la Cnil, gravement surbookée, n’a plus un rond


article de la rubrique Big Brother > la Cnil
date de publication : jeudi 14 décembre 2006
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La Cnil ne parvient pas à faire face.

Dans le cas du fichier ELOI, s’agit-il d’une négligence plus ou moins délibérée – la Cnil est présidée par le sénateur Alex Türk, qui ne se permet, « en aucune manière, de contester le bien-fondé même [ des ] politiques qui répondent aux attentes de nos concitoyens », – ou est-ce la conséquence d’un réel manque de moyens – une charge de travail qui a quadruplé en trois ans, un effectif de 90 personnes, alors qu’il en faudrait le double ... ?

[Première mise en ligne, le 23 nov. 06
mise à jour le 14 déc. 06]

Voir en ligne : ELOI va ficher les sans-papiers et leurs amis

La Cnil n’a pu rendre d’avis motivé sur le fichier ELOI

Saisie ces dernières années de plusieurs projets du ministère de l’Intérieur tels que l’expérimentation des visas biométriques dans les aéroports, la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) a-t-elle donné son feu vert à ce nouveau fichage ? Selon la responsable de la Direction des Affaires juridiques de la Cnil, Sophie Vulliet-Tavernier, la Commission n’a pas donné son assentiment total à la mise en place d’une telle base de données. Elle explique que : « saisie d’une demande d’avis en mai 2006, la Cnil avait deux mois pour rendre son avis. Compte tenu des moyens limités dont elle dispose et du nombre croissant de dossiers dont elle est saisie, la Commission n’a pu rendre dans les délais qui lui étaient impartis par la loi d’avis motivé. Au terme de la loi, faute de réponse de la Cnil, l’avis est donc favorable. Le ministère de l’Intérieur a fait application de la loi et a mis en place son fichier ».

[Extrait de « un nouveau fichier pour traquer les clandestins », par Myriam Berber, RFI, le 18 août 06.]

L’affaire illustre l’effondrement programmé des garanties entourant la constitution des fichiers : non seulement la loi de 2004 réformant la loi informatique et libertés de 1978 permet désormais à l’exécutif de passer outre à un avis négatif de la CNIL, mais en l’espèce la CNIL n’a même pas eu le temps - ou n’a pas pris la peine - de rendre un avis : saisie le 18 mai, elle ne s’était pas encore prononcée le 18 juillet ; et son silence gardé pendant deux mois, toujours selon la nouvelle loi, valait approbation implicite.

[Extrait du communiqué commun Cimade, Gisti, IRIS, LDH,du 3 octobre 06]

La Cnil est fauchée et débordée

20Minutes.fr | 21.11.06 | 15h46

La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), créée en 1978, est en état de cessation de paiement alors même "qu’elle connaît un accroissement spectaculaire de son activité". Dans une lettre adressée le 26 octobre au Premier ministre Dominique de Villepin, Alex Türk, son président, souligne que l’autorité administrative, dont le budget est rattaché à celui de la Justice, accuse en cette fin d’année "un déficit de 532.000 euros qui menace son bon fonctionnement".

Chargée de veiller à la protection des données individuelles informatisées, la Cnil est en effet contrainte de faire l’impasse sur certaines missions alors que « la charge de travail a augmenté de 370% en trois ans ». Alex Türk parle même de « loupé faute de moyens » à propos du fichier Eloi de lutte contre l’immigration clandestine, créé par un arrêté du ministère de l’Intérieur du 30 juillet. Alors que les associations de défense des droits de l’Homme jugent ce fichier contraire aux libertés, la Cnil n’a pas pu se prononcer sur ce texte dans le délai de deux mois qui lui est imparti par la loi, ce qui équivaut à un accord tacite.

La répétition de ces ratés est "inévitable", prévient Alex Türk au moment où les dossiers s’amoncellent avec l’explosion des nouvelles technologies : vidéosurveillance, biométrie, géolocalisation, traçabilité sur portable et l’Internet, sans compter le fichage des "hooligans" ou l’accès aux données du permis à points. Et ce en attendant "la vague des nanotechnologies" qui s’annonce.

Outre le contrôle des textes réglementaires, la Cnil doit aussi vérifier la légalité des fichiers des entreprises ou administrations, effectuer des contrôles sur le terrain et examiner les plaintes de citoyens (3.500 à 4.000 par an) ainsi que les 8.000 déclarations obligatoires de fichiers chaque mois. Une personne, par exemple, qui se voit refuser un emploi dans un secteur sensible parce que son nom figure sur un fichier de police devra attendre « des mois » avant que la Cnil puisse vérifier le bien-fondé du rejet. Avec le durcissement des lois antiterroristes, ces demandes « sont passées de 800 avant 2004 à 2.000 aujourd’hui et nous n’avons qu’une seule personne pour les gérer », déplore Alex Türk.

Avec 9 millions d’euros en 2006 (10 en 2007) et 90 personnes, « la Cnil a le plus faible budget de toutes les autorités indépendantes similaires en Europe. Il faudrait qu’on soit 200 avec un budget doublé pour répondre à nos missions", insiste Alex Türk, qui ne décolère pas contre Bercy qui a en plus gelé 300.000 euros de ses crédits [1].

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Des critiques feutrées

Pourquoi le gouvernement est-il si sévère avec la CNIL ? Une commission dont les « avis » critiques sont pourtant bien feutrés. A titre d’exemple, voici comment la Cnil a réagi, le 26 juillet 2006, après avoir constaté que le gouvernement avait refusé de suivre son avis sur le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance (version du texte datant du 13 juin 2006), notamment sur le rôle central du maire dans le partage d’informations sensibles sur ses administrés :

"Le maire ne devrait pas être rendu systématiquement destinataire des informations que les professionnels de l’action sociale sont conduits à recueillir auprès des personnes et des familles en difficulté dans le cadre des relations de confiance qu’ils nouent avec elles et des garanties de confidentialité qu’ils leur apportent. Quant au partage d’informations entre travailleurs sociaux (...), il doit nécessairement, lorsqu’il porte sur des données qui touchent à l’intimité de leur vie privée, s’effectuer dans le respect de leurs droits et d’une stricte confidentialité (...). Il est donc regrettable [que le ministre ait maintenu cette disposition] sans que des garanties particulières aient été définies". [2]

Un commentaire bien complaisant provenant d’un organisme dont la « mission essentielle » est pourtant, « face aux dangers que l’informatique peut faire peser sur les libertés », « de protéger la vie privée et les libertés individuelles ou publiques » [3]. Faut-il que ces timides critiques gênent pour que la commission soit menacée financièrement [4] !

Les vigoureuses déclarations du président

Un président qui parle haut mais qui ne se permet, « en aucune manière, de contester le bien-fondé même de ces politiques qui répondent aux attentes de nos concitoyens ».

Les responsables de 49 commissions informatique et libertés se sont réunis à Londres, les 2 et 3 novembre 2006, avec pour objectif d’alerter l’opinion sur les abus du fichage sécuritaire en préparant l’instauration d’un organisme international permanent de contrôle des dérapages informatiques. Voici des extraits de la vigoureuse adresse de seize pages rédigée à cette occasion par Alex Türk, président de la Cnil [5] :

« La vague sécuritaire pourrait nous submerger »

par Alex Türk

« Nous sommes confrontés à une immense vague technologique qui
bouleverse sur son passage, nos traditions juridiques, l’application de nos concepts, et pour finir, les grandes certitudes que nous pouvions encore entretenir, nous, Autorités de protection des données, sur l’effectivité de notre action. Et voici que, peu après la tragédie du 11 Septembre et des autres attentats terroristes survenus par la suite, est apparue une seconde vague que l’on pourrait qualifier de "sécuritaire" et qui a déclenché, depuis cinq ans, un mouvement profond, au sein des pouvoirs publics de nombreux États, en faveur d’un accroissement des moyens d’action en matière de lutte antiterroriste.

Bien entendu, il ne s’agit, en aucune manière, de contester le bien-fondé même de ces politiques qui répondent aux attentes de nos concitoyens. [...] Mais cette vague "sécuritaire", normative cette fois, qui s’est traduite par la création ou l’extension de nombreux fichiers et la mise en place, au profit des autorités de police, de nouveaux moyens d’investigation dans les systèmes d’information, pourrait bien submerger nos Autorités.

On éprouve, souvent, un sentiment d’incompréhension lorsque l’on constate que nos Autorités de contrôle, faute de moyens suffisants, ne peuvent accomplir correctement toutes leurs missions. [...] Nos Autorités doivent se battre contre le mirage du "fichier, remède miracle". On dit parfois que lorsque l’autorité publique est confrontée à un problème elle crée une commission. Désormais, à cette propension s’ajoute un nouveau réflexe : la création d’un fichier ! [...1

Comment dès lors faire prendre conscience aux exécutifs et aux législatifs que la création de fichiers, lorsqu’ils concernent potentiellement des millions de personnes, appelle au préalable une réflexion de fond et une évaluation à la fois de la mesure et de la technique utilisée ? L’exemple de la biométrie est sur ce point révélateur : considérée comme la panacée en matière d’identification et d’authentification, alors même qu’elle n’a jamais fait l’objet d’une évaluation officielle concertée sur le plan international, la biométrie est aujourd’hui amenée à se développer massivement sans qu’aucune réflexion réelle n’ait été conduite sur les conséquences. »

P.-S.

Dans un communiqué en date du 13 décembre, intitulé La CNIL entendue par le premier ministre, le président de la commission fait savoir que :

« Le 4 décembre, le Premier Ministre, M. de Villepin a fait part, par courrier, au Président de sa décision d’accorder une dotation rectificative de 300 000 euros pour le présent exercice. Par ailleurs, il indique qu’une mission de réflexion confiée à une personnalité qualifiée sera prochainement mise en place pour faire toute proposition relative à la situation budgétaire des autorités administratives indépendantes.

« Le Président se félicite de voir la situation budgétaire de la CNIL rétablie pour 2006 et accueille avec un grand intérêt l’installation de cette mission de réflexion à laquelle la Commission apportera son concours. »

Notes

[1Alex Türk avait également dénoncé un amendement parlementaire (retiré depuis) au budget de la Justice, qui prévoyait de "diviser par deux le budget de la Cnil" afin d’augmenter les crédits de l’aide juridictionnelle.

[2Extrait du texte intitulé « L’avis de la CNIL sur le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance a-t-il été suivi ? » accessible sur le site de la Cnil.

[5Source : Politis n° 924 du 2 nov. 06.


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