absentéisme scolaire : l’inquiétante dérive de l’Education nationale


article de la rubrique discriminations > “violence” des jeunes
date de publication : lundi 7 février 2011
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L’encre du décret n° 2011-89 du 21 janvier 2011 était à peine sèche que la circulaire n° 2011-0018 du 31 janvier était publiée au Bulletin officiel de l’Éducation nationale [1]. Une circulaire de 10 pages destinée à faire de « la lutte contre l’absentéisme scolaire [...] une priorité absolue qui doit mobiliser tous les membres de la communauté éducative. »

Une circulaire écrite dans la grande tradition de la langue de bois administrative :

« En mettant en œuvre la loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire, dont l’esprit réside dans le dialogue continu, l’École ne laissera plus aucun élève courir le risque de la déscolarisation, prélude à la désocialisation et, parfois même, à la délinquance.
« Au sein du nouveau dispositif, la suspension des prestations familiales constitue l’ultime recours, mais son unique objectif est d’impliquer les familles, parfois très éloignées du monde de l’école, dans la scolarité de leur enfant, en améliorant le dialogue entre les parents d’élèves et le reste de la communauté éducative. »

A signaler : la Cnil n’ayant pas – pas encore ? – autorisé le recours à des traitements informatiques pour « la transmission des demandes de suspension à la Caf », celle-ci se fera « par courrier papier, élève par élève, le dernier jour de chaque mois ». Pour une raison analogue, « les dossiers des absences des élèves, constitués au niveau de l’inspection académique pour en assurer le suivi », seront individuels.


Martin Lartigue dans La guerre des boutons

Absentéisme : l’inquiétante dérive de l’Education nationale

par Bernard Girard
Journal d’école


Une circulaire qui n’a plus rien à voir avec l’éducation, une circulaire qui n’a pas sa place au Bulletin officiel mais dans le Code pénal, une circulaire qui déshonore toute l’institution, une circulaire de police. Et pourtant, elle existe. La loi suspendant les allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire, une loi issue des fantasmes sécuritaires de politiciens populistes, vient de trouver sa traduction règlementaire au BOEN du 3 février 2011. Admirons au passage la célérité avec laquelle l’administration centrale de l’Education nationale s’est couchée devant le pouvoir politique, malgré – il n’est pas inutile de le rappeler – l’opposition unanime du Conseil supérieur de l’éducation (CSE). Tout au long de ces dix pages – pas moins – au ton lourdement comminatoire, brutal, presque hargneux, signées par Chatel, on chercherait en vain quelque chose qui se réfère à une quelconque préoccupation éducative. Par la menace, par la sanction visant les familles les plus modestes, l’Education nationale se dédouane de toute responsabilité dans un phénomène qui n’a pour cause ni la négligence des parents ni la paresse des élèves mais plus simplement l’échec scolaire, un échec que la politique menée ces dernières années ne fait qu’amplifier.

Le plus affligeant reste encore que la circulaire va encore plus loin dans la brutalité et la bêtise que ce que la loi exige : de la punition pour l’élève « dès la première absence non justifiée », à la saisine du procureur de la République par l’inspecteur d’académie, l’école buissonnière est érigée au rang de délit. La prochaine étape consistera sans doute à emprisonner les parents d’élèves absentéistes, comme cela se fait en Grande-Bretagne, malgré les résultats désastreux attestés par le fait que cette mesure n’a fait qu’aggraver le phénomène. Avec le maintien de la suspension au-delà de l’année scolaire, la circulaire sombre dans mesquin et le ridicule : en cas d’absentéisme au mois de juin, les allocations ne seront pas versées en juillet-août. Le rédacteur de la circulaire ne semble pas douter un seul instant qu’après de bonnes et belles vacances passées sur le bitume du quartier, l’élève reviendra « parfaitement assidu » à la rentrée de septembre. Enfin, il est même envisagé qu’un élève âgé de 18 ans pourrait faire l’objet d’une mesure de suspension quoique la scolarité ne soit obligatoire que jusqu’à 16 ans !

Pour « piloter efficacement la prévention et le traitement de l’absentéisme », on compte bien sûr sur la diligence des établissements, en première ligne pour faire appliquer une mesure qu’ils n’ont pas demandée, imposée par le seul caprice du pouvoir politique. La suite des événements dira si le versement d’une prime de 6000 euros aux principaux et proviseurs qui en seront jugés dignes par leur hiérarchie saura lever les scrupules et les hésitations des intéressés et si certains d’entre eux éprouveront de la honte à arrondir leurs fins de mois avec l’argent public pris sur le dos des familles les plus pauvres.

Pour ce qui les concerne, les enseignants forment le premier maillon de la chaîne punitive qui conduit jusqu’au procureur : « chaque enseignant prenant en charge une classe – est-il précisé – procède à l’appel des élèves ». Entre le zèle et l’empressement de quelques-uns et les réticences, les scrupules, voire le refus des autres à faire appliquer un texte dont la légitimité est aussi douteuse, ce sont, au-delà de l’éducation, les principes les plus élémentaires de justice sociale qui se trouvent interrogés.

Le 4 février 2011

Notes

[1Obligation scolaire. Vaincre l’absentéisme : circulaire n° 2011-0018 du 31-1-2011, publiée au BOEN n° 5 du 3 février 2011. Pour le décret, voir cette page absentéisme scolaire et allocations familiales : la démagogie sarkozyste.


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