Les 7 et 8 avril 2010 se sont déroulés les très officiels États généraux de la sécurité à l’école.
Opération médiatique s’il en est... qui faisait écho aux incantations présidentielles.
Après les élections, retour aux fondamentaux
Extrait de la déclaration de Nicolas Sarkozy, depuis le palais de l’Elysée, le mercredi 24 mars 2010, quelques jours après le second tour des élections régionales. [1].
« Enfin, la sécurité est une priorité. Une action déterminée conduite avec constance depuis des années nous a permis de faire baisser le nombre des délits, personne ne le conteste.
Mais nous n’avons pas jugulé la montée de la violence dans les stades, dans les transports, dans les établissements scolaires. Cette situation ne peut pas durer. Je suis décidé à m’engager personnellement dans la lutte contre cette
violence, la plus brutale, qui est devenue intolérable pour chacun d’entre vous.
Ceux qui attendent ou qui espèrent une réaction ferme de ma part ne seront pas déçus.Le malaise, que beaucoup d’entre vous ont exprimé vis-à-vis de la démocratie et de la politique en s’abstenant ou en choisissant des votes protestataires, n’a d’autre origine que le fait que pendant trop longtemps collectivement la société française a trop cédé sur ses valeurs, sur ses principes, valeurs et principes qui fondent notre pacte civique et notre
pacte social.Trop longtemps on a toléré que la violence pénètre à l’école, que l’agresseur soit traité avec plus d’égard que la victime, que le travail soit dévalorisé, que le mérite ne soit plus récompensé.
Eh bien, je m’y engage, il n’y aura plus aucune concession.Trop longtemps nous avons supporté les atteintes à la laïcité, à l’égalité de l’homme et de la femme, les discriminations, l’irresponsabilité de certains parents qui ne s’occupent pas de l’éducation de leurs enfants.
Ce n’est plus supportable.Trop longtemps nous avons accepté les concurrences déloyales, les dumpings qui détruisent nos emplois.
Ce n’est plus acceptable.Trois sujets de l’actualité récente vont illustrer mon état d’esprit.
L’absentéisme scolaire est un fléau. La responsabilité des parents doit être engagée, les sanctions en matière d’allocations familiales doivent être effectives, les jeunes qui ne peuvent pas suivre une scolarité normale seront placés dans des établissements adaptés où ils ne perturberont plus la vie des autres et où ils feront l’objet d’un accompagnement spécifique. [...]
Voici ce que le juge Jean-Pierre Rosenczveig écrivait sur son blog le 29 mars suivant [2] :
« Dans la feuille de route délivrée au gouvernement par le Président de la République au lendemain des élections régionales [...], on n’a pas été surpris de retrouver la question de la sécurité. On se demande ce qui a bien pu se passer dans la dernière période qui justifie que ce thème revienne en force, mais la politique à des mystères que les sciences sociales n’expliquent pas toujours. Le gouvernement aurait-il été défaillant ? On n’a pas entendu d’autocritique en ce sens. Y aurait-il eu une flambée d’actes délictueux ? Que nenni !
« Tout cela a déjà un goût de campagne électorale. 2012 avance à grands pas.
« Quitte à revenir aux fondamentaux on n’oublie pas que les thèmes de l’insécurité et de la peur sont électoralement payants. Certains hommes politiques de l’actuelle majorité proposent même de réduire le gouvernement à deux postes : emploi et sécurité !
« Une fois de plus on met le focus sur les enfants, source majeure d’insécurité – ce qui fait quand même rire dans cette période où une crise majeure démolit l’appareil de production –, en l’espèce sur l’absentéisme scolaire et donc sur l’oisiveté dans lequel se retrouvent nombre de jeunes, sachant que l’oisiveté est mère de tous les vices ! Il s’agit aussi de prendre des mesures contre ces élèves qui la tête ailleurs perturbent singulièrement le travail de ceux qui veulent étudier. On ne le dit pas, mais on le pense tellement fort qu’il est impossible de ne pas l’entendre : on vise les enfants de certains groupes sociaux, de certains quartiers, pour ne pas dire de parents venus d’ailleurs. »
La violence
Le chercheur Eric Debarbieux, président de l’Observatoire international de la violence à l’école et du comité scientifique des Etats généraux de la sécurité à l’école, ne croit pas à une augmentation globale de la violence en milieu scolaire, mais plutôt à une concentration des difficultés dans « 5 à 10% des établissements, situés dans des zones défavorisées » [3].
Dans une tribune publiée dans Le Monde, il a écrit [4]
« La violence paroxystique est plus rare qu’on ne l’imagine, y compris dans le pays qui pour l’opinion publique est celui des massacres scolaires : les Etats-Unis. Sait-on suffisamment, par exemple, que contrairement à une opinion bien ancrée le nombre d’élèves de moins de 18 ans morts par assassinat dans les écoles américaines a baissé depuis 1992 – passant d’environ 40 morts annuel à 21 – 21 de trop bien sûr.
« Quant à la violence “d’intrusion” – qu’il faut prendre en compte –, elle reste rare : toutes les études le montrent, ce sont moins de 10 % des faits graves qui sont perpétrés par des intrus, et encore ces intrus sont-ils souvent en lien avec l’établissement (anciens élèves, familles). »
L’absentéisme
En fait, selon le ministère de l’éducation nationale, le taux d’absentéisme est stable, touchant 5 % des élèves du second degré en moyenne. Mais il existe de fortes disparités selon les établissements : dans un lycée professionnel sur dix, près d’un tiers des élèves serait concerné [5].
La suppression des allocations familiales
Sur le blog de Jean-Pierre Rosenczveig [2] :
« C’est la réponse suggérée qui a surpris lorsqu’on a entendu le président de la République resservir le plat de la suppression des allocations familiales déjà avancé nombre de fois, y compris dans sa famille politique, avant que l’on ne s’accorde régulièrement sur les limites d’une telle stratégie.
« Un décret de 2004 avait supprimé la possibilité de retirer les allocations familiales dans ce cas. La loi dite de “cohésion sociale” de 2006 l’a réintroduite avec un dispositif sophistiqué où l’Inspection d’académie ou le maire, inquiets de l’absentéisme d’un enfant peuvent saisir le président du conseil général afin que celui-ci évaluant la situation fasse des propositions à la famille et en cas de refus bloque le versement des allocations familiales. On parle d’une manière un peu abusive de “contrat de responsabilité parentale”. Le maire peut lui aussi faire une offre de service à la famille en s’appuyant sur le Conseil des droits et devoirs des familles créé par la loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance. »
L’efficacité d’une telle mesure fait débat parmi les spécialistes de l’éducation. Eirick Prairat, professeur en sciences de l’éducation qui travaille sur la sanction et l’autorité, considère cette mesure comme « très largement inutile ». « L’exemple de nombreux pays, assure-t-il, montre que c’est plutôt le contraire qu’il faut faire : aider notamment financièrement les familles plutôt que de les affaiblir. » [5]
Dimanche 28 mars, le ministre de l’éducation nationale, Luc Chatel, a plaidé pour que la responsabilité du dispositif qui peut conduire à de telles sanctions soit transférée du président du conseil général au préfet...
Il y a six ans ...
Le 10 Février 2004, Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, entamait par la cité de Hautepierre à Strasbourg, ses visites prévues dans 23 quartiers recensés comme très difficiles. Voici comment Maire info relatait ce déplacement [6] :
« Nicolas Sarkozy a entamé, lundi, dans la cité de Hautepierre à Strasbourg, ses visites prévues dans les 23 quartiers recensés comme très difficiles, en mettant l’accent sur la lutte contre l’absentéisme scolaire et en se défendant des accusations de “stigmatisation” portées par les habitants.
« “L’absentéisme, c’est la première étape vers la délinquance”, a déclaré le ministère de l’Intérieur selon qui un dispositif anti-absentéisme sera mis en place dans les deux collèges de Hautepierre dès 2004, avec la présence d’un correspondant “absentéisme”. Ce dispositif devrait également être installé dans les 22 autres quartiers difficiles.
« Le correspondant appellera la famille dès le premier jour d’absence d’un élève, préviendra la police si la famille n’agit pas et finalement le procureur de la République sera mis au courant si “cela ne suffit pas”.
« Le ministre a rappelé toutes les actions prévues dans son plan pour les 23 quartiers difficiles : le correspondant “absentéisme”, un référent policier pour chaque établissement scolaire et des places réservées en internat pour les jeunes de ces quartiers.
« Nicolas Sarkozy s’est défendu de vouloir montrer du doigt qui que ce soit par ces visites dans des quartiers difficiles. “Personne ne veut stigmatiser Hautepierre”, a-t-il dit lors d’une réunion avec des habitants et des animateurs sociaux. “Mais cessons avec le terrorisme de l’immobilisme”. “Ici, il y a des problèmes. Avoir choisi Hautepierre est une chance car il y aura des moyens supplémentaires et de nouvelles méthodes d’action qui auront vocation à être généralisées”, a-t-il affirmé.
« “Pendant trop d’années, on a accepté l’inacceptable, quand des bus étaient caillassés, on organisait des colloques, on a banalisé ce qu’on n’aurait jamais dû accepter. La garantie de la prévention c’est que l’impunité, c’est terminé”, a dit le ministre.
« Dans le plan qu’il a présenté le 26 janvier, M. Sarkozy a recommandé aux préfets et aux acteurs locaux de renforcer à la fois répression et prévention.
“Je reviens dans six mois”, a-t-il lancé lundi à Hautepierre. D’ici là, il a demandé “des propositions précises”, s’engageant à “mobiliser les moyens” nécessaires.« “Même si la délinquance sur la voie publique a baissé de 9% en 2003, on n’a pas gagné la bataille” à Hautepierre, a-t-il dit, évoquant des incidents graves comme l’incendie du centre culturel du Maillon en octobre et “un chiffre qui ne va pas”, à savoir l’augmentation de 2% de la délinquance en 2003 (en baisse de 5% à Strasbourg).
« “Le problème réel, c’est le travail pour tout le monde”, lui a dit un jeune de la cité, parmi une vingtaine admis dans le gymnase après la réunion et contenus jusque alors derrière des barrières métalliques. “Nous, est-ce que vous nous considérez comme des habitants ou comme des délinquants ?” “J’ai une licence de biologie, j’ai 25 ans et je n’ai pas de travail, en braquant les projecteurs sur nous, vous ne nous aidez pas”. “Est-ce que c’est aux profs et aux éducateurs de jouer aux flics ?”, ont-ils demandé au ministre.
« Le ministre a fixé comme objectif une “baisse de 3% de la délinquance et de 5% des violences urbaines en 2004” dans le quartier, annonçant la mise en place d’une BAC (brigade anti-criminalité), l’ouverture d’un service d’aide aux victimes au commissariat et d’une permanence de travailleurs sociaux au poste de police. »
Terminons en citant à nouveau Eric Debarbieux [4] :
« La sociologie de la violence à l’école reste en partie une sociologie de l’exclusion sociale. »
C’est ce qu’a exposé Russell Skiba, professeur de psychologie de l’éducation au Centre pour l’évaluation et la politique éducative de l’université de l’Indiana (États-Unis), dans son intervention aux États généraux de la sécurité à l’école [7].
Cette approche a d’abord été adoptée par l’administration Reagan dans le domaine de la lutte contre la drogue et a rapidement gagné l’éducation.
Au début de 1988, des écoles dans tout le pays ont adopté des mesures de tolérance zéro sur tous les sujets, depuis les signes vestimentaires d’appartenance à une bande jusqu’à l’utilisation d’appareils à musique.
Une réaction fréquente à la violence à l’école a consisté, dans les années 1990, à vouloir "briser" les fauteurs de troubles par des mesures de plus en plus dures, appliquées à tous les élèves.
Les exclusions temporaires et définitives se sont multipliées en réplique aussi bien à de graves qu’à de mineures perturbations, afin de faire passer le message que plus aucune perturbation ne serait tolérée.[...]
En 2005, l’association américaine de psychologie (APA) a mandaté un groupe d’études sur la tolérance zéro afin d’éclairer cette question. Son rapport, publié en 2006, affirme que cette politique "a échoué à instaurer un système efficient en matière de discipline scolaire".
La conclusion est que cette approche semble associée à un climat scolaire insatisfaisant, sans preuve d’amélioration de la sécurité ou de la discipline.
Beaucoup d’écoles ont aussi commencé à installer des détecteurs de métaux et des dispositifs de vidéo surveillance. Là encore, il n’y a aucune preuve que cela aurait amélioré la sécurité.
Aujourd’hui, beaucoup de services de police et de juges pour enfants sont désillusionnés sur la tolérance zéro, la délinquance étant d’autant plus susceptible d’augmenter que plus de jeunes exclus de l’école se retrouvent dans la rue.
Très certainement. L’association américaine de psychologie est l’une de nos organisations professionnelles les plus respectées et la plus importante dans son domaine.
Depuis le milieu des années 1990, les chercheurs sur la violence à l’école aux Etats-Unis et ailleurs ont mené des travaux qui ont validé une large variété de stratégies efficaces pour prévenir la violence et améliorer la conduite des élèves sans les priver d’études.
Ces résultats ont aussi mené des organisations professionnelles, comme la fédération américaine des professeurs et l’association nationale des principaux d’écoles secondaires, qui soutenaient auparavant la tolérance zéro, à se tourner de plus en plus vers des alternatives.
Le groupe d’études de l’APA, de même que des enquêtes commanditées par le ministère de l’éducation, recommandent une approche plus préventive, et des mesures que nous appelons de "discipline graduée" où la sanction est proportionnée à l’acte.
Ces rapports et nos meilleurs résultats de recherche suggèrent de prévenir la violence par un effort sur trois niveaux : la construction d’un climat scolaire positif, le repérage et l’intervention rapide et des réponses prévues d’avance à toute perturbation ou violence.
Ce n’est pas avec des solutions figées que nous progressons le plus, mais plutôt en utilisant des recherches solides qui nous permettent de comprendre la nature des menaces.
[2] Référence : Pour une poignée d’euros.
[3] Le Figaro, 6 avril 2010.
[4] Eric Debarbieux, « Pas de schémas simplistes pour aborder un phénomène complexe », Le Monde du 3 avril 2010 : http://www.lemonde.fr/opinions/arti....
Eric Debarbieux est l’auteur de Les Dix Commandements contre la violence à l’école, éd. Odile Jacob, 241 p., 22 €.
Voir également le rapport (pdf) de la mission sur les violences en milieu scolaire, remis en mars 2010 au ministre de l’éducation nationale, publié sur le site du Parisien.
[5] Benoît Floc’h, « Suspension des allocations familiales : le gouvernement en appelle à la loi », Le Monde du 1er avril 2010 : http://www.lemonde.fr/societe/artic....
[6] Référence : http://www.maire-info.com/article.a....
[7] Cet entretien a été publié dans Le Monde du 8 avril 2010, avec l’intitulé « Violences à l’école : "Une discipline graduée plutôt qu’une tolérance zéro" ».