voisins vigilants : une préfiguration de la “réserve civile de la police” ?


article de la rubrique justice - police > voisins vigilants
date de publication : jeudi 24 mars 2011
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On peut craindre que la mise en place, encouragée par la gendarmerie nationale  [1], de dispositifs « voisins vigilants », sur le modèle anglo-saxon du « neighbourhood watch », ne constitue une incitation à la délation...


Comme l’observe Serge Quadruppani
, « on cherche à faire de chacun le surveillant de l’autre. Mais le problème, c’est que la prolifération des techniques de surveillance échappe à tout contrôle. [...] Le voisin malveillant qui regarde derrière sa fenêtre c’est une figure ancienne, le problème c’est qu’avec les techniques d’aujourd’hui ça peut prendre des proportions monstrueuses. »

D’autre part, ne risque-t-on pas de voir les « voisins vigilants » évoluer vers des « milices de quartiers » ? Difficile de ne pas le redouter avec la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite Loppsi 2, qui prévoit le renforcement des réserves de la police et de la gendarmerie par l’ouverture de la réserve civile de la police à des volontaires âgés de 18 à 65 ans pour différentes « missions de soutien aux forces de sécurité ».
L’encre de cette loi n’était d’ailleurs pas encore sèche qu’une cinquantaine de députés déposaient une proposition de loi « relative à l’instauration d’un système associant les habitants d’un quartier à la prévention de la délinquance » en proposant de consacrer en droit français « la possibilité de créer des comités citoyens de surveillance ».


En réalité, il n’y a rien de nouveau. Tout a déjà été annoncé. Il suffit de lire le texte suivant pour s’en convaincre :

« Des réservistes expérimentés seront recrutés comme délégués à la cohésion police-population. Ils s’appuieront sur des "volontaires citoyens de la police nationale", c’est-à-dire des habitants, dont je veux engager le recrutement pour qu’ils s’impliquent dans la sécurité de leur propre quartier. »

Déclaration de Nicolas Sarkozy, Président de la République,
sur une nouvelle politique pour les banlieues,
à Paris le 8 février 2008. [2]


Les « voisins vigilants » niçois ont-ils lu ce texte ? on peut se poser la question...

Voisins vigilants à Nice : « Nous ne sommes pas une milice ! »

par Philippe Fiammetti, Nice-Matin le 19 mars 2011


Des panneaux ont été récemment installés par la Ville là où les voisins vigilants sont à pied d’oeuvre. (Philippe Fiammetti)

Sur la Corniche de Magnan, ils sont près d’une dizaine à participer à cette « chaîne citoyenne » de solidarité et à assister les victimes.

Des cow-boys ? Sûrement pas ! Et encore moins une milice privée ! Les « voisins vigilants » de la colline de Magnan-Estienne d’Orves se défendent avec la dernière énergie d’être un groupe d’auto-défense.

« Regardez : nous n’avons aucune arme, pas même un bâton, et nous ne voulons pas en avoir. Nos seules armes sont le crayon, le téléphone portable et, surtout, nos yeux et nos oreilles pour bien voir et entendre », s’exclame Yvon Briand.

Dans ce quartier collinaire qui grimpe depuis le carrefour Saint-Philippe jusqu’à Saint-Pierre de Féric, avant de redescendre sur les coteaux de la Madeleine, les riverains ont été des précurseurs. Parmi les premiers sur la commune à créer un réseau de vigilance voilà près de trois ans.

Comme avant...

Pourquoi ici ? « Notre territoire est très vaste et difficile à surveiller avec tous ces vallons et ces chemins qui finissent en cul-de-sac. Ces dernières années, les cambriolages et les agressions se sont multipliés. Dans la journée, les parents travaillent et les enfants sont à l’école. Les délinquants le savent ! En cas de délit ou de crime, la moindre information peut être utile aux policiers. Dans ces affaires, l’important, c’est la rapidité. La chaîne que nous avons mise en place, avec des délégués qui se partagent le quartier, permet d’être très réactif », explique François Billari, le président de l’association de défense du quartier Colline de Magnan-La Conque.

Les « voisins » se définissent eux-mêmes comme des citoyens solidaires. Un retour à la solidarité d’antan, quand on ne vivait pas isolé des autres, mais les uns près des autres.

Une forme d’entraide. Avec une attention particulière pour les victimes.

L’an dernier, une dame âgée est violemment agressée dans le couloir de son immeuble. Ses agresseurs lui dérobent sa pension qu’elle vient de retirer à la banque. « Après cette agression, nous l’avons vue errer dans la rue. Elle était tellement traumatisée qu’elle ne voulait plus rentrer chez elle. On l’a réconfortée et nous sommes intervenus auprès des services sociaux. Désormais, elle bénéficie d’une assistance de la police municipale quand elle va chercher de l’argent. »

Autre fait divers encore plus dramatique. La gardienne, âgée de 64 ans, d’un lotissement de villas du chemin du Haut Magnan est attaquée en pleine nuit par trois hommes armés et cagoulés. Elle est ligotée, rouée de coups pour lui faire avouer où sont ses maigres économies. « Sa vie post-agression a été très difficile, nous avons tout fait pour lui apporter notre soutien. »

Réconforter les victimes

Mais un simple cambriolage peut aussi avoir des conséquences traumatiques : « Il faut rassurer les victimes, les entourer », souligne Angélique, 24 ans, la plus jeune adhérente des « voisins vigilants ».

« Sur la route de Saint-Pierre de Féric, une petite maison a été entièrement vidée par les cambrioleurs. Ils ont tout pris, même les draps. Un vrai déménagement ! Imaginez le choc », raconte Angélique. Là aussi, il a fallu réconforter. Les voisins vigilants de la Corniche de Magnan se voient d’abord comme des voisins exemplaires. Tout sauf indifférents au malheur des autres.

Alfred Hitchcock, Fenêtre sur cour, 1954.

Notes

[1Cf. « Jusqu’à quel prix peut-on lutter contre la délinquance ? » par le chef d’escadron Géraud Chaine, officier de gendarmerie, leMonde.fr, le 16 mars 2011.


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