ministre de l’Intérieur cherche voisins vigilants


article de la rubrique justice - police > délation
date de publication : jeudi 4 août 2011
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Dans une circulaire datée du 22 juin 2011, Claude Guéant demande aux préfets et aux directeurs généraux de la police nationale et de la gendarmerie de lui « faire parvenir, pour le 31 juillet, l’état d’avancement des initiatives et des mesures » prises pour développer les réseaux de « voisins vigilants » qu’il qualifie de « participation citoyenne » à la lutte contre la délinquance.

Le ministre rappelle que certaines des « personnes volontaires » pourraient « bénéficier du statut juridique de collaborateur occasionnel du service public prévu par la LOPPSI 2 du 15 mars 2011 ».
Ce statut nécessite la signature d’un « contrat d’engagement » et donne droit à des indemnités, pour « des missions de solidarité, de médiation sociale, d’éducation à la loi et de prévention, à l’exclusion de l’exercice de toute prérogative de puissance publique ».

La difficulté que rencontre de façon générale le ministère de l’Intérieur pour mettre en place un tel dispositif est le manque d’enthousiasme manifesté par la population pour ce genre de collaboration – les réactions en Alsace en témoignent. L’exemple de la commune de La Crau dans le Var montre les dangers de tels projets [1].

[Mis en ligne le 8 juillet 2011, mis à jour le 4 août 2011]



Circulaire adressée aux préfets le 22 juin par Claude Guéant
 [2]

Le dispositif de participation citoyenne

L’amélioration de la sécurité des Français est une priorité de la politique de l’État. Toutefois, au-delà de l’engagement déterminé des militaires de la gendarmerie et des fonctionnaires de police pour atteindre, sous votre autorité, les objectifs fixés en matière de lutte contre l’insécurité pour l’année 2011, j’entends développer encore les actions partenariales susceptibles d’amplifier l’efficacité de la prévention de la délinquance.

L’effort doit être porté dans les quartiers, les lotissements ou les zones pavillonnaires régulièrement touchés par des phénomènes de délinquance multiformes [3], mais aussi dans les villages ou secteurs plus ruraux pour lutter contre le sentiment d’insécurité.

Aussi ai-je décidé d’étendre la mise en oeuvre du dispositif de participation citoyenne.

Déjà expérimentée dans 29 départements, cette démarche consiste à faire participer les acteurs locaux de la sécurité et la population concernée, avec l’appui et sous le contrôle de l’État, à la sécurité de leur propre environnement.

Ce dispositif, que je vous demande d’encourager, là où le contexte s’y prête, doit permettre tout à la fois :
- de rassurer la population,
- d’améliorer la réactivité des forces de sécurité contre la délinquance d’appropriation,
- d’accroître l’efficacité de la prévention de proximité.

1- Un dispositif qui s’inscrit dans le cadre d’une sécurité partagée

Instauré pour la première fois en 2007 dans le département des Alpes- Maritimes, le dispositif de participation citoyenne s’inspire du concept de « neighbourhood watch » mis en oeuvre depuis de nombreuses années aux États- Unis et en Grande-Bretagne notamment. Il s’agit de l’engagement des habitants d’une même aire géographique (quartier, lotissement, résidence, village, ...) dans une démarche collective visant à accroître le niveau de sécurité du secteur.

Dans un premier temps, une analyse objective du contexte local est nécessaire :
- d’une part, le succès de ce dispositif est conditionné en partie par des critères géographiques et sociologiques. Ainsi, la participation citoyenne est un outil particulièrement adapté aux « communes » et « quartiers » des zones périurbaines et pavillonnaires à forte concentration de « résidences principales », où une partie de la population est présente dans la journée et une certaine cohésion sociale préexiste. Les secteurs réunissant ces critères pourront être privilégiés dans une première approche, mais des démarches devront également être accomplies hors ces situations, notamment dans les zones où le sentiment d’insécurité de la population est le plus fort ;
- d’autre part, l’adhésion des élus concernés est un préalable à la mise en oeuvre du dispositif. Il conviendra de leur démontrer tout l’intérêt que retirerait la communauté à s’engager dans un tel concept. Les réunions locales associant élus et responsables de la sécurité pourront ainsi être mises à profit pour initier cette démarche pédagogique. La police municipale pourra utilement être partie prenante.

Il convient ensuite de rechercher l’engagement de la population par des actions de sensibilisation menées, sous votre contrôle, conjointement par les élus et les forces de sécurité. Les responsables locaux de la gendarmerie ou de la police nationale et le maire organiseront des réunions publiques pour expliquer les modalités et les apports du dispositif.

Cette stratégie de communication s’appuiera également sur les réseaux existants (milieu associatif,...), ainsi que sur les structures de concertation déjà opérantes (conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance, réunion de quartier, ...), en utilisant tous les vecteurs disponibles (bulletins municipaux, sites internet des municipalités, plaquettes spécifiques de la police ou de la gendarmerie, articles dans la presse locale, ...).

Enfin, fondé sur la solidarité de voisinage, le concept vise à développer, chez chaque personne disposée à participer à sa propre sécurité dans son quartier, son lotissement ou son village, un comportement de nature à mettre en échec la délinquance. Les personnes volontaires seront donc sensibilisées en vue :
- de l’accomplissement d’actes élémentaires de prévention tels que la surveillance des logements temporairement inhabités, le ramassage du courrier des vacanciers, ... ,
- d’une posture de vigilance accrue à l’égard des comportements et événements suspects (démarcheurs trop insistants, ...),
- de l’acquisition du réflexe de signalement aux autorités compétentes de tout fait anormal (véhicules semblant en repérage, dégradations, incivilités, ...).

Les modalités de transmission et d’exploitation des renseignements recueillis par les "voisins vigilants" à la police ou à la gendarmerie, voire à la police municipale devront être définies. Inversement, police et gendarmerie devront pouvoir alerter les « voisins vigilants » de la détection d’un phénomène de délinquance visant le quartier ou le secteur considéré.

Il vous revient de promouvoir ce concept. Mais l’État ne saurait inciter à la mise en oeuvre de la participation citoyenne sans en contrôler l’application. A cet effet, vous vous engagerez, aux côtés de l’autorité judiciaire et du maire, dans l’élaboration d’un protocole qui en fixera les modalités pratiques, ainsi que les procédures de suivi, d’évaluation et de contrôle.

2- Un outil efficace de lutte contre la délinquance d’appropriation

La majorité des retours d’expérience met en évidence une baisse significative de la délinquance d’appropriation dans les secteurs où le dispositif a été mis en oeuvre :
-  certaines communes de la Drôme ont enregistré une baisse de 20% à 40% des cambriolages constatés ;
-  dans les Alpes-Maritimes comme dans l’Essonne, ce dispositif novateur a conduit localement à une hausse des interpellations en flagrant délit.

Les habitants qui s’engagent dans cette démarche citoyenne connaissent parfaitement leur environnement et représentent de fait une importante capacité de détection des situations anormales. Les informations qu’ils portent à la connaissance des autorités compétentes permettent, in fine, une intervention ciblée des forces de sécurité (contrôles d’individus suspects repérés, patrouilles dans les créneaux horaires les plus judicieux et dans les lieux les plus vulnérables).

J’attire toutefois votre attention sur le fait que ces "voisins vigilants" ne sauraient se prévaloir de prérogatives administratives ou judiciaires. En ce sens, ils ne peuvent en aucun cas mettre sur pied un dispositif de contrôle du secteur concerné par ses habitants.

Il vous appartient, en liaison avec les élus, de rappeler strictement ce principe dans les protocoles précités et de prendre toute mesure utile pour mettre un terme aux éventuelles dérives.

3- Une démarche de solidarité en cohérence avec les autres dispositifs de prévention

Parce qu’il renforce le contact et les échanges au sein du quartier ou de la résidence, ce concept participe autant de la sécurité que du renforcement du lien social entre les habitants. Ainsi, en combattant l’individualisme, en développant l’entraide, le soutien aux personnes vulnérables, cette démarche est résolument citoyenne et génère des solidarités de voisinage.

Se concevant dans un ensemble d’actions visant le même objectif, elle s’inscrit dans la large gamme d’outils de prévention de la délinquance déjà existants (vidéoprotection, opérations « tranquillité vacances », plan « seniors », ...) et contribue à l’accroissement du "sentiment de sécurité".

_____________________

Je serai attentif au développement du dispositif de participation citoyenne et vous demande de convaincre, avec vos commandants de groupement de gendarmerie départementale et vos directeurs départementaux de la sécurité publique, les acteurs locaux de la sécurité là où les conditions de mise en oeuvre vous paraîtront les plus pertinentes.

Je vous saurai gré de me faire parvenir, pour le 31 juillet 2011, l’état d’avancement des initiatives et des mesures que vous aurez prises.

Des travaux juridiques sont en cours pour consolider ce dispositif. Au sein de chaque quartier ou secteur concerné, des points de contact pourraient être identifiés, les personnes volontaires ainsi désignées pouvant alors bénéficier du statut juridique de collaborateur occasionnel du service public prévu par la LOPPSI du 15 mars 2011. Vous serez informés des évolutions de ce dossier.

Claude Guéant


L’opération "Voisins vigilants" ne fait pas recette

par Laurent Borredon, Le Monde daté du 5 août 2011


C’est l’un des éléments-clés de la politique de prévention de la délinquance relancée par Claude Guéant depuis son arrivée au ministère de l’intérieur en février : la "participation citoyenne". Le système de "Voisins vigilants", qui existe discrètement depuis 2007, surtout pour prévenir les cambriolages, concernait 29 départements en juin. Malgré un accueil mitigé de l’initiative, la Place Beauvau souhaite en mailler le territoire.

Dans une circulaire du 22 juin, le ministre a annoncé aux préfets sa volonté d’"étendre la mise en œuvre du dispositif" en leur demandant de "promouvoir le concept". Le but : faire diminuer, "dans les quartiers, les lotissements ou les zones pavillonnaires", les "cambriolages, démarchages conduisant à des escroqueries, dégradations et incivilités diverses" grâce à des habitants interlocuteurs privilégiés de la police ou de la gendarmerie.

Le ministre va jusqu’à envisager de transformer les volontaires en "collaborateurs occasionnels du service public". Ce statut, autorisé dans le domaine de la sécurité par la Loppsi 2 du 15 mars, rend possible une rémunération.

"Climat de délation"

Dans le Haut-Rhin, département pilote, le préfet avait, dès novembre 2010, lancé l’expérimentation dans cinq communes : Ribeauvillé, Lutterbach, Cernay, Soultz et Altkirch. Des communes rurales, mais pour la plupart situées dans l’orbite de Mulhouse. Neuf mois plus tard, personne n’a donné suite. Dès le 7 novembre, un seul couple se présente à la première réunion, à Soultz (7 400 habitants). A Lutterbach (6 150 habitants), le maire (divers droite), André Clad, a organisé des réunions dans deux quartiers. Résultat : "Nous n’avons pas eu de volontaires." Il hésite. "Le problème, c’est que les gens ont eu peur d’un climat de délation. Il y a le souvenir de la dernière guerre…"

Une inquiétude qui a freiné également le maire (UMP) d’Altkirch (5 900 habitants), Jean-Luc Reitzer. Lorsqu’il a présenté le projet à son conseil municipal, "le fait de quadriller la ville, de désigner par quartier des responsables, a rappelé des pratiques qu’on aimerait oublier. Ça a choqué". "Et puis qui choisir, comment éviter la subjectivité des référents ?", ajoute-t-il. Le responsable du programme au groupement de gendarmerie du Haut-Rhin, le capitaine Michel Di Girolamo, reconnaît que le "contexte" alsacien, avec le souvenir de la guerre, a plombé la mise en place du dispositif.

D’autant que les maires des cinq communes pilotes ont découvert tardivement qu’ils avaient été choisis. M. Clad n’avait pas fait de demande. Il s’explique le choix de son village par les "bonnes relations" entretenues avec la gendarmerie… Des échanges qui rendent justement, à son sens, tout "dispositif particulier" inutile.

Exemples britannique et américain

A Altkirch, M. Reitzer n’était pas volontaire non plus, même s’il apprécie la "sollicitude" de la préfecture, alors qu’il signalait depuis quelques mois aux autorités quelques "soucis" : incivilités, vandalisme de "petits groupes de jeunes qui insultaient les passants, squattaient les espaces verts et la gare". Finalement, l’épisode a été un "petit aiguillon" pour trouver une voie différente : la commune a réorganisé sa police municipale. Grâce à deux emplois aidés, des rondes de nuit ont été instituées.

A l’autre bout de la France, dans les Hautes-Pyrénées, le préfet a aussi fait le métier. De Bagnères-de-Bigorre à Argelès-Gazost, il a défendu "une implication plus importante" des habitants dans leur propre sécurité, devant des salles parfois clairsemées. A Tarbes, la réunion du 6 juillet dans le quartier de la Gespe s’est bien passée, raconte Roger Calatayud, adjoint au maire (UMP) chargé de la sécurité. Elle n’a pas pour autant abouti à l’élaboration d’un protocole, recommandée par le ministère, ou à la mise en place des "référents" : "Ça n’a pas été jugé utile."

La participation citoyenne, inutile ? Pour Nicolas Comte, secrétaire général du syndicat Unité-SGP-Police (majoritaire), c’est surtout un "copié-collé des exemples britannique et américain qui ne correspond pas à la mentalité française". Le ministère cite d’ailleurs, dans la circulaire du 22 juin, "le “neighbourhood watch” mis en œuvre depuis de nombreuses années aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne".

"Ce n’est pas transposable partout"

Dans la Drôme, citée en exemple par le ministre, la préfecture défend un dispositif "très localisé" et affirme ne pas vouloir "gonfler" la réussite affichée. De fait, sept communes ont appliqué la mesure, dont deux – Donzère, la ville du ministre de l’énergie, Eric Besson, et Loriol – avec un certain succès, selon l’intérieur, qui fait état d’une baisse des cambriolages de 42% à Donzère et de 20% à Loriol en 2010.

Le lieutenant-colonel Philippe Talucier, numéro deux du groupement de gendarmerie de la Drôme, insiste : "Ce n’est pas transposable partout." Seuls des quartiers pavillonnaires, constitués de résidences principales et habités par au moins quelques retraités ou femmes au foyer, pour assurer une "présence dans la journée", ont été sélectionnés. Petit plus, l’existence préalable d’une certaine "cohésion". D’ailleurs, la gendarmerie préfère parler de voisins "solidaires" plutôt que "vigilants".

Une mairie de gauche s’intéresse, prudemment, au dispositif. A Romans-sur-Isère, le maire (PS), Henri Berthollet, discute avec la préfecture : au premier semestre, les cambriolages ont été multipliés par deux et les vols avec effraction par 3,4 par rapport à 2010. "Nous serons attentifs à ne pas faire émerger des personnes déjà surattentives, voire paranoïaques", assure le directeur de la tranquillité publique, Philippe Pourtier. Lors d’une première réunion avec le commissaire, la mairie a insisté : surtout, pas de délation…

Laurent Borredon


Notes

[1Rappelons toutefois l’existence d’une proposition de loi visant à associer les habitants à la surveillance de leur quartier.

[3Cambriolages, démarchages conduisant à des escroqueries, dégradations et incivilités diverses, ....


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