vers un nouveau développement de la vidéo-surveillance


article de la rubrique Big Brother > vidéosurveillance
date de publication : vendredi 24 juillet 2009
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Notre nouveau ministre de l’Intérieur n’hésite pas à déclarer que : « la vidéo-protection doit être davantage développée car elle a démontré son efficacité chez nos voisins, et par exemple au Royaume-Uni. En France, nous observons que la délinquance diminue deux fois plus vite dans les communes équipées de vidéo-protection » (Le Figaro du 15 juillet 2009).

On aimerait connaître l’origine des informations répandues avec une telle assurance par Brice Hortefeux. En effet, l’exemple anglais montre que la prétendue efficacité de la vidéo-surveillance n’est pas établie. Il n’existe pas d’étude sérieuse permettant d’affirmer la plus grande rapidité de décroissance de la délinquance dans les quartiers vidéo-surveillés [1]. D’autre part, c’est un phénomène connu, l’installation de la vidéo-surveillance dans un quartier a tendance à déplacer la délinquance vers les quartiers non équipés. Seules des statistiques globales peuvent donc donner des indications valables sur l’évolution de la délinquance. Or, d’après les déclarations ministérielles et les chiffres officiels [2], la délinquance a cessé de diminuer en France.

Tout est bon pour justifier un nouveau développement de la surveillance – voir la LOPPSI 2 – afin de contrôler toujours plus les populations tout en les rassurant [3].


Un graphisme de Bansky à Londres (il a été recouvert de peinture grise il y a quelques mois).

La vidéo-surveillance est un instrument d’exclusion

par David Murakami Wood, le 25 juin 2008 [4]


L’avantage majeur de ce système est qu’il permet de mettre les délinquants devant le fait accompli. Une fois face aux images, ils cessent de nier et la justice gagne du temps.

Mais de manière générale, les promesses liées à la vidéo-surveillance ont été très exagérées. Un rapport policier a récemment démontré que ce procédé a très peu d’effet sur la délinquance. Non seulement la vidéo-surveillance coûte très cher, mais en plus il est très difficile d’identifier les délinquants sur les images. Une présence policière accrue est bien plus efficace. Le crime est avant tout un problème social et ce n’est pas le technologie qui va le résoudre. Par contre, c’est un procédé populaire car visible. Il donne l’impression aux gens que la police prend des mesures. La vidéo-surveillance affaiblit le lien social et crée un sentiment de méfiance au sein de la société. S’ils sont témoins d’une agression, les gens auront moins tendance à intervenir car ils ont le sentiment que ce n’est plus leur responsabilité.

Le bilan demeure très négatif. Ce système entraîne une privatisation de la sécurité très inquiétante. Pour le faire fonctionner, il faut des experts et des techniciens, du coup l’Etat a recours à des compagnies privées qui ont leurs propres systèmes de formation et de recrutement. Elles sont peu contrôlées et recrutent parfois d’anciens criminels.

Enfin, la vidéo-surveillance est un instrument d’exclusion qui accentue la discrimination. La tenue vestimentaire ou la couleur de peau suffisent à faire d’une personne un criminel potentiel.

David Murakami Wood


Vidéo-surveillance, le cinéma d’Hortefeux

par Gaël Cogné, Libération le 17 juillet 2009


« La vidéoprotection […] a démontré son efficacité […]. En France, nous observons que la délinquance diminue deux fois plus vite dans les communes [qui en sont] équipées. » Brice Hortefeux

Intox

Les chiffres de la délinquance ne sont pas bons. Les violences aux personnes n’ont jamais été aussi nombreuses depuis 1996, première année prise en compte par l’Observatoire national de la délinquance. Brice Hortefeux, le nouveau ministre de l’Intérieur, a bien été obligé de le reconnaître, « la délinquance a cessé de baisser ». Depuis quelques jours, ce dernier s’est employé à déminer le terrain dans les médias et en profite pour vendre la vidéo-surveillance, pudiquement renommée vidéo-protection. Ainsi, sur Europe 1, le ministre plaçait qu’« il faut essayer d’anticiper la délinquance, avec des moyens qui ont fait leurs preuves à l’étranger, au Royaume-Uni notamment. Et on a observé en France que dans les collectivités qui utilisent la vidéo-protection, la délinquance diminuait deux fois plus vite que dans les collectivités qui n’en bénéficiaient pas. » Un message répété dans un entretien accordé mardi au Figaro : « La vidéoprotection doit être davantage développée car elle a démontré son efficacité chez nos voisins, et par exemple au Royaume-Uni. En France, nous observons que la délinquance diminue deux fois plus vite dans les communes équipées de vidéo-protection. »

Désintox

Curieuses, ces déclarations. D’abord, l’exemple britannique pas très approprié. Outre-Manche, les caméras de surveillance ont eu la cote. A tel point que Londres compte une caméra pour quatorze habitants. Mais en 2005, on déchantait. Une étude du ministère de l’Intérieur britannique (Assessing the impact of CCTV), pointait l’inefficacité de la vidéo-surveillance. En mai 2008, Mike Neville, un responsable de Scotland Yard, déclarait publiquement que la vidéo-surveillance était un « véritable fiasco ». L’un de ses services avait publié une étude concluant que 80 % des images sont inutilisables et 3 % seulement des vols auraient été résolus grâce à la vidéo-surveillance à Londres. Des caméras mal disposées, du personnel mal formé ou débordé, du matériel de mauvaise qualité… L’Angleterre fait figure d’exemple à ne pas suivre.

Ensuite, comment affirmer que la vidéo-surveillance a fait diminuer « deux fois plus vite la délinquance dans les communes équipées » ? Pour Jean-Claude Vitran, de la Ligue des droits de l’Homme, on « dit vraiment n’importe quoi. Aujourd’hui, il n’existe aucune étude sérieuse sur la vidéo-surveillance en France ». Un manque de données pointé dans un rapport du Sénat en décembre 2008 : « Encore aujourd’hui, des évaluations solides manquent en France ce qui ne laisse pas d’étonner. Les principales études […] ont été réalisées au Royaume-Uni et au Québec. L’Inhes [Institut national des hautes études de sécurité, dépendant du ministère de l’Intérieur, ndlr] pointe les difficultés pour trouver des critères et des indicateurs pertinents qui permettraient d’isoler le facteur "vidéo-surveillance" parmi tous ceux qui peuvent expliquer des variations de la délinquance. » Alors d’où le ministre tire-t-il ses informations ? Peut-être de ce rapport du ministère, jamais rendu public, mais cité dans un article du Figaro du 23 mars 2009. On y lisait que, « sur cinq ans, dans une tendance générale à la baisse des faits, le volume de la délinquance a diminué presque deux fois plus rapidement dans les espaces vidéo-protégés. » Difficile pourtant de démêler la part prise par l’action des services de police de celle de la vidéo-surveillance. Le Figaro précisait d’ailleurs que « cet outil » avait fait « reculer la délinquance » dans plusieurs villes, lorsqu’il était « combiné avec des actions traditionnelles de police ». Si rien ne prouve que la vidéo-surveillance fonctionne efficacement, elle reste très populaire. Selon un sondage Ipsos pour la Cnil de mars 2008, 71 % des Français y seraient favorables.

Gaël Cogné


Les caméras aveugles de Chaumont [5]

Le nouveau ministre de l’Education nationale, Luc Chatel, vient de faire équiper sa bonne ville de Chaumont d’un dispositif up to date de vidéo-surveillance, pardon de « vidéo-protection », comportant 9 caméras, dont 6 « dômes » motorisés, des engins très sophistiqués, dotés d’un champ de vision à 360° et de puissants zooms (jusqu’à 36 fois).

Objectif affiché par la municipalité avec cette première étape d’un coût de 50 000 euros (pris en charge à 50% par l’Etat) : « améliorer la sécurité des Chaumontais ».
Ironie du sort : trois jours après l’inauguration, une bijouterie située à deux pas de la mairie a été victime d’un violent braquage ...

Les caméras dans les écoles, une efficacité à démontrer

par Maryline Baumard, LEMONDE.FR, le 29 mai 2009


Au mieux inefficace, au pire négatif. A l’heure où le président de la République souhaite faire de la vidéo-surveillance "un moyen fondamental de la politique de sécurité", une étude de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Ile de France (IAURIF) éclaire l’impact de la mise en place de cette politique dans les établissements scolaires franciliens. La conclusion est simple : placées à l’entrée des lycées, les caméras n’empêchent pas les intrusions ; placées à l’intérieur elles n’empêchent pas les vols.

Ce travail de neuf mois mené en 2007 dans des lycées équipés et dans d’autres sans yeux électroniques, montre que "les personnes qui veulent s’introduire dans un lycée trouvent des entrées sans caméras ou se fondent dans le flux des élèves". Une entrée facilitée par le fait que… personne ne regarde vraiment les écrans de surveillance.

Sur les 10 établissements étudiés de près par les auteurs de ce travail, la majorité a placé les moniteurs dans la loge du gardien alors que ce dernier a bien d’autres tâches à assurer que de rester les yeux rivés sur ces écrans. Ils peuvent aussi se trouver dans le bureau de la secrétaire du proviseur.

Usage rétroactif

L’usage majeur qui est fait de cet outil est donc rétroactif. Les images ne sont regardées qu’en cas de problème. Souvent pour rien d’ailleurs car la présence de ce "big brother" induit des stratégies de contournement des lycéens qui, contrairement aux idées reçues, ne vandalisent pas les caméras, mais s’y adaptent.

"Les études britanniques nous montrent qu’on n’élucide que 10 % à 15 % des actes grâce à la vidéo-protection", rappelle Sylvie Chérer, la responsable des études à l’IAURIF.

C’est d’ailleurs bien souvent au moment des problèmes que des parents découvrent cette video-surveillance. "Les lycées visités ne respectent pas tous cette obligation d’information du public définie par la loi de 1995. Plus généralement, la communication sur l’existence de ce type de dispositif à destination des lycéens et des parents d’élèves est bien souvent sommaire", précise encore le rapport.

Inefficace sur les intrusions, cette surveillance a tout de même un impact positif : elle "limite assez bien les vols de vélos"… alors qu’elle n’a pas d’impact réels sur les larcins qui se déroulent à l’intérieur de l’établissement. "Il faut bien dire qu’une caméra placée dans un long couloir rectiligne ne peut pas servir à grand chose", rappelle Sylvie Chérer. Ce qui semble être assez souvent le cas dans les établissements très équipés qui ont été mal conseillés.

En revanche, Tanguy le Goff, le sociologue auteur du rapport a noté que "lorsque cet outil est vraiment pensé comme un appui à l’ordre scolaire, il peut diminuer les petits désordres. A condition qu’il y ait eu communication sur l’usage des caméras avec les élèves et que dès qu’un acte répréhensible est repéré, une réponse y soit apportée".

Evidemment, pour cela il faut regarder les écrans de contrôle. Ce qui nécessite du personnel ! Or, le sociologue note aussi que "ce sont les lycées aux effectifs de surveillance les plus faibles qui sont le mieux équipés". La boucle est bouclée. Une nouvelle fois, la technique ne remplace donc pas les hommes et ne les aide dans la gestion quotidienne que lorsque ces conditions (de bonne situation géographique, de personnel assigné à la lecture) sont respectées et qu’une politique globale de sécurité existe.

C’est justement pour aider la région Ile-de-France à décider qui équiper et comment le faire, que ce rapport avait été réalisé. Sur les 468 lycées généraux, technologiques et professionnels franciliens, 281 comptaient déjà des caméras de surveillance en 2007. 197 en avaient moins de cinq et 22 plus de quinze. Or, ceux qui sont le plus équipés ne sont pas toujours situés dans des zones difficiles. Le sentiment d’insécurité n’est pas en relation directe avec le nombre d’incidents qui se produisent.

Maryline Baumard


Notes

[1Cette affirmation est reprise d’un rapport du ministère de l’Intérieur qui n’a jamais été rendu public.

[3« Sécurité, mensonges et vidéo-surveillance », par Claude-Marie Vadrot, Politis, 19 juillet 2007.

[4Extrait de l’article http://observers.france24.com/fr/co..., de David Murakami Wood, chercheur anglais spécialisé dans les relations entre technologie de surveillance et société.

[5D’après L’affranchi de Chaumont du 12 juin 2009


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