lutte contre le terrorisme : combien de caméras ?


article de la rubrique Big Brother > vidéosurveillance
date de publication : mardi 10 juillet 2007
version imprimable : imprimer


Les tentatives d’attentat de Londres et Glasgow fin juin 2007 ont attisé le désir du gouvernement de se conformer au modèle anglais [1] et de rattraper le prétendu retard de la France dans l’équipement de vidéo-surveillance.

Si l’efficacité, sans cesse proclamée, de la vidéosurveillance pour empêcher les attentats, est loin d’être prouvée [2], la vidéosurveillance des lieux publics « constitue une menace pour les droits fondamentaux », comme le réaffirmait une commission européenne d’experts [3].

La LDH ne partage pas l’avis de M. Sarkozy qui affirme que « le débat caméras-libertés individuelles est un débat totalement dépassé » [4]. Des résistances persistent, comme aux Etats-Unis, ce groupe qui joue des pièces de théâtre devant les caméras de surveillance [5].


Le gouvernement envisage l’installation d’un système de vidéosurveillance à l’échelle nationale

LeMonde.fr avec AFP, 4 juillet 2007

A l’aune de l’enquête rapide menée par la police britannique après les attentats ratés de Londres et Glasgow, la France envisage désormais la mise en place d’un "plan de grande ampleur de caméras en France", a annoncé, mardi 4 juillet, le porte-parole du gouvernement, Laurent Wauquiez, qui indique que Nicolas Sarkozy a demandé au gouvernement de mener une réflexion en ce sens.

"Le président de la République a mentionné que cette vague d’attentats en Angleterre devait nous amener à réenclencher rapidement la réflexion au niveau du gouvernement", a indiqué M. Wauquiez, lors du compte rendu du conseil des ministres qui a eu lieu dans la matinée.

M. Wauquiez a fait valoir que le système de surveillance britannique, qui compte quelque 4,2 millions de caméras à travers le pays, permet "d’assurer mieux la sécurité du territoire". "Le but, c’est [de] voir dans quelle mesure ce système peut permettre ou non d’améliorer la sécurité en France", a-t-il poursuivi, s’attendant à des propositions concrètes de la part des ministres "rapidement".

65 000 CAMÉRAS À LONDRES, 300 À PARIS

La question de la surveillance électronique comme arme contre le terrorisme avait déjà refait surface, en début de semaine. François Fillon l’avait évoquée, mardi, lors de son discours de politique générale, estimant que la France n’était "pas à l’abri" du terrorisme. Lundi, Philippe Goujon, député UMP du 15e arrondissement et président de la fédération UMP de Paris, avait, quant à lui, demandé la mise en place "urgente" d’un système de vidéosurveillance dans la capitale.

M. Goujon, qui avait déjà fait une demande similaire devant le conseil de Paris en 2005, juge que Paris, qui ne possède que 300 caméras de surveillance, est très en retard en la matière. Il en veut pour preuve qu’à Londres, où il en existe plus de 65 000, "on a constaté une baisse de la délinquance". Il a indiqué qu’il présentera à nouveau sa proposition au conseil de Paris, le 16 juillet.

La loi d’orientation n° 95-73 du 21 janvier 1995 relative à la sécurité stipule que toute "installation d’un système de vidéo-surveillance [...] est subordonnée à une autorisation du représentant de l’Etat dans le département et, à Paris, du préfet de police". La CNIL ajoute que ces installations sont également subordonnées à "l’avis d’une commission départementale, présidée par un magistrat de l’ordre judiciaire".

________________________

« Des caméras peu efficaces pour prévenir la délinquance »

Eric Heilmann, chercheur, analyse l’impact de la vidéosurveillance

par Jacky Durand, Libération, mardi 10 juillet 2007

Maître de conférence à l’université Louis-Pasteur de Strasbourg, Eric Heilmann a
analysé avec Marie-Noëlle Mornet les travaux des chercheurs britanniques sur
l’impact de la vidéosurveillance [6]. Il revient sur les annonces de Nicolas Sarkozy en matière de déploiement de caméras et sur les préoccupations de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

  • Partagez-vous l’avis de Sarkozy, « impressionné » par la police britannique et
    ses caméras ?

Je suis étonné qu’il soit aussi peu informé des travaux des chercheurs
britanniques qui étudient depuis quinze ans l’efficacité de la
vidéosurveillance dans leur pays. Ils concluent tous que les caméras ont
apporté rarement la preuve de leur efficacité dans la prévention de la
délinquance. Quant à la résolution d’enquêtes, la vidéosurveillance peut
accélérer l’obtention de résultats à condition d’être précédée d’un travail de
renseignements. Les caméras ne servent à rien si l’on ne sait pas ce que l’on
cherche. Prenez les attentats de Londres, en juillet 2005, c’est parce que la
police britannique avait été informée de l’identité potentielle des supects
qu’elle a pu ensuite les reconnaître sur des images. Cela a été possible parce
que des centaines d’enquêteurs ont été mobilisés pour visionner 15 000 vidéos.
Penser que l’on pourrait mobiliser de telles ressources humaines pour des actes
criminels de moindre ampleur serait se moquer du monde.

  • Les caméras ont tout de même des répercussions ?

La vidéosurveillance peut provoquer un déplacement de la délinquance et un
changement des modes opératoires des auteurs d’infraction. Les vols de voitures
ont lieu en périphérie après l’installation de caméras au centre-ville. Les
cambriolages surviennent la nuit au lieu de la journée. Quand la
vidéosurveillance donne quelques résultats, elle est accompagnée d’autres
moyens de prévention comme l’amélioration de l’éclairage et la limitation du
nombre d’accès dans un parking. Dans aucun cas, la vidéosurveillance n’est une
mesure à tout faire.

  • Partagez-vous les craintes de la Cnil sur l’avènement d’« une société de
    surveillance » ?

Oui, on assiste à une banalisation à l’égard de cette quincaillerie sécuritaire
(caméras, badges.) qui connaît un développement incroyable sans que cela
suscite de réactions d’ampleur dans l’opinion publique. J’y vois deux raisons
majeures : premièrement, il y a une sorte d’enchantement technologique qui peut
donner l’illusion que les machines font mieux que l’homme. Deuxièmement, il y a
l’émergence d’une autre conception de la vie privée, liée au développement de la
téléréalité. Ces émissions, où les gens se font filmer sous toutes les coutures,
développent une esthétique séc uritaire. Ça ne choque plus grand monde de se
livrer au regard des autres. Les frontières entre espaces public et privé ne
sont plus les mêmes qu’il y a trente ans quand la loi informatique et liberté a
été adoptée. A l’époque, on redoutait « Big Brother » . Aujourd’hui avec le
développement des réseaux informatiques, des caméras sur Internet, chacun peut
se livrer, se dévoiler.

________________________

Surveillance Camera Players : 1984

Des performers américains dénoncent par l’absurde la vidéosurveillance.

Télérama n°2975, 17 janvier 2007

A l’écran, un moniteur vidéo. Celui d’une caméra de surveillance placée au coin de la 14e Rue et de la 7e Avenue dans une station de métro new-yorkaise. Les voyageurs défilent, pressés de rentrer chez eux ou d’aller travailler. Tout d’un coup surgissent trois personnes qui portent un carton frappé d’un numéro. Un quatrième type s’avance vers la caméra – masque de squelette sur le visage – et exhibe un grand carton sur lequel on peut lire : « Big Brother is watching you. » Bienvenue dans une pièce de théâtre un peu particulière, adaptation express et cheap de 1984, de George Orwell. Une version de dix minutes (!) écrite pour pouvoir être jouée devant l’une des milliers de caméras qui contrôlent l’espace public new-yorkais.

En dix ans d’existence, les Surveillance Camera Players – c’est le nom de ces performers américains – se sont fait une réputation parmi les défenseurs des libertés civiles. Régulièrement, ils interprètent de petites saynètes aussi absurdes que nécessaires (outre 1984, ils jouent Le Corbeau ou Le Masque de la mort rouge, de Poe, Ubu roi, de Jarry, ou encore des pièces de leur propre composition), animés par un même mot d’ordre : « Surveillons les caméras qui nous surveillent ! »

En regardant leurs exploits séditieux, teintés d’un féroce humour noir, le spectateur est forcé de se rappeler que nombre de ses mouvements sont enregistrés. Osera-t-il, la prochaine fois qu’il passe devant une caméra plantée au détour d’un couloir ou d’un carrefour, se fendre d’une petite grimace à l’intention de l’œil vidéo qui l’épie ?

Thomas Bécard

Notes

[4« Sarkozy ne se laissera "intimider par personne" », Nouvelobs.com, le 23/08/06.

[5Le site du groupe : www.notbored.org/the-scp.html.

[6Etude publiée par l’Inhes.


Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP