la vidéo-surveillance au Royaume Uni : le reflux


article de la rubrique Big Brother > vidéosurveillance
date de publication : lundi 16 février 2015
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La vidéo-surveillance a connu ces dernières années un grand développement dans toute la France et notamment à Nice, qui s’enorgueillit de détenir le record de France de caméras par habitant : une caméra pour 330 habitants. Les attentats du mois de janvier ont été mis à profit par sa municipalité pour élargir un peu plus le domaine d’intervention des caméras, en particulier en intégrant les caméras privés des offices HLM dans le système de la commune, déjà tentaculaire. Or, si il y a bien un point sur lequel tous les observateurs semblent d’accord, c’est l’inutilité de la vidéo-surveillance pour la prévention des attentats, de la grande criminalité, de la violence de rue.

Après avoir été très en pointe dans le recours à la vidéo-surveillance – dénommée Closed-circuit television ou CCTV –, le Royaume Uni semble désormais faire marche arrière. Les restrictions budgétaires et une efficacité discutable font que les perspectives ne sont plus aujourd’hui favorables à son développement en Grande Bretagne. L’article de BBC News du 15 janvier dernier dont nous vous proposons une traduction ci-dessous le montre.

Combien de temps faudra-t-il à nos édiles pour faire une analyse rationnelle de l’utilité réelle des dispositifs de vidéo-surveillance en France ? Il ne faut pas oublier que du fait de l’absence de contrôle de leur utilisation, en France et au Royaume Uni, leur existence constitue une menace pour les libertés publiques.



La fin de l’ère de la vidéo-surveillance ? [1]

Il y a vingt ans, le gouvernement a soutenu une expansion importante du réseau de vidéo-surveillance – aujourd’hui les subventions sont coupées et les caméras éteintes. Le boom de la vidéo-surveillance au Royaume-Uni est-il terminé ? demande Rachel Argyle.

En 1994, le gouvernement conservateur a pris l’initiative de la création d’un groupe de “Partenaires contre le crime” (Partners Against Crime), le ministre de l’Intérieur (Home Secretary) Michael Howard déclarant qu’il était "absolument convaincu que la vidéo-surveillance avait un rôle essentiel à jouer pour aider à détecter, réduire la criminalité et condamner les criminels".

L’année suivante, le fond CCTV Challenge Competition était créé pour encourager les autorités locales à mettre en place des systèmes de surveillance – le Ministère de l’Intérieur et les collectivités locales ont investi 120 millions de livres sterling en systèmes de vidéo-surveillance au cours des trois années suivantes.

Le Royaume-Uni possède l’un des plus importants réseaux de vidéo-surveillance du monde. Mais comme les municipalités, à court de liquidités, cherchent à réduire les coûts, l’efficacité du réseau public est examinée.

La police de Dyfed Powys s’est mise à faire des coupes sombres dans le budget de la vidéo-surveillance [2]] à la suite d’un rapport indépendant rédigé par Christopher Salmon, commissaire anti-criminalité. Le secteur concerné couvre plus de la moitié du pays de Galles avec un peu moins d’un demi-million d’habitants.

Le rapport a constaté que la suppression du système de vidéo-surveillance de la région de Powys n’a pas entraîné une hausse importante de la criminalité ou de comportements anti-sociaux et il y a peu de preuves qui démontrent que la vidéo-surveillance dissuade les crimes violents ou liés à l’alcool. Salmon déclare que la police orientera l’utilisation des fonds la où la population le souhaite, avec "plus de policiers municipaux pour des rondes sur le terrain".

Ces réductions ne sont pas isolées

La Cornouaille a été l’une des premières régions à réduire son budget de vidéo-surveillance- de 350 000 £, dès avril 2011 . La municipalité du Denbighshire arrêtera son financement et réalisera une économie de 200 000 £ à partir de 2016-17. Les autorités d’Anglesey ont complètement abandonné leur système l’an dernier, mais après le succès d’un appel à financement (charity trust), le système sera maintenant géré par les cinq conseils municipaux de l’île. A Derby, 48 caméras du centre-ville vont peut-être se voir coupées.

D’autres secteurs réduisent leurs systèmes. 250 caméras de vidéo-surveillance de Birmingham ne seront plus utilisées 24 heures sur 24 et des gestionnaires de vidéo-surveillance, à travers tout le pays, risquent le chômage.

La police se retrouve sous les mêmes contraintes financières. Le financement de la vidéo-surveillance pour la Police de la vallée de la Tamise pourrait passer pour la ville de 225 000 £ par an, à moins de 50 000 £ en 2018.

Une demande d’accès à l’information faite par la député travailliste Gloria de Piero, en mars 2013, a permis de constater qu’un conseil municipal sur cinq avait réduit le nombre de caméras de vidéo-surveillance dans les rues depuis la dernière élection.

Les partisans de la vidéo-surveillance soulignent le succès des caméras dans l’identification des suspects dans des affaires criminelles très importantes, comme l’assassinat du jeune James Bulger par Robert Thompson et Jon Venables, l’attentat du Marathon de Boston, les attentats à Londres le 7 Juillet 2005 et les émeutes en Grande Bretagne en 2011. La vidéo-surveillance a joué un rôle crucial dans la chasse des terroristes Charlie Hebdo.

Mais les militants opposés à la vidéo-surveillance estiment qu’elle viole la vie privée et s’ interrogent sur son efficacité.

"Le taux de criminalité de la Grande-Bretagne n’est pas significativement plus bas que dans des pays comparables qui n’ont pas de système de surveillance aussi développé », dit Emma Carr, directeur de « Big Brother Watch »

Le groupe de pression se félicite que ces restrictions budgétaires puissent amener les autorités municipales à vérifier de plus près si la vidéo-surveillance fonctionne vraiment. Carr ajoute : "Il faut féliciter les municipalités qui font le choix de réduire le nombre de caméras de vidéo-surveillance inefficaces, et d’orienter les ressources de façon qu’elles servent à améliorer la sécurité de la population".

Charles Farrier, porte-parole des opposants à la vidéo-surveillance, est un peu plus inquiet. "La réduction des coûts présumés conduit à une restructuration plutôt qu’à une réduction réelle de la vidéo-surveillance." Il souligne que les coupes budgétaires vont entraîner la venue d’autres partenaires. "Souvent, les solutions proposées sont de fusionner des salles de contrôle ou de retirer les caméras des mains des collectivités locales démocratiques pour les remettre à des entreprises privées guidées par un souci de rentabilité," a-t-il ajouté. Il appelle à un débat public urgent.

Pour certaines personnes, il existe une alternative plus humaine à la lutte contre la criminalité qu’une augmentation des cameras de vidéo-surveillance. Farrier croit que la solution réside dans les conclusions d’un rapport de 2013 intitulé Grande-Bretagne Forteresse, publié par la New Economics Foundation, qui a constaté que les résidents dans des lotissements à Londres ont estimé que "connaître les gens" était la clé pour créer la confiance.

"Nous n’avons plus de gardiens de parc, de receveurs d’autobus, de « dames-pipi » – des gens présents pour aider à cimenter la communauté. Actuellement, nous nous déchargeons de cette responsabilité sur une machine. En effet, au lieu de dépenser tout cet argent en caméras de surveillance, nous devrions le dépenser en stratégies qui ont fait la preuve de leur efficacité et encourager plus de gens à marcher, parler, et résoudre des problèmes dans leurs propres communautés.

Il y a eu beaucoup de recherches sur l’efficacité de la vidéo-surveillance comme outil de lutte contre la criminalité pendant les années de grand boom de ce système.

Une étude intitulée Les effets sur la criminalité de la vidéo-surveillance [3] (2008) avait constaté que les systèmes de vidéo-surveillance ont peu d’effet dissuasif sur les délits autres que le vol de voiture.

Un autre rapport, de l’Ecole de la police en 2013, intitulé Ce qui marche, en un mot : Les effets de la vidéo-surveillance sur la criminalité, dit que la vidéo-surveillance agit pour une petite part, néanmoins statistiquement significative, dans la réduction de la criminalité, et ajoute que tout en réduisant le vol de et dans les véhicules, il n’a pas d’impact sur les niveaux de la criminalité violente.

Le psychologue britannique Gordon Trasler a noté qu’une explication pourrait être que la vidéo-surveillance est efficace pour des infractions « instrumentales » (tels que les délits contre les biens ou les cambriolages), mais moins efficace pour les infractions « expressives » comme les crimes violents lorsque le comportement est impulsif et ne laisse pas de temps à la prise de décision rationnelle.

Selon le chef de la police adjoint Mark Bates du syndicat nationale des commissaires de police chargé de la gestion de la vidéo-surveillance,les caméras jouent un rôle important dans la protection de nos communautés. "Nous avons une vraie responsabilité dans la réflexion à mener avant de prendre toute décision de se désinvestir de la vidéo-surveillance dans le cadre d’enjeux liés à une politique d’austérité.

Dans 95 % des cas de meurtre traités en 2009, Scotland Yard a utilisé des images de vidéo-surveillance comme preuve.

Alors, combien de caméras nous observent effectivement ? La réponse est difficile à évaluer. La British Security Industry Association (BSIA) estime qu’il y a entre 4 millions et 5.9 millions de caméras.

Pour Pauline Norstrom, présidente du BSIA, la pression budgétaire sur le secteur public et les coupes dans le financement de la vidéo-surveillance ne signifient pas un déclin plus important au Royaume-Uni. "Alors que les budgets du secteur public ont mis la pression sur ses caméras, celles-ci sont maintenant plus nombreuses dans le secteur privé – dans un rapport de l’ordre de 70 à 1" dit-elle. "Elles sont la clé dans la dissuasion des activités criminelles et dans l’obtention de condamnations."

Alors que les systèmes publics peuvent être confrontés à des baisses, il y a une hausse des caméras privées et à usage domestique.

C’est un sujet de préoccupation pour Tony Porter, le commissaire du gouvernement chargé de la vidéo-surveillance. Dans son rapport annuel, il dit : "Le coût des systèmes de vidéo-surveillance à usage domestique est minime maintenant que les détaillants vendent des systèmes de vidéo-surveillance HD pour un peu plus de 100 £." Plus de 80% des requêtes qu’il reçoit portent sur l’utilisation de la vidéo-surveillance dans un cadre domestique.

Si les conseils municipaux continuent à diminuer, consolider ou externaliser leurs services de vidéo-surveillance, les groupes d’opposants à la
vidéo-surveillance craignent qu’il soit de plus en plus difficile de contrôler ceux qui doivent rendre des comptes. Mais Porter, qui a pris, en mars dernier, la responsabilité de Commissaire indépendant chargé du système
de vidéo-surveillance, espère que la prise en compte de nouvelles orientations pour la vidéo-surveillance domestique, attendue pour les prochains mois, contribuera à clarifier les choses.

Il semble que le Royaume-Uni continuera à être étroitement surveillé pendant encore un certain temps.

Notes

[1Référence de l’article d’origine (en anglais) : http://www.bbc.com/news/magazine-30....

La traduction française proposée a été mise au point par les sections de Nice et de Toulon de la LDH.

[2Traduction de “Dyfed-Powys police are set to cut funding to monitor CCTV” ?

[3The Effects of Closed Circuit Television Surveillance on Crime (2008).


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