Michèle Alliot-Marie avait réactivé en septembre le groupe de contrôle des fichiers de police et de gendarmerie, à la suite du retrait du fichier policier controversé Edvige.
Présidé par Alain Bauer, le groupe de contrôle des fichiers qui ne s’était pas réuni depuis 2006, propose d’expérimenter un fichage des suspects d’infraction combinant couleur de peau et origine ethnique.
Le ministère de l’intérieur dément l’étude d’un fichier par couleur de peau et origine ethnique
LEMONDE.FR avec AFP, le 4 décembre 2008La polémique qui avait entouré la création du fichier Edvige a notamment abouti à la réactivation, début octobre, du groupe de contrôle des fichiers utilisés par la police et la gendarmerie. A la suite du tollé provoqué par l’initiative gouvernementale, la ministre de l’intérieur, Michèle Alliot-Marie, avait confié au criminologue Alain Bauer, président du groupe, la mission de réfléchir à un équilibre "entre l’efficacité de la protection des personnes et la nécessité de la protection vigilante des libertés".
Dans un projet de rapport du groupe pour le gouvernement, que s’est procuré l’AFP jeudi 4 décembre, une des conclusions propose de tester le fichage des suspects sur la base de leur couleur de peau et de leur origine ethnique. D’après M. Bauer, la question était de savoir quels étaient "les éléments les plus pertinents devant faciliter l’identification d’un individu suspecté d’avoir perpétré une infraction". Selon le texte, les participants sont tombés d’accord pour dire qu’un dispositif combinant "l’appartenance vraie ou supposée à une origine ethno-raciale" et "la gamme chromatique" pourrait être une solution. Une majorité d’entre eux a prôné son "expérimentation [...] sur un département incluant zone rurale et zone urbaine" pendant une durée d’un an.
Le ministère de l’intérieur a immédiatement démenti, dans un communiqué, que cette idée puisse être un jour adoptée. "Si cette proposition devait être faite, Michèle Alliot-Marie ne la retiendrait en aucun cas", assure-t-on place Beauvau. Contacté par l’AFP, M. Bauer assure qu’elle "ne correspond a aucun élément du texte provisoire du rapport". "La question qui a fait l’objet de débats concerne effectivement la manière de caractériser une personne, explique-t-il. Il a été constaté qu’aucune solution technique viable et consensuelle n’apparaissait, sauf pour la suppression du type ’gitan’ qui ne correspond à aucun critère rationnel."
Dix “types” ethniques
Selon le document, la classification ethnique devait combiner dix "types" : méditerranéen-caucasien, africain-antillais, métis et autres, maghrébin, moyen-oriental, asiatique, indo-pakistanais, latino-américain, polynésien et mélanésien, soit une actualisation de ceux actuellement utilisés dans le fichier de police informatisé STIC (système de traitement des infractions constatées) – qui répertorie les auteurs et victimes de crimes –, à l’exception du type "gitan", jugé innoportun. "Cette proposition, indique Alain Bauer dans l’introduction du rapport, montre la difficulté de mettre en place un outil utile pour les victimes, efficace pour les policiers, et qui ne heurte pas frontalement l’opinion publique dans l’idée qu’elle se fait de la lutte contre les discriminations." Le ministère de l’intérieur avait indiqué que les travaux du groupe de contrôle des fichiers devraient être rendus publics dans le courant du mois de décembre.
Le retrait du fichier Edvige, censé remplacer le fichier des anciens Renseignements généraux, a été officialisé jeudi 20 novembre, par un décret paru au Journal officiel. Une nouvelle mouture du fichier, baptisée Edvirsp (exploitation, documentation et valorisation de l’information relative à la sécurité publique), attend l’avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés avant d’être présentée au Conseil d’Etat. Edvirsp exclut désormais le recueil de données concernant la santé ou la vie sexuelle, ainsi que le fichage de personnalités exerçant un mandat ou jouant un rôle institutionnel, économique, social ou religieux "significatif".
[...] Le groupe de contrôle des fichiers mis en place par le ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie, et présidé par le criminologue Alain Bauer, évoque, dans un procès-verbal de discussions de ses deux dernières réunions, son souhait de réformer le fichier Canonge utilisé par la police pour retrouver un délinquant. [...]
Le fichier Canonge est cette base de donnée que la police alimente au fil des affaires avec la photographie des auteurs de crimes et délits. Elle présente ces clichés aux victimes afin qu’elle puissent éventuellement reconnaître leur voleur ou leur agresseur. Les suspects sont alors définis selon des critères censés coller à la description des témoins.
Conçu dans les années 1950 comme un outil d’aide à l’enquête par son créateur, l’inspecteur de police marseillais René Canonge, ce registre classait les auteurs d’infractions en quatre critères : « noir, blanc, jaune et arabe ». Mais la société a évolué. Informatisé en 1992, Canonge s’est perfectionné dans la description initiale en retenant douze catégories « ethno-raciales », toujours en vigueur : « blanc (Caucasien), Méditerranéen, Gitan, Moyen-Oriental, Nord Africain, Asiatique Eurasien, Amérindien, Indien (Inde), Métis-Mulâtre, Noir, Polynésien, Mélanésien-Canaque ».
Mais là encore, la terminologie choque. « Gitan » ne correspond à aucune donnée objective. Et le principe même de la catégorisation par race et origine ethnique met toujours mal à l’aise.
En 2006, après d’âpres discussions, le « groupe fichiers » du ministère de l’Intérieur, déjà présidé par Bauer, avait proposé une légère modification du Canonge, en supprimant notamment le terme « Gitan » et en définissant dix « types », de l’« Européen » au « Maghrébin ». La proposition s’est perdue dans les sables.
En 2008, ressuscité par l’affaire Edvige, le « groupe fichiers » revient à la charge. Et, contre toute attente, les propositions les plus iconoclastes ne sont pas venues des membres de l’administration mais des associations antiracistes qui siègent dans ce collège. Avec le représentant des avocats, elles ont proposé d’abandonner les critères raciaux au profit d’une description par la couleur de peau, en reprenant le principe de la « gamme chromatique » utilisée lors de la réalisation des portraits robots. Le représentant de la CNIL a proposé de réfléchir à une combinaison de deux systèmes. Et l’idée a germé d’une expérimentation dans un département. Le tout devait être débattu lundi prochain.
Compléments
34 fichiers de police et de gendarmerie étaient répertoriés en 2006, près de 45 aujourd’hui. Entre les fichiers proprement dits, les logiciels d’application, de type Ardoise, et les interconnexions de fichiers, leur nombre a progressé de façon exponentielle. La commission sur les fichiers pilotée par le criminologue Alain Bauer et réactivée par la ministre de l’intérieur, Michèle Alliot-Marie, au lendemain de la polémique sur l’ancien fichier Edvige, a découvert des fichiers dont elle ne soupçonnait même pas l’existence !
Ainsi, un exemple parmi d’autres, les membres de la commission ont-ils vu débarquer le Gestex, pour gestion du terrorisme et de l’extrémisme, une base de données gérée par la préfecture de police totalement inconnue jusqu’ici. [...]
[La commission a abordé le problème du] fichage des mineurs. Ces derniers sont déjà présents dans tous les fichiers, FNAEG compris, dès l’âge de 13 ans. Mais leur inscription dans un fichier de renseignement, sans qu’une infraction soit commise donc, comme dans l’ex-Edvige devenu Evdisrp, a déjà soulevé une tempête de protestations. Aujourd’hui, les avis sont partagés entre ceux qui refusent une telle hypothèse – c’est le cas de la Halde – et ceux qui accepteraient, moyennant un relèvement de l’âge minimum pour y figurer. La proposition médiane consisterait à procéder à un contrôle par un magistrat, tous les deux ans, de la situation des mineurs fichés, et à un contrôle supplémentaire à leur majorité.