Eric Ciotti et la suspension des allocations familiales


article de la rubrique discriminations > “violence” des jeunes
date de publication : mardi 20 avril 2010
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Président du conseil général des Alpes-Maritimes, et secrétaire national de l’UMP en charge des questions de sécurité, Eric Ciotti a décidé de suspendre le versement des allocations familiales à une famille de Villeneuve-Loubet et il veut étendre cette sanction à toutes celles qui n’auront pas respecté leur contrat de responsabilité parentale. Une politique qui a fait la preuve de son inefficacité : l’Angleterre, engagée, de 2005 à 2007, dans une politique résolument répressive (emprisonnement de plus d’une centaine de parents et des milliers d’amendes infligées), a vu dans le même temps le taux d’absentéisme passer de 0,7 % à 1 % [1].

Comme le déclare Luc Ferry, supprimer « des allocations familiales [...] c’est ajouter la misère à la misère », mais Eric Ciotti est bien convaincu de l’efficacité électorale de la méthode...


Le député et président du Conseil General des Alpes Maritimes Eric Ciotti (BEBERT BRUNO/SIPA)

La première famille privée d’« allocs » sera-t-elle des Alpes-Maritimes ?

par Jean-Paul Fronzes, Var Matin le 12 avril 2010


Si la procédure engagée à son encontre va à terme, une famille de Villeuneuve-Loubet (Alpes-Maritimes) sera la première de France à voir ses allocations familiales suspendues. Elle avait signé avec le département des Alpes-Maritimes un contrat de responsabilité parentale (CRP), destiné à l’aider à restaurer son autorité sur l’un de ses deux enfants et à empêcher ce fils de déserter les cours. Mais elle n’en a pas respecté les obligations, s’abstenant de se rendre aux convocations avec des psychologues et assistantes sociales. « Faute d’avoir saisi la main tendue », elle risque donc de perdre, pour trois mois renouvelables, une partie de ses revenus.

50 contrats paraphés

Le patron du département, Éric Ciotti, dont la lutte contre l’absentéisme scolaire constitue une priorité, n’a pas d’états d’âme à développer ce type de sanctions lorsque les familles concernées refusent sans motif légitime de contracter un CRP ou en bafouent les prescriptions. À ce jour cinquante contrats de responsabilité parentale ont été paraphés sur la Côte d’Azur, neuf en 2009 et quarante et un depuis le 1er janvier dernier. L’objectif du département d’ici à la fin 2010 est d’en signer cinquante par mois. Toutefois, le dispositif suscite à gauche mais également à droite des réserves et des critiques auxquelles répond Éric Ciotti.

  • Comment expliquer que les Alpes-Maritimes soient à ce jour, le seul département à mettre en œuvre le CRP ?

Le dispositif est un peu lourd, il nécessite de mobiliser des moyens financiers et humains. Il a surtout été caricaturé. En outre, la suspension des prestations familiales fait toujours figure de tabou. Il faut dépasser ce politiquement correct et appliquer la loi de 2006.

  • Alors pourquoi ne pas s’être engagé plus tôt dans la suspension des allocations ?

Les premiers CRP ont été signés avec des parents volontaires qui se conformaient aux obligations. Les contrats actuels le sont souvent à notre initiative, d’où des situations d’opposition qui commencent à se manifester.

  • Êtes-vous favorable au durcissement envisagé du dispositif ?

Je le suis d’autant plus que c’est moi qui ai suggéré à Luc Chatel [le ministre de l’Éducation nationale, ndlr] de permettre également au préfet de suspendre les prestations familiales. Les départements ne jouant pas le jeu pour des raisons idéologiques n’auront plus le choix.

  • Cette sanction financière ne va-t-elle pas marginaliser davantage des familles en difficulté ?

Non car le dispositif a déjà fait ses preuves dans d’autres pays comme la Grande-Bretagne [2]. Et surtout, on propose d’abord à la famille de l’aider par l’intermédiaire d’une association. On la fragiliserait si on intervenait brutalement, ce qui n’est pas le cas. L’objectif, rappelons-le, est de sauver des enfants de la déscolarisation et de la délinquance.

  • Aux Etats Généraux de la sécurité à l’école, le gouvernement a paru la semaine dernière temporiser, Brice Hortefeux « souhaitant prendre le temps de la réflexion ». Les Alpes-Maritimes ne sont-ils pas aujourd’hui à contre-temps ?

Le 24 mars, Nicolas Sarkozy a clairement dit que l’absentéisme grave devait conduire à la suspension des prestations familiales. Nous sommes les premiers à appliquer cette volonté. Sur la violence scolaire, je n’ai jamais dit qu’il y a une solution miracle.

  • Vous avez été également parmi les premiers à commander des portiques de sécurité destinés aux établissements scolaires...

Nous en avons acquis deux, en kit et transportables dans une valise, qui peuvent être installés à la demande. Ils sont disponibles depuis la rentrée de septembre 2009.

  • Mais personne n’en a réclamé...

Fort heureusement, notre département est plus épargné que d’autres par la violence et le phénomène de bandes. Si quelques établissements azuréens connaissent des problèmes, aucun n’est en position alarmante.

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Rupture scolaire : « Il faut instaurer la crainte de la sanction »

par Vincent Vantighem, 20minutes.fr, le 6 avril 2010


Le président (UMP) du Conseil général des Alpes-Maritimes, Eric Ciotti, est le seul à avoir mis en place le dispositif permettant de suspendre les allocations familiales aux parents...

Compétent en la matière depuis une loi de 2006, Eric Ciotti, président UMP du Conseil général des Alpes-Maritimes a entamé vendredi une procédure pour suspendre les allocations familiales à des parents dont l’enfant avait quitté les bancs de l’école.

  • Qu’est ce qui vous a intéressé dans cette loi de 2006 ?

La suspension des allocations familiales s’inscrit dans un processus plus général de suivi des enfants en rupture scolaire. A côté de la main tendue, je pense qu’il faut instaurer la crainte de la sanction. C’est l’équilibre entre les deux qui m’a intéressé.

  • Comment cela-a-t-il été vécu par les parents ?

On ne coupe pas les allocations du jour au lendemain dès qu’un gamin quitte l’école. A chaque cas signalé, on propose aux parents de signer un Contrat de responsabilité parentale. S’ils ne donnent pas suite ou s’ils ne respectent pas les termes du contrat, on peut suspendre les allocations. J’ai engagé, vendredi dernier, la première procédure de ce type. Pour l’instant, c’est la seule famille qui, au bout de la chaîne, n’a pas joué le jeu.

  • Et les autres ?

Les résultats sont encourageants. Sur 950 enfants signalés comme absents en 2009, nous avons signé 150 contrats. En trois mois, les trois quarts d’entre eux sont retournés à l’école. Pour l’essentiel, ce sont des familles en difficulté qui n’ont pas de réponse, pas d’autorité parentale. Ils ont surtout besoin d’un suivi individualisé de leur enfant.

  • Et de la menace de la sanction financière ?

Oui, il faut un dispositif plus coercitif pour les parents. En Angleterre, les familles dont l’enfant a quitté l’école doivent s’acquitter d’une amende. Ca donne des idées. Il faut réfléchir à tout ça.

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« Supprimer les allocations est une arme de dissuasion »

par Stéphane Menu, La Lettre du Cadre Territorial, n° 394 (1er février 2010)


  • Pourquoi la suppression des allocations familiales est-elle une solution à l’absentéisme scolaire ?

La responsabilité parentale est une question majeure. Le Contrat de responsabilité parentale existe dans la loi sur la prévention de la délinquance de 2007 et j’ai tout simplement décidé de le mettre en œuvre. Je ne dis pas que la suppression des allocations doit être systématique. Lorsque les parents éprouvent de vraies difficultés à exercer leur responsabilité, des dispositifs d’accompagnement social peuvent les aider à y parvenir.
En revanche, s’il s’avère que leur déresponsabilisation est manifeste, alors, il faut envisager des ripostes plus contraignantes. Le retrait des allocations peut être une arme de dissuasion. En tant que président de conseil général, j’ai reçu 760 signalements du service de la protection de l’enfance en 2009. J’ai, depuis, mis en place onze contrats de responsabilité parentale. J’envisage d’atteindre le seuil des cent contrats en mars prochain.

J’en ai discuté ce matin (N.D.L.R., le 20 janvier) avec Martin Hirsch, nos positions ne sont pas si éloignées qu’on a voulu le faire croire. Nous avons convenu ensemble que l’absentéisme scolaire pouvait être le premier pas vers la délinquance [3]. Enfin, en tant que député, j’envisage quelques adaptations législatives, comme la possibilité donnée aux parents de solliciter eux-mêmes la mise en place d’un contrat de responsabilité parentale ou l’amélioration du circuit des informations entre la justice et le conseil général.

  • La Lopsi 2 est la huitième loi sur la sécurité depuis 2003. Faut-il encore des lois dans ce domaine ?

Ceux qui font ce reproche d’inflation législative connaissent mal la délinquance et son mouvement perpétuel d’adaptation aux lois. C’est une guerre de mouvement permanente. Cette Lopsi II permettra entre autres de moderniser les outils des forces de l’ordre et d’étendre le champ d’intervention de la police scientifique et technique.

Pour l’heure, cette dernière n’intervient que sur les faits délictuels les plus graves. Avec la Lopsi II, elle pourra intervenir sur un cambriolage ou le vol d’une voiture avec, au minimum, trois prélèvements ADN susceptibles de faciliter l’élucidation des méfaits puisque le fichier national dénombre désormais 1,2 million d’empreintes digitales. La délinquance générale a baissé de 15 % depuis 2003, mais nous devons poursuivre l’effort.

Plus d’un siècle de sanctions destinées aux parents [4]

- 1882 – Avec l’instauration de l’obligation scolaire, la loi prévoit une amende de 15 francs-or maximum ou cinq jours de prison en cas d’absentéisme aggravé.
- 1959 – La suspension ou la suppression des allocations familiales deviennent possibles.
- 1966 – Une amende de 150 euros et une peine de deux mois de prison (abrogée en 1993) sont prévues.
- 2004 – Abrogation de la suspension-suppression des allocations. Amende portée à 750 euros.
- 2006 – Le non-respect d’un contrat de responsabilité parentale peut entraîner une contravention de 750 euros, la mise sous tutelle des allocations ou leur suspension pour un an.

Suspension des allocations familiales : le gouvernement en appelle à la loi

par Benoît Floc’h, Le Monde, 1er avril 2010


En annonçant, le 24 mars, davantage de fermeté dans la lutte contre l’absentéisme scolaire, le président de la République impose une vision qu’il défend depuis longtemps, celle d’un traitement plus répressif de "ce fléau".

Le ministre de l’éducation nationale, Luc Chatel, a plaidé, dimanche 28 mars, pour que la responsabilité du dispositif qui peut conduire à des sanctions telles qu’amende, suspension, mise sous tutelle des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire aggravé ou de troubles à l’ordre scolaire soit transférée du président du conseil général au représentant de l’Etat, le préfet. L’idée est de rendre "efficace" un dispositif adopté en 2006 qui "ne fonctionne pas".

Le taux d’absentéisme est stable, touchant 5 % des élèves du second degré en moyenne, selon le ministère de l’éducation nationale. Mais il existe de fortes disparités selon les établissements. Dans un lycée professionnel sur dix, près d’un tiers des élèves serait concerné.

Depuis 2006, seules "quelques dizaines de cas ont réellement été mises en oeuvre", a dénoncé le ministre, dimanche. De fait, la gauche, largement majoritaire dans les instances départementales, ne cache pas son hostilité à cette mesure. Claude Bartolone, président socialiste du conseil général de Seine-Saint-Denis, reconnaît qu’il n’a "jamais" appliqué cette mesure "inéquitable, inefficace et idéologiquement contestable". "Et je ne le ferai jamais", ajoute l’ancien ministre de la ville (de 1998 à 2002), proche de Martine Aubry.

Sur cette question récurrente, Nicolas Sarkozy a toujours défendu une position ferme. Lorsque le gouvernement Raffarin se penche sur la question de l’absentéisme scolaire en 2002, le ministre de l’intérieur de l’époque souhaite en faire un délit, susceptible de coûter 2 000 euros aux parents fautifs.

Le gouvernement de l’époque ne le suit pas, se contentant d’une amende de 750 euros prononcée par le procureur de la République, accompagnée d’une aide aux parents. Il sera même décidé d’abroger le dispositif datant de 1959 qui permettait la suppression ou la suspension du versement des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire.

"Injuste"

Le ministre de l’éducation nationale de l’époque, Luc Ferry, estimait que cette sanction était "injuste et inefficace". De son côté, M. Sarkozy mettait en garde : "L’absentéisme, c’est la première étape vers la délinquance." Dans la foulée des émeutes de banlieue, à l’automne 2005, de nombreux responsables politiques mettent en cause les parents "démissionnaires".

Dès 2006, la loi est modifiée. Le président du conseil général est chargé de signer un "contrat de responsabilité parentale" avec les familles en cas d’absentéisme ou de troubles à l’ordre scolaire. Au cas où ce contrat ne serait pas respecté, la possibilité de suspendre ou de mettre sous tutelle les allocations familiales réapparaît aux côtés de l’amende de 750 euros.

Critiquée par l’UNEF, contestée par la gauche, l’efficacité d’une telle mesure fait débat parmi les spécialistes de l’éducation. Eirick Prairat, professeur en sciences de l’éducation qui travaille sur la sanction et l’autorité, considère cette mesure comme "très largement inutile". "L’exemple de nombreux pays, assure-t-il, montre que c’est plutôt le contraire qu’il faut faire : aider notamment financièrement les familles plutôt que de les affaiblir."

Historien de l’éducation, Claude Lelièvre rappelait, mardi 30 mars, qu’"engagée dans une politique résolument répressive", l’Angleterre n’obtient pas de résultats probants. De 2005 à 2007, "133 parents ont été emprisonnés pour cette seule raison" outre-Manche, et des milliers d’amendes infligées. Or, constate M. Lelièvre, "dans le même temps, le taux d’absentéisme est passé de 0,7 % à 1 %".

Dans ce débat, seuls les parents sont montrés du doigt. Or, rappellent d’aucuns, l’école a peut-être sa part de responsabilité.

Communiqué de la Fcpe [5] (extrait)

Absentéisme scolaire : la suspension des allocations familiales n’est pas la bonne réponse

le 25 mars 2008

La FCPE demande que la mesure de suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire soit supprimée.

La FCPE dénonce qu’à nouveau les familles soient sanctionnées par la suspension des allocations familiales, en cas d’absentéisme de leur enfant.

La FCPE demande que la mesure de suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire soit supprimée.

Elle condamne l’amalgame du gouvernement entre l’absentéisme et la délinquance, amalgame qui dispense le ministère de l’Education nationale de ses responsabilités et les rejette une fois de plus sur les parents.

La FCPE rappelle que la première responsable de l’absentéisme scolaire est l’institution elle-même quand :
- elle ne remplace pas les enseignants ;
- elle oriente les élèves sans tenir compte de leurs choix ;
- elle ne met pas en place des mesures pour éviter le décrochage et que les moyens de la remédiation scolaire sont notoirement insuffisants ;
- elle permet la mise en place d’emplois du temps incohérents.
La sanction par suppression des allocations familiales et par sanction pénale sont donc des mesures injustes et iniques. [...]

P.-S.

Dernière nouvelle

Le "Contrat de responsabilité parentale" passerait au préfet

[La Lettre du Cadre Territorial, 15 avril 2010, page 7.]


Le gouvernement pourrait profiter de l’examen de la LOPPSI 2 (loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure) au Sénat, pour confier le contrat de responsabilité parentale (CRP) au préfet.

C’est ce qu’a laissé entendre le ministre de l’Education, Luc Chatel. Ce changement de main permettrait au dispositif de décoller et de voir s’appliquer la suspension des allocations familiales pour le cas les plus difficiles. "Depuis son instauration en 2006, une vingtaine de cas seulement ont été mis en œuvre et aucune suspension d’allocation n’a été décidée. Nous allons changer cela." a annoncé le ministre.


Nicolas Sarkozy, Eric Ciotti, Christian Estrosi.

Notes

[1133 peines de prison ont été infligées en Grande Bretagne à des parents d’enfants absentéistes scolaires entre 2002 et 2007. Référence : « The toughest response to truancy [truancy =absentéisme scolaire] has been the threat of jailing - and up to 2007 there have been 133 parents imprisoned in England and Wales. »

Source « Truancy jailing every two weeks » par Sean Coughlan et James Westhead,
BBC News le 12 février 2009 : http://news.bbc.co.uk/2/hi/uk_news/....

[2A ce sujet, voir la référence [1] ci-dessus [Note de LDH-Toulon].

[3Le 10 Février 2004, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, déclarait : “L’absentéisme, c’est la première étape vers la délinquance” (voir les violences scolaires entre réalité et instrumentalisation).

[4Source : Le Monde, 1er avril 2010.


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