le président de la Cnil en grenouille ébouillantée


article de la rubrique Big Brother > la Cnil
date de publication : vendredi 11 juillet 2008
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Edvige, Ardoise, Ariane, Faed, Fijaisv, Fnaeg, Stic, Judex, sans oublier Base élèves ... l’hyperactivité de l’Etat continue à engendrer de monstrueux fichiers.

Une première victime : Alex Türk, président de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil), qui n’a pas hésité à déclarer que le nouveau fichier Edvige « s’inscrit dans un ensemble que nous dénonçons depuis longtemps » mais que « l’essentiel en matière de liberté a été préservé ».
On peut craindre, avec le Syndicat des avocats de France (SAF), qu’Alex Türk ait été ébouillanté depuis longtemps par le zèle fichatoire de l’Etat ...


Les fichiers policiers et la grenouille ébouillantée

par Luc Bronner, Le Monde du 8 juillet 2008

Alex Türk n’est pas un dangereux gauchiste ou un adepte de la théorie du complot. Ce sénateur (divers droite) préside depuis 2004 la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), une institution que les gouvernements prétendent toujours vouloir renforcer mais dont ils s’empressent de ne pas suivre les recommandations. Alex Türk, donc, ne cache pas son inquiétude face à l’instauration d’une société de surveillance où les citoyens seraient en permanence surveillés, identifiés, analysés, suivis, décryptés par d’innombrables dispositifs technologiques, plus ou moins visibles.

Le sénateur s’alarme en particulier du "développement considérable", depuis le 11 Septembre, des systèmes de "traitements de données personnelles", autrement dit des fichiers nominatifs mis en place pour lutter contre la délinquance. Un STIC par ici (pour les auteurs et victimes traités par la police française), un Judex un peu plus loin (les mêmes, pour les gendarmes), un Fnaeg (empreintes génétiques), un Fijaisv (délinquants sexuels). Et, dernier arrivé, ce fameux Edvige, acronyme improbable qui doit aider la police à répertorier et à suivre les individus suspectés de vouloir troubler l’ordre public. Y compris lorsque ceux-ci ont à peine 13 ans.

Le problème, explique le sénateur, ne réside pas dans chaque fichier pris
isolément. Lutter contre le terrorisme ? Indispensable, évidemment. Contre les délinquants sexuels ? Difficilement contestable. Contre les tueurs en série ? Idem. Avoir un fichier génétique performant ? Un moyen utile de réduire les erreurs judiciaires. Même chose pour les jeunes suspectés de participer à des violences urbaines que le fichier Edvige devra recenser : après tout, il n’est pas illogique de vouloir repérer les acteurs de ces violences, donc de s’intéresser à la tranche d’âge la plus sensible, à savoir les adolescents de 13 à 18 ans. Un fichier qui viserait les plus de 18 ans serait sans doute plus acceptable sur le plan philosophique, mais sans aucun intérêt sur le terrain.

De son poste d’observation, le sénateur Alex Türk ne cache toutefois pas son "angoisse". Le souci, au fond, est le même que pour les OGM. Aucun danger majeur visible à court terme mais une vraie incertitude à moyen ou long terme. "On n’est pas au centième du développement de ces données, prophétisait-il en mars devant l’Institut national des hautes études de sécurité (INHES). Personne ne sait quel sera l’impact exact de la conjugaison de tous ces fichiers à l’échéance 2015-2020." Que se passera-t-il, demain, si des fichiers normalement cloisonnés sont, volontairement ou non, connectés les uns aux autres ? Quelles conséquences en cas d’accident industriel comme celui intervenu au Royaume-Uni, en novembre 2007, avec la perte d’informations
confidentielles concernant 25 millions de bénéficiaires d’allocations
familiales ?

Et comment gérer la conjonction de données biométriques (votre passeport), d’éléments de traçabilité (votre carte bancaire, vos téléphones, etc.), d’outils Internet (vos moteurs de recherche, vos réseaux sociaux), de géo-localisation des biens et des personnes (votre GPS, votre portable), de vidéosurveillance (la caméra en face de vous)... Alex Türk use volontiers de la métaphore de la "grenouille ébouillantée" pour réclamer la mise en oeuvre d’un principe de précaution numérique. Une grenouille plongée dans une casserole d’eau bouillante essaiera de se débattre et de s’enfuir. Le même batracien plongé dans de l’eau tiède se sentira bien. Montez la température, il se laissera engourdir et finira par mourir ébouillanté, sans avoir jamais réagi. "Parfois, je me demande si nous ne sommes pas dans cette situation", s’interrogeait-il récemment. Jusque-là tout va bien, donc...

Luc Bronner

Communiqué du SAF

Avec EDVIGE, poursuite de la spirale orwellienne

Paris - 05 juillet 2008

Dans la lignée de l’extension massive des personnes susceptibles de faire partie du Fichage National en matière d’Empreintes Génétiques, le gouvernement vient de publier un nouveau décret daté du 27 juin 2008 portant « création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé EDVIGE ».

Ce fichier va permettre de « centraliser et analyser les informations relatives », d’une part « aux personnes physiques ou morales ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif » (sic !), et d’autre part « aux individus, groupes, organisations et personnes morales qui en raison de leur activité individuelle ou collective, sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public », sachant qu’en outre, sur ce dernier point, sont concernés les mineurs dès l’âge de 13 ans ! Et ce, sans aucune limite dans le temps ni dans son contenu.

Il est déplorable que le président de la CNIL, tout en reconnaissant qu’ « abaisser l’âge à 13 ans est excessif » et que « tout cela s’inscrit dans un ensemble que nous dénonçons depuis longtemps » ait estimé que « l’essentiel en matière de liberté a été préservé ».

En effet c’est une redoutable extension du fichage policier des citoyens qui est ici mise en œuvre, avec en outre un amalgame entre les personnes « susceptibles de porter atteinte à l’ordre public » et les militants politiques, syndicaux et associatifs, enfants « tracés » comme futurs délinquants présumés dès l’âge de 13 ans et soupçon préventif comme simple justificatif.

Le SAF s’élève contre ce niveau de surveillance généralisé hautement discriminatoire et totalement incompatible avec l’Etat de droit.

Il en appelle à la mobilisation de toutes les énergies et s’associera à toute action visant la suppression pure et simple de ce fichier.

Alex Türk, président de la Cnil : « Baisser l’âge à 13 ans est excessif »

propos recueillis par Amélia Blanchot, Libération le 3 juillet 2008

Mardi, le Journal officiel publiait un décret instituant Edvige, un fichier mis à disposition de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) contenant des « données à caractère personnel » concernant « des personnes physiques âgées de 13 ans et plus ». Sa création est contestée par la Ligue des droits de l’homme et par le premier syndicat d’éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse. Réaction d’Alex Türk, président de la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés).

  • La Cnil a émis des réserves sur ce fichier, pourquoi ?

Pour plusieurs raisons. D’abord parce que le gouvernement voulait faire passer le décret sans le publier au Journal officiel, ce qui est une possibilité juridique. Nous avons exigé sa publication, car quelques aspects nous semblaient problématiques, notamment la question de l’âge. Mais l’essentiel en matière de libertés a été préservé.

  • Concrètement, Edvige concerne des personnes de quel âge ?

Le fichier peut recenser des données dans trois cas : dans le cadre d’une enquête administrative, d’une atteinte à l’ordre public, ou encore afin de centraliser des informations relatives aux personnalités (élus, syndicalistes, etc.). Nous exigeons que l’âge minimum soit de 16 ans dans les trois cas. Mais le décret stipule que les « mineurs de 16 ans » sont concernés uniquement par les atteintes à l’ordre public, les deux autres points concernant les mineurs âgés de 13 ans et plus. Une proposition qui, à l’origine, nous convenait. Mais le ministère de l’Intérieur interprète « mineurs de 16 ans » par « âgés de 13 à 16 ans ». Et nous jugeons qu’abaisser l’âge à 13 ans est excessif.

  • Estimez-vous que nous arrivons à un excès de fichage ?

Oui. Et cela s’inscrit dans un ensemble que nous dénonçons depuis longtemps. En l’occurrence, ce type de fichier a toujours existé, ce n’est pas une nouveauté. C’est juste une adaptation au nouveau système de renseignements, à la fusion des RG et de la DST. Il faut simplement faire attention à la traçabilité des consultations, et nous y veillerons grâce aux contrôles. Nous serons également vigilants sur la sécurité du système.