

On ne badine pas avec la sécurité

Côté budget, il en coûtera 200 000 €, rien que pour l’achat de ces caméras dotées d’une vision à 360°. Que les contribuables se rassurent, l’État apportera son soutien financier (environ 75 000 euros) à l’achat du matériel. On ne badine pas avec la sécurité... Les habitants des fractions, eux, devront patienter jusqu’en 2012. « Ce n’est pas que nous les ayons oubliés, rassure le maire, mais leur éloignement par rapport à la police municipale nous oblige à utiliser des technologies plus poussées, qui demandent plus de temps pour être sûr d’obtenir un résultat efficace. » Bref, d’ici un an, avec un ratio porté à 1 caméra pour 900 habitants (63 caméras d’ici 2011, pour environ 55 000 habitants), la municipalité pourra « se targuer d’être la championne de France des villes de sa catégorie ». Même si elle est pourtant loin d’être sacrée championne de l’insécurité.

La vidéosurveillance ça coûte très cher et ça ne sert pas à grand-chose : l’exemple de Lyon

La Chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes s’est penchée sur la politique de sécurité de la ville de Lyon, notamment dans le domaine de la
vidéosurveillance. Le sociologue Laurent Mucchielli a fait une étude fort instructive de son rapport ; nous en reprenons quelques éléments ci-dessous [2].

Un dispositif de vidéosurveillance très développé

La décision d’installer la vidéosurveillance sur la voie publique à Lyon remonte à 1998. Le passage à gauche de la municipalité en 2001 n’a pas infléchi ce choix. Au contraire, le nombre de caméras est passé de 59 à 183 entre 2001 et 2007 et devait monter à 219 en 2009.

Pour gérer toutes ces images, un centre de supervision urbaine (CSU) a été créé en février 2001. Il emploie 29 agents en 2009. Le service tourne 24h sur 24, avec 7 équipes de 3 personnes se relayant.

L’impact en terme pénal

La vidéosurveillance a permis en 2008 quelques 200 interpellations policières pour 20 604 actes de délinquance dits de voie publique. Suivant ce critère, l’impact de la vidéosurveillance peut être estimé à 1 %.

Concernant l’élucidation policière, les 20 604 faits constatés ont donné lieu à 322 réquisitions dans le cadre des enquêtes, soit un taux de 1,6 % (mais les images réquisitionnées par la police ne se sont sans doute pas toutes révélées utilisables/utilisées).

Selon ces critères on peut donc conclure que l’impact de la vidéosurveillance sur la délinquance constatée par la police nationale à Lyon a été « marginal », de l’ordre de 1 %.

L’évolution de la délinquance

La comparaison avec d’autres villes de l’agglomération comme Villeurbanne dont le maire, Jean-Paul Bret, également PS, avait préféré la surveillance humaine à celle des machines, amène les magistrats à affirmer :

« Ainsi, en l’état actuel des données, relier directement l’installation de la
vidéosurveillance et la baisse de la délinquance est pour le moins hasardeux. Si
l’on compare, par exemple, l’évolution de la délinquance de voie publique entre
Lyon, qui a fortement investi dans ce domaine, et Villeurbanne, où la commune n’a pas souhaité s’y engager, on observe que la baisse est la plus forte dans la commune qui ne bénéficie d’aucune caméra de voie publique ».

Le coût

Le rapport de la Chambre régionale des comptes donne les éléments suivants :
- la ville de Lyon a dépensé en moyenne 855 000 euros par an depuis 2003 pour l’installation des caméras, chiffre qui devait grimper à 1,5 millions de 2009 à 2011 ;
- la ville dépense en moyenne 200 000 euros par an de maintenance et de fonctionnement du système de caméras.

Cela fait déjà 1,7 millions d’euros annuels à l’heure actuelle. Mais les magistrats oublient de compter le plus lourd : les salaires des 29 agents du centre de supervision urbaine, soit au moins 900 000 euros, sans doute un peu plus. S’ajoutent enfin le coût des locaux et des équipements du CSU ainsi que les coûts d’audits d’installation et d’évaluations annuelles, généralement confiés à des cabinets privés.

Au total, la vidéosurveillance coûte probablement à la ville de Lyon (donc aux Lyonnais) entre 2,7 et 3 millions d’euros. Ce qui pourrait représenter près d’une centaine d’emplois municipaux de proximité...

La surveillance c’est la protection

Cela sera bientôt officiel, « dans tous les textes législatifs et réglementaires, le mot “vidéosurveillance” [sera] remplacé par le mot “vidéoprotection” ».
 [3]

Il s’agit tout simplement d’imposer par le langage la justification de la vidéosurveillance et de marteler l’idée d’une efficacité intrinsèque qui n’a jamais été démontrée.

La prochaine étape sera-t-elle marquée par le remplacement du mot “vidéoprotection” par le mot “vidéoliberté” ?

La vidéosurveillance et les libertés fondamentales

La Commission européenne pour la démocratie par le
droit du Conseil de l’Europe (" Commission de Venise ") a rendu public le 11 avril 2007 un avis
sur la compatibilité entre la surveillance vidéo des lieux publics par des
opérateurs publics et la protection des libertés fondamentales [4]. En voici la conclusion :

La vidéosurveillance des lieux publics par les autorités publiques ou les services répressifs peut constituer une menace indéniable pour des droits fondamentaux tels que le droit à l’intimité et au respect de la vie privée, du domicile et de la correspondance, le droit à la liberté de circulation et le droit à ce que les données à caractère personnel rassemblées par ce moyen bénéficient d’une protection spécifique.

Notes

[1Dix-huit caméras de surveillance au total, dont dix-sept implantées sur la voie publique : rue République, avenue Jean-Moulin (côté entrée de la police municipale), place du Maréchal-Joffre, rue Ribier (entrée parking mairie), place Clemenceau, avenue Gambetta (côté entrée de la police municipale), place Massillon, avenue Joseph-Clotis, place du Portalet, haut de l’avenue Gambetta, avenue du docteur Jean-Jacques-Perron, avenue des Îles-d’or, rond-point de l’Espace 3 000 (deux caméras), place de l’Oratoire (deux caméras), parvis du casino. La 18e se trouve à l’armurerie de la police municipale.

[2Le rapport de la Chambre régionale des comptes : http://www.ccomptes.fr/fr/CRC24/documents/ROD/RAR201015.pdf

L’étude de Laurent Mucchielli, sociologue, directeur de recherche au CNRS
http://www.laurent-mucchielli.org/public/La_videosurveillance_dans_la_ville_de_Lyon.pdf

[3L’introduction de cette disposition dans le projet de loi LOPPSI 2 en cours d’examen au Parlement s’appuie sur les deux affirmations suivantes. Voir cette page : vidéosurveillance : rebaptisée vidéoprotection, elle pourra être imposée par l’État :

  • « le recours à la prise d’images poursuit un objectif de protection des atteintes aux personnes et aux biens »,
  • « le terme de “surveillance” peut laisser penser à nos concitoyens, à tort, que ces systèmes pourraient porter atteinte à certains aspects de la vie privée ».

[4Source : http://www.venice.coe.int/docs/2007....

Organe consultatif du Conseil de l’Europe composé d’experts indépendants sur
les questions constitutionnelles, la Commission de Venise compte actuellement
48 Etats membres (L’Argentine, le Canada, la Corée, les Etats-Unis, le Japon, le Kazakhstan, le Mexique, le Saint-Siège et l’Uruguay bénéficient du statut d’observateur,
le Bélarus du statut de pays membre associé et l’Afrique du Sud d’un statut
spécial de coopération.)


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