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article de la rubrique Big Brother > fichiers et fichages
date de publication : dimanche 22 août 2004
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La montée en douceur d’un nouveau totalitarisme ? par Gilles Desnots - LDH Toulon


Le fichage, le flicage, le tatouage sécuritaire, nous inquiètent depuis longtemps et l’actualité récente nous appelle à une vigilance accrue. Le 15 juillet dernier, un vote du Sénat a permis l’assouplissement des lois de contrôle des fichiers d’Etat. Au printemps, la réforme de l’assurance maladie a posé le problème de la consultation des fichiers informatisés des patients. Depuis trois ans en fait, il n’est pas de mois sans que les medias, ou une partie de la classe politique fassent part de progrès signifiants quant à la détection, la recherche des fraudeurs, délinquants, criminels, et négligents. Tout cela se déroule sur fond de frénésie sécuritaire et sans réaction véritable de la population. Il est vrai que tous ces moyens de contrôle social sont présentés comme vertueux : ils sont indolores, efficaces, favorisent un plus grand bien être de la collectivité. Dans les établissements scolaires, des caméras de surveillance rassurent contre les vols et incartades des élèves ; dans les cantines, des lecteurs de géométrie de la main permettent de mieux gérer les flux des demi-pensionnaires ; face au crime, le prélèvement génétique démasque à coup sûr le coupable ; sur la route, le radar-Sarkosy tétanise les chauffards ; et puis la connexion de fichiers de tous ordres peut pousser les malades à se soigner, les assurés à moins dépenser, les salariés et imposés à mieux connaître leurs devoirs.

L’on voit bien que c’est finalement l’ensemble de la société qui, sous des prétextes humanitaires ou sécuritaires, se retrouve fiché ou menacé de l’être. Mais qui cela effraie-t-il à l’exception de quelques associations comme la nôtre ? Qui va jusqu’à faire le lien entre cette situation et la démocratie, ces contrôles et les libertés ? Qui ose imaginer qu’il devient peu à peu possible d’envisager un contrôle politique d’une nature particulièrement oppressante ?

L’écrasante majorité de nos concitoyens et de nos élus sont au contraire comme aveuglés par une sorte de religion du bon contrôle. La multiplication des télépaiements, des jeux vidéos, la banalisation des contôles virtuels et réels, ont déjà apprivoisé une population qui, de fait, va minimiser leur portée dangereuse. Le culte de la modernité techno-scientifique avec sa quête de la rapidité maximale joue également en ce sens. Et puis de plus en plus de métiers utilisent ou promeuvent ces contrôles techniques et sociaux, accentuant ainsi le sentiment qu’ils sont neutres. À terme, ces pratiques contribuent à déresponsabiliser davantage le sujet : on se remet à toute autorité gérant vos fichiers pour vous aider à penser à ... On apprend par exemple que peuvent être mis au point des systèmes de téléguidage des voitures, avec des trains de roue capables de tourner dans un sens différent de ce que commanderait le volant.

Il y a ceux malgré tout qui veulent bien vous écouter, et qui demeurent attentifs quand vous leur rappelez la récente décision des autorités américaines de biométriser les passeports étrangers, et d’exiger des Européens la transmission aux compagnies aériennes des États-Unis de 39 données personnelles des passagers. Les mêmes ne seront pas insensibles à l’argumentation de ceux qui ont dénoncé , cet été, l’affaiblissement des pouvoirs de la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) et donc la remise en cause de la loi de 1978.

Mais, au bout du compte, il faudra battre en retraite face à l’incrédulité de votre auditoire. C’est comme si la démocratie et les libertés étaient devenues des évidences immuables comme les saisons ou un alliage imputrescible. Comme si cette histoire de fichage ne pouvait appartenir qu’au monde de la science-fiction ou de l’histoire révolue des totalitarismes. A moins de renouer avec l’antienne bien connue qui veut que les peuples aient la mémoire courte. La méfiance est pourtant générale face à toutes les formes d’autorité ; le constat que dressent la plupart des gens est au moins désabusé, si ce n’est implacable quand il s’agit de décrire le pouvoir et les pratiques des hommes politiques ou des responsables du monde économique et financier. L’absence de réaction massive face à la montée des fichages et des contrôles de toute nature peut alors paraître d’autant plus étrange. A moins d’en faire une illustration supplémentaire de la crise peut-être mortelle des démocraties parlementaires inadaptées à nos sociétés bouleversées par l’individualisme et les changements d’échelle induits par la mondialisation. Cela complique évidemment la tâche d’une association comme la LDH dont l’histoire est étroitement liée au développement de la démocratie parlementaire depuis les origines. Si notre lutte contre l’oppression montante des contrôles politiques et sociaux est d’une absolue nécessité, elle doit sans doute trouver de nouveaux moyens pour convaincre, au-delà de la mince frange de la population qui nous écoute habituellement. L’histoire montre hélas que le seuil de rejet actif face aux flambées de barbarie, comme celle qui lève aujourd’hui, est très haut chez la plupart des hommes tentés d’accepter d’abord toutes les formes d’accommodement avec les lois, les autorités, les situations qui étouffent leur liberté. A notre place, modeste, de militants des droits de l’homme, c’est un véritable défi qui se présente et que nous ne pourrons pas relever seuls : reconstruire une conscience collective fondée sur la reconquête des idéaux de la République à tous les niveaux de la vie quotidienne, socio-professionnelle et politique.

G.D.


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