Mayotte : des enfants victimes de vigilants voisins


article communiqué de la LDH  de la rubrique justice - police > délation
date de publication : lundi 11 mars 2013
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Pour lutter contre les cambriolages en forte augmentation, une organisation a été mise en place depuis un an à Mayotte, celle des “Voisins vigilants” basée sur une surveillance mutuelle des habitations en collaboration avec la Police, la gendarmerie et les mairies. Une habitante déclarait sur les ondes de la radio Mayotte 1ère qu’elle s’était organisée avec ses voisins : « il y en a même un qui a une arme et pour effrayer les voleurs, il tire en l’air ! »… En l’air, jusqu’à quand ? demandait récemment le quotidien local Malango.

Une nouvelle étape vient d’être franchie avec la décision des pouvoirs publics d’associer les “Voisins vigilants” à la lutte contre l’immigration clandestine. La Ligue des droits de l’Homme dénonce cet appel à la délation.

[Mis en ligne le 9 mars 2013, mis à jour le 11]



Communiqué LDH

A Mayotte, des enfants victimes des « voisins vigilants »

Dans ce département français de l’Océan indien, l’amalgame entre délinquance et immigration conduit à la violence. La Ligue des droits de l’Homme s’inquiète de l’organisation de pratiques d’autodéfense et de vendetta à l’encontre d’étrangers supposés en situation irrégulière, et dont les enfants sont les premières victimes.

Au prétexte de s’opposer à la répétition de cambriolages, un collectif de villageois de Mzouazia, commune de Bouéni, a entendu se faire justice lui-même, le 19 février, en organisant une expédition punitive dans l’école Jules Ferry. Cinquante-sept enfants, présumés être de parents en situation irrégulière, en ont été expulsés par la violence.

Si les pouvoirs publics ont condamné officiellement de tels agissements, en les qualifiant notamment de ségrégation, de discrimination ou encore de prise en otage, on peut s’interroger sur l’effectivité de cette condamnation.

En effet, lors d’une rencontre avec le vice-rectorat, la gendarmerie et les représentants des villageois, le directeur de cabinet du préfet, a accepté, au nom de l’apaisement des esprits, que les membres du collectif soient associés à la lutte contre l’immigration clandestine en fournissant des informations aux forces de l’ordre sur le statut administratif supposé de certains habitants de la commune.

Ainsi, selon les autorités publiques, si les reconduites à la frontière relèvent d’une compétence exclusive de l’Etat, leur mise en œuvre peut reposer sur une pratique de délation, marquant ainsi une extension du domaine de la surveillance de tous par tous.

La Ligue des droits de l’Homme et sa section de Mayotte dénoncent la confusion entretenue par les pouvoirs publics entre délinquants et migrants. On sait que, dans le territoire hexagonal, certains, y compris au niveau le plus élevé de l’Etat, promeuvent le dispositif « voisins vigilants ». Voilà qu’à Mayotte, on fait mieux, en étendant ce dispositif jusque-là limité à la sécurité publique, au contrôle des étrangers.

La Ligue des droits de l’Homme, avec sa section de Mayotte, exhorte les pouvoirs publics à refuser l’institutionnalisation de la violence que serait la participation de personnes privées à « la chasse » aux clandestins.

Paris, le 8 mars 2013

Le rappel à la loi vient aussi de métropole

par Eric Trannois, Malongo, 10 mars 2013


Durant le week-end, deux associations, la Ligue de l’enseignement et la LDH (Ligue des droits de l’homme) ont fait connaître leur inquiétude concernant les « violences faites aux élèves étrangers » à Mayotte.

La LDH condamne «  l’amalgame » fait à Mayotte entre délinquance et immigration qui « conduit à la violence ». Elle s’inquiète de la « vendetta » qui a lieu à l’encontre d’étrangers « supposés en situation irrégulière » et dont les enfants sont les premières victimes. Elle fait évidemment allusion aux violences observées à M’zouazia sur la commune de Bouéni au sud de l’île le 19 février dernier où 57 enfants ont été expulsés par la force de l’école où ils étaient inscrits et suivaient leur scolarité en toute légalité.

La LDH remet en doute « l’effectivité » de la condamnation officielle des pouvoirs publics. En effet, poursuit l’association de défense des droits humains, lors d’une rencontre avec le vice-rectorat, la gendarmerie et les représentants des villageois, le directeur de cabinet du préfet, a accepté, au nom de l’apaisement des esprits, que les membres du collectif soient associés à la lutte contre l’immigration clandestine en fournissant des informations aux forces de l’ordre sur le statut administratif supposé de certains habitants de la commune. (Lire : Mésentente entre communauté : quand la population réinvente la loi)

Elle s’inquiète que la mise en œuvre des reconduites à la frontière puisse « reposer sur une pratique de délation » tout en dénonçant « la confusion entretenue par les pouvoirs publics entre délinquants et migrants ». Faisant un parallèle entre les opérations « voisins vigilants » pratiquées en métropole ainsi qu’à Mayotte, la LDH note qu’à Mayotte « on fait mieux, en étendant ce dispositif jusque-là limité à la sécurité publique, au contrôle des étrangers ».

La Ligue des Droits de l’homme exhorte donc les pouvoirs publics à refuser l’institutionnalisation de la violence que serait « la participation de personnes privées à « la chasse » aux clandestins ».

De son côté, la Ligue de l’enseignement, un ensemble de 35.000 associations locales, s’indigne que des enfants soient « pris comme boucs émissaires par une partie de la population » alors qu’ils sont les « premières victimes de l’incurie des adultes que nous sommes ». Si elle estime « légitime » la demande sécuritaire des citoyens, celle-ci ne « saurait pourtant autoriser que des mineurs soient discriminés à l’entrée de leurs écoles ».

La Ligue de l’enseignement demande aux autorités « étatiques et municipales  » de permettre l’exercice du droit fondamental de l’éducation pour tous les enfants tout en invitant l’ensemble des habitants de l’île à « refuser de tels agissements ». Il s’agit pour elle d’un devoir moral « pour une Nation qui, à juste titre, se glorifie d’avoir rédigé et adopté, en 1789, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ».

La Ligue de l’enseignement, encore peu connue à Mayotte, a été créée pour soutenir la création en France d’une école publique et laïque. Elle se définit comme « laïque et indépendante » et agit pour faire « vivre la citoyenneté en favorisant l’accès de tous à l’éducation, la culture, les loisirs ou le sport ».


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