et Nicolas Sarkozy créa les “établissements de réinsertion scolaire”


article de la rubrique discriminations > “violence” des jeunes
date de publication : samedi 31 juillet 2010
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Le 5 mai dernier, Nicolas Sarkozy avait annoncé sa décision de créer à la rentrée prochaine des structures d’un type nouveau, les « Établissements de réinsertion scolaire » ou ERS. C’était une des informations qui ressortaient d’un long discours présidentiel consacré aux violences scolaires et à l’absentéisme, prononcé devant un aréopage de ministres – dont « chère Michèle » et « cher Luc Chatel » –, préfets, procureurs généraux, recteurs et inspecteurs d’Académie. Une simple circulaire, publiée au Bulletin officiel du 29 juin 2010, a suffi pour concrétiser la décision présidentielle.

Les ERS seront des internats réservés à des élèves « particulièrement perturbateurs », âgés de 13 a 16 ans, ayant été « au moins une fois » exclus d’un établissement d’enseignement, mais qui ne relèvent pas « d’un placement dans le cadre pénal ». Ce ne seront pas des Centres éducatifs fermés, mais ils seront fondés « sur une pédagogie qui mettra l’accent sur l’apprentissage de la règle, le respect de l’autorité et le goût de l’effort ». Les jeunes y seront pris en charge par des équipes constitués d’enseignants, d’éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, et de jeunes accomplissant un service civique.

A la suite de l’analyse de Bernard Girard qui considère qu’il s’agit là de « colonies pénitentiaires », vous pourrez prendre connaissance de la partie de l’allocution présidentielle du 5 mai qui évoque les ERS.


Elèves perdus, élèves punis : le ministre de l’Education nationale rouvre des colonies pénitentiaires

par Bernard Girard, Journal d’école, 16 juillet 2010 [1]


Sans aucune concertation, par une simple circulaire parue au Bulletin Officiel (29/06/2010), le ministre de l’Éducation nationale décide l’ouverture d’un nouveau type d’établissements qui devraient voir le jour durant l’année 2010-2011. Ces établissements dits de « réinsertion scolaire » (ou ERS, c’est leur dénomination officielle) s’appuient en réalité sur des principes qui n’ont plus rien à voir avec l’école ou la scolarité.

Il s’agit de recevoir dans le cadre d’un internat des élèves qualifiés de « particulièrement perturbateurs » mais dont il est bien précisé qu’ils ne relèvent pas « d’un placement dans le cadre pénal ». Cependant, s’ils ne sont pas délinquants, ils sont traités comme tels, comme le montrent en particulier les modalités d’inscription qui vont jusqu’à déposséder les parents de leurs droits éducatifs les plus élémentaires : quoique l’accord de la famille soit sollicité, il n’est plus obligatoire, en cas de refus, « une saisine du procureur peut être engagée par l’inspecteur d’académie (…), afin que puisse être étudiée l’opportunité de prononcer un placement. », un placement dont il est par ailleurs précisé qu’il « durera aussi longtemps que nécessaire ». Autrement dit, il ne s’agit donc pas d’inscription dans un établissement scolaire mais d’enfermement privatif de liberté, sur simple décision administrative, pour des élèves âgés de 13 à 16 ans qui ne sont pas délinquants. Un arbitraire proprement ahurissant qui ne se donne même pas la peine de respecter les règles du droit.

L’encadrement devrait être assuré par des enseignants « sur la base du volontariat », qui n’auront de fait reçu aucune formation particulière mais aussi avec des « partenaires locaux », parmi lesquels … le ministère de la Défense, dont on se demande bien quelles peuvent être les compétences éducatives.

L’emploi du temps regroupe les activités purement scolaires sur la seule matinée, le reste étant consacré à diverses occupations, qualifiées d’ « ateliers citoyens », menées en collaboration avec des partenaires choisis notamment dans les ministères de la Justice, de la Défense et de l’Intérieur. Avec ce que le directeur général de l’enseignement scolaire, auteur de la circulaire, appelle sans rire « une organisation du temps innovante », on ne voit pas comment des élèves déjà en difficulté pourraient suivre une scolarité digne de ce nom et réintégrer le cursus scolaire normal. Ce n’est d’ailleurs pas l’objectif : il est bien précisé que le DNB (diplôme national du brevet) ou les ASSR (attestation scolaire de sécurité routière), exigibles de tout collégien, ne devront ici faire l’objet de certification que « chaque fois que cela est possible ». C’est donc bien d’une mise à l’écart définitive qu’il s’agit, prélude à une « orientation » expéditive vers le monde du travail : si le statut scolaire est envisagé pour respecter les formes, il est bien précisé que les plus âgés n’auront guère le choix qu’entre le lycée professionnel et l’apprentissage.

Avec cette circulaire, on se trouve en face de quelque chose qui ne respecte aucune des règles traditionnellement en vigueur en matière éducative : des élèves, souvent très jeunes (13 ans…), qui n’ont commis aucun délit, se voient ainsi enfermés d’autorité, pour un temps indéfini, dans quelque chose qui ressemble plus à la prison ou à la caserne qu’à un établissement scolaire. Une initiative pas entièrement nouvelle, qui remet au goût du jour les sinistres colonies pénitentiaires – Mettray, Aniane, Belle-Ile-en Mer – de la fin du 19e siècle, où des générations de pauvres gosses, issus de milieux défavorisés, passaient leur jeunesse avant d’être remis entre les mains du patronat, soumis aux caprices d’un encadrement brutal et incompétent.

L’ouverture de ces établissements est à mettre en regard de la politique éducative menée par le gouvernement : augmentation des effectifs, fermeture des petits établissements, suppression des enseignants spécialisés, remise en cause de l’éducation prioritaire, disparition de la formation des enseignants, économies budgétaires en tout genre ciblées sur les mouvements pédagogiques, les psychologues scolaires, la santé scolaire. Autrement dit, une politique qui touche les élèves les plus en difficulté et favorise l’échec scolaire, que l’on prétend en retour combattre par des mesures aussi brutales qu’inefficaces.

Une vingtaine de ces établissements regroupant chacun 15 à 30 élèves seraient prévus : ainsi, parce qu’on aura enfermé quelque 3 à 400 élèves, c’en sera fini des élèves qui perturbent à eux seuls le bon fonctionnement du système éducatif. Cette initiative, annoncée sans aucune concertation, élaborée dans le secret du cabinet par le porte-parole du gouvernement et accessoirement ministre de l’Éducation nationale, est évidemment hautement politique. Elle est le fruit du caprice d’un président de la république et d’une partie de la classe politique qui, avec ténacité, depuis des années, considèrent les difficultés scolaires comme une marque de délinquance. La création de ces écoles-prisons doit être replacée dans un contexte qui fait de l’éducation l’otage, le jouet de considérations purement électoralistes et de la nécessité de prendre des voix à l’extrême-droite : pendant deux ans encore, l’École doit s’attendre à voir d’autres initiatives du même acabit, qui l’éloignent toujours plus des obligations et des principes du service public d’éducation.

Bernard Girard


Au palais de l’Élysée, le 5 mai 2010 (© Présidence de la République - C. Alix)

Discours de Nicolas Sarkozy sur les violences scolaires et l’absentéisme (extrait) [2]

Palais de l’Élysée, le 5 mai 2010.

Dernier point, les établissements les plus difficiles. Là, il y a une question sur laquelle nous avons beaucoup travaillé, qui est celle des adolescents avec qui « on a tout essayé » au sein de structures traditionnelles et pour qui cela n’a pas marché. Un seul ou deux de ces cas dans un établissement de plusieurs centaines de lycéens et vous avez tout le lycée qui est pénalisé.
Ce sont des jeunes qui ne trouvent plus leur place dans les classes ordinaires. Combien de fois dans mes visites ai-je vu des collégiens de 19 ans en 3e ! Imaginez les conséquences sur les autres. Ce sont des jeunes devenus « ingérables », et qui empoisonnent la vie de leurs camarades comme de leurs professeurs, en même temps qu’ils détruisent la leur.

Aujourd’hui, il n’y a pas de réponse adaptée, on se contente parfois de s’en débarrasser, on les exclut, la belle affaire ! Déjà, ils ont de l’eau jusqu’au front, on appuie sur la tête. Ou alors on les inscrit dans un autre établissement où, les mêmes causes ne produisant pas les mêmes effets, mais des effets pires, cet autre établissement voit sa vie totalement perturbée. Et en fait, on crée les conditions pour que chaque année sortent de nos établissements quelques centaines de jeunes désespérés, incontrôlables, n’ayant déjà plus aucune limite.

Je sais qu’il existe les « dispositifs relais », qui consistent à faire sortir temporairement de la classe les élèves perturbateurs. Ces dispositifs permettent à de nombreux jeunes de reprendre pied. Ils sont utiles, on va les développer. Mais acceptons de regarder la situation en face, les dispositifs relais ne sont en rien adaptés aux cas les plus difficiles auxquels vous vous trouvez confrontés.
Pour ce dernier public, aucune réponse éducative n’est prévue à l’heure actuelle. Ils semblent condamnés à la délinquance. Et c’est eux que l’on va retrouver à la case « centres éducatifs fermés », dispositif, chère Michèle, qui relève de la justice pénale. C’est-à-dire qu’une fois qu’ils auront rendu la vie bien impossible à tous leurs lycées et aux professeurs, ils passent directement à la case pénale.

Pour combler ce manque, je vous annonce que nous avons décidé de créer à la rentrée prochaine des structures d’un type nouveau, basées sur une pédagogie qui mettra l’accent sur l’apprentissage de la règle, le respect de l’autorité et le goût de l’effort. Tout ce qu’il y a de plus moderne. Tout ce qu’il y a de plus nouveau, une grande rupture, le goût de l’effort, le respect de l’autorité, l’apprentissage de la règle. Il s’agira d’internats accueillant, pour une durée d’au moins un an, vingt ou trente élèves de 13 à 16 ans. Ces jeunes auront la particularité d’avoir été exclus au moins une fois par décision d’un conseil de discipline.
Outre la maîtrise des savoirs fondamentaux, l’enseignement accordera une place importante à la pratique du sport, tous les après-midis, et à la découverte des métiers. Les personnels seront composés de professeurs volontaires de l’Éducation nationale et d’éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse.
Je souhaite également que des volontaires du nouveau service civique, sélectionnés pour leurs compétences, puissent faire partie de l’encadrement de ces nouvelles structures, que nous pourrions peut-être appeler, cher Luc Chatel, les « établissements de réinsertion scolaire ». On n’est pas dans le cadre pénal, il faudra voir ce que l’on fait en cas de désaccord des parents pour l’internat. Ce sont des discussions que nous avons encore entre nous, mais c’est une solution qui sera offerte aux chefs d’établissement
Le travail est en cours pour déterminer les lieux qui seront choisis pour établir ces nouveaux établissements. Enfin, sachez que nous visons l’ouverture d’une dizaine d’établissements de ce type au cours de l’année prochaine, destinés prioritairement aux départements pour lesquels les besoins sont les plus importants.

Voyez-vous, élèves absentéistes, décrocheurs, perturbateurs : c’est notre mission d’éducateur de trouver une solution à chacun d’entre eux.

Mais je voudrais terminer en disant qu’à l’autre extrémité du spectre, nous n’oublions pas les élèves, souvent issus des mêmes territoires et confrontés aux mêmes difficultés, qui se comportent, eux, de façon exemplaire. Donc, surtout pas d’amalgame. Ces jeunes qui croient en l’école, qui travaillent dur parce qu’ils aiment apprendre, et qu’ils savent que c’est la seule façon de réaliser leurs rêves. A ces jeunes, nous allons donner la réponse des internats d’excellence, Sourdun cette année, dès la rentrée prochaine, nous vous l’annonçons, onze nouveaux internats d’excellence. Mais que personne ne se trompe, ces internats d’excellence ce n’est pas du tout une sanction, au contraire, on prend les élèves des milieux les plus modestes qui réussissent le mieux, qui vivent dans des conditions précaires, parfois pas de chambre, pas de bureau, pas d’ordinateur, parfois même des carences alimentaires, et on leur donne la chance de suivre un cursus scolaire d’excellence dans le cadre de ces internats d’excellence. Le Premier ministre a bien voulu, dans le cadre du grand emprunt, réserver le financement pour ces places d’internats d’excellence. Il y en aura partout sur le territoire : Marly le Roi, en proche banlieue, Montpellier, Barcelonnette, Douai ou encore au Havre... A terme, notre objectif, c’est 20 000 élèves méritants qui bénéficieront de conditions d’étude exceptionnelles.

Vous voyez bien ce que l’on veut faire avec cela. Le choix est offert pour chacun : l’excellence volontaire ou l’établissement adapté pour ceux qui veulent perturber la vie des autres. On ne va pas laisser faire cela, et on ne les laissera pas se détruire.

Vous l’avez compris, sur tous ces sujets, je reste un partisan résolu du pragmatisme. Je refuse l’autoritarisme qui n’est pas efficace, et je dénonce le laxisme qui consiste à renoncer au prétexte que c’est difficile avant même d’avoir essayé. Nous essayons de regarder, avec le Premier ministre et les ministres, la réalité de notre école sans simplisme. Notre école est responsable de beaucoup de réussites, mais nous avons ce problème de violence. Sans tabou, le tabou de l’autorité, le tabou de la règle, le tabou du refus pour le chef d’établissement de constituer son équipe, le tabou du fonctionnaire même qui est dans des situations les plus difficiles, qui n’est pas payé plus que les autres. Sans tabou, nous voulons obéissance aux règles, respect des valeurs républicaines.

Nicolas Sarkozy


Notes

[2Nous avons repris toute la fin du discours de Nicolas Sarkozy, dont l’intégralité se trouve sur le site de la présidence de la République : http://www.elysee.fr/president/les-....


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