psychiatriquement fichés


article de la rubrique Big Brother > psychiatrie
date de publication : jeudi 2 avril 2009
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« Depuis une dizaine d’années, les fichiers fourre-tout, dont l’utilité immédiate est incertaine, se multiplient et s’entrecroisent au point que les personnes deviennent transparentes aux yeux du pouvoir, virtuellement nues, que la confidentialité prend des allures d’archaïsme et que l’on oublie les conséquences dramatiques que peut provoquer un fichage précis des personnes lorsque le régime politique vient à se durcir. » [1]

Le RIM-Psy est un fichier qui recense de façon nominative les personnes ayant eu affaire à une structure psychiatrique. Un outil de contrôle de rêve pour un gouvernement engagé dans un traitement répressif des malades mentaux !
Pour s’opposer à une telle dérive, n’oublions pas qu’il est bien moins difficile de soutenir une position à plusieurs.

A Marseille, le collectif Psy13 organise une rencontre, mardi 7 avril à 20h,
à Mille Babords (61 rue Consolat), sur le thème « 
Questions et réflexions autour de l’obligation de fichage des patients dans les services enfants et adultes de psychiatrie ».
Contact : collectifpsy13@voila.fr


Commençons par une petite nouvelle de science-fiction :

Le petit Gaël faisait pipi au lit ...

d’après Milton Dassier [2]


Vous avez un petit garçon de 6 ans, Gaël, qui vient d’entrer au CP. Vous êtes pleine d’espoir. Un peu inquiète aussi. Comment va-t-il s’en sortir ? Cette année à la grande école est déterminante. Apprendre à lire, écrire, compter, une première marche à gravir vers la vie d’adulte.

Votre enfant est fragile, ça vous le savez. Mais vous ne saviez pas qu’une petite angoisse nocturne le conduirait à faire pipi au lit. Vous vous montrez rassurante, compréhensive, bienveillante, pensant que ça passera rapidement avec un peu plus d’amour... Et puis, il a du mal à l’école. La lecture, ça ne passe pas. Il est perdu avec toutes ces lettres, ces mots, ces phrases. Cela le rend nerveux en plus. Parfois, vous perdez patience.

Alors un jour, sur les conseils de l’école, vous prenez rendez-vous avec un pédo-psychiatre.
Il confirme le diagnostic d’énurésie et vous demande de faire faire différents examens à votre petit Gaël pour ses difficultés d’apprentissage : psychologue, orthophoniste.

Un travail thérapeutique et éducatif est effectué auprès de votre fils pendant plusieurs mois : groupes de parole, rééducation orthophonique, psychothérapie. Petit à petit, il s’améliore dans son comportement, sa lecture. Il va à l’école avec plus de plaisir car il a envie de bonnes notes.

Plusieurs années passent. Votre fils suit une scolarité normale. Il est largement dans la moyenne malgré quelques passages à vide.

A 18 ans, après l’obtention du bac, il souhaite entrer dans une école supérieure. Il réussit le concours et passe un entretien avec un jury. Gaël sait qu’il doit donner une image de lui, positive, dynamique et affirmer sa personnalité. Au sein du jury, un médecin que Gaël n’a jamais vu de sa vie. Qu’a-t-il en main ? Le dossier confidentiel pédo-psychiatrique de l’époque de ses 6 ans...

Cette petite histoire est une fiction, et nous espérons qu’elle le restera !

Mais, bientôt, tout enfant ayant consulté un service de pédo-psychiatrie pour des troubles transitoires et légers aura un dossier dans le fichier RIM-Psy. Plus généralement, toute personne consultant dans un service de psychiatrie aura un dossier nominatif, dont on ignore les règles d’effacement, dont on ne sait ni à qui il est accessible, ni à qui il le sera dans une dizaine d’années ...

L’association DELIS-SM-RA part en guerre contre RIM-Psy

Le Recueil d’Information Médicalisée en Psychiatrie (RIM-Psy ou RIM-P) a été mis en place par un arrêté du 29 juin 2006. C’est un fichier qui recense de façon nominative les personnes qui ont affaire à une structure de psychiatrie. La note du 3 novembre 2006, émanant de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), au ministère de la Santé, précise le dispositif à l’intention des directeurs d’établissements de santé publics ou privés ayant une activité de psychiatrie [3].

Depuis 2006, l’association Droits et libertés face à l’informatisation de la société Santé mentale en Rhône-Alpes (DELIS-SM-RA) tente d’alerter l’opinion sur les dangers de RIM-Psy. En février 2008, l’association a saisi le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) « sur les atteintes au respect de la vie privée [...] et à l’éthique médicale liées aux pratiques actuelles en matière de recueil informatique des “données personnelles” dans les établissements de santé privés et publics ayant une activité en psychiatrie ».

Voici des extraits de la lettre adressée au CCNE par l’association DELIS-SM-RA, le 25 février 2008 [4] :

« Depuis le premier janvier 2007 il est obligatoire [5] de renseigner pour chaque personne suivie par un service de psychiatrie de nombreuses données personnelles. Ces données comprennent notamment les diagnostics psychiatriques et les modalités légales d’hospitalisation (hospitalisation libre ou sous contrainte).

« Elles sont transmises de façon nominative au DIM (Département d’Information Médicale) de l’établissement, constituant ainsi dans chaque établissement des fichiers de données nominatives sensibles. Ces données sont ensuite agrégées et anonymisées, puis transmises à l’ATIH (Agence Technique de l’Information Hospitalière).[...]

« Nous sommes donc en présence d’un recueil nominatif de données sensibles dans le domaine de la santé, sans finalité clairement établie, et présentant, à notre sens, les risques suivants :

  • D’ores et déjà création et alimentation de fichiers nominatifs de données psychiatriques au sein des établissements, dans des conditions de sécurité et de confidentialité discutables (par exemple : l’accès aux données, leur mode et leur durée de conservation, leur
    mode de partage dans le cas de la mise en réseau de plusieurs établissements…).
    Nous tenons à souligner que toutes les démarches faites pour obtenir un recueil anonymisé à la source ont reçu une réponse négative au prétexte du risque de « doublons », et d’une confidentialité qui serait garantie par la déontologie médicale des responsables des DIM.
  • Les droits d’opposition et à l’oubli sont soit inexistants, soit inapplicables. L’information aux usagers est minimale et incomplète et s’adresse, notamment en psychiatrie, à un public parfois captif n’ayant d’autre ressource que d’avoir recours au service public (et même n’ayant aucun choix lors d’hospitalisation sans consentement).
  • A moyen terme, et au vu des évolutions dans d’autres domaines, il nous semble exister un risque non négligeable de connexions avec d’autres fichiers, et d’ouverture à d’autres utilisateurs (par exemple assurances privées compte tenu de l’évolution des prises en charge des frais de santé par l’Assurance maladie) [...]

« Est-il légitime de poursuivre un tel recueil, présentant des dangers pour les libertés publiques et l’exigence éthique qui est la nôtre, alors même qu’il n’a pas de finalité clairement établie, ni économique ni scientifique ? [...]

« Si rendre compte des activités en psychiatrie d’une part, mieux connaître les caractéristiques des personnes suivies d’autre part, ou bien encore essayer de répartir au mieux les budgets alloués à la psychiatrie sont des questions sérieuses, est-il légitime de prétendre y répondre par un « fichage » des données personnelles sensibles, et en obligeant les équipes psychiatriques à le faire au moyen d’outils retentissant de façon problématique sur leurs pratiques ? »

Le Comité consultatif d’éthique donne raison à DELIS-SM-RA

Estimant ne pas devoir faire des données de santé en psychiatrie un cas particulier au sein des données de santé en général, le CCNE a répondu à l’association en se référant à l’avis [6] qu’il avait rendu en mai 2008 sur le DMP et l’informatisation des données de santé. Voici un large extrait de la réponse du CCNE [7] :

« Il est permis de se demander si, dans l’état actuel des choses, le projet du DMP ne
postule pas l’existence d’une société plus fictive que réelle (...), où chacun bénéficie d’une
connexion internet, souhaite avoir accès à son dossier, comprend les informations médicales
qui s’y trouvent inscrites, retient son numéro d’accès et ne le confie à personne d’autre.

« L’histoire des systèmes de communication informatique atteste qu ’en dépit des
précautions prises par les concepteurs de programmes, des possibilités de subtilisation de
données confidentielles existent. L’outil informatique a la redoutable puissance de
démultiplier les possibilités de transmission des informations. La crainte persiste que des
données personnelles de santé puissent “voyager”, via l’internet, qu ’elles puissent être
récupérées, par exemple, par des assureurs ou des employeurs potentiels.

« Les facilités de communication et de traitement des données que permettent les
technologies informatiques ne sauraient dispenser de tout esprit critique. Bien plutôt, elles
augmentent la nécessité de son exercice »

Cette réponse conforte l’association DELIS dans sa lutte pour que les données recueillies en psychiatrie soient traitées avec des garanties suffisantes, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle.

Dans la motion, « Respect de la vie privée », issue de son congrès de mars 2007, considérant que le RIM-Psy est un recueil insensé dans ses objectifs, dans ses moyens et dans son contenu (fabrication d’une traçabilité des personnes suivies qui contrevient au respect de la vie privée et du secret professionnel), l’Union syndicale de la psychiatrie appelle au refus de remplir les données sensibles et notamment le diagnostic, et exige le respect du droit à l’oubli [8].

Le syndicat USP conclut :

Il s’agit d’une atteinte à la vie privée.


Sources :

P.-S.

La société Intellitec développe et distribue des logiciels et services informatiques, notamment des logiciels médicaux :

  • CIMAISE : Gestion médicale des unités de soins de psychiatrie adulte.
  • JPSY : Gestion médicale des unités de soins de psychiatrie infanto-juvénile.
  • CIMAISE-SMPR : Gestion médicale des Services Médico-Psychologiques des centres de détention.
  • CIMAISE-UMD : Gestion médicale des unités psychiatriques pour malades difficiles.
  • SUD : Gestion médicale des centres de soins aux usagers de drogues.

Son site internet http://www.intellitec.net/ permet d’accéder à une plaquette de présentation de la version 2 de CIMAISE et JPSY : http://www.intellitec.net/guides/CI....

Notes

[1La lettre LDH Grenoble, n°1, 2007.

[2D’après l’article « Encore un fichier : cyberpsychiatrie ou pédopiraterie ? » de Milton Dassier publié le 30 mars 2009 : http://miltondassier.over-blog.com/....

[3Cette note est consultable sur le site internet du ministère de la Santé : http://www.sante.gouv.fr/htm/dossie....

[5Arrêté du 29 juin 2006 relatif au recueil et au traitement des données d’activité médicale des
établissements de santé publics ou privés ayant une activité en psychiatrie.

[6Avis N° 104 du CCNE http://www.ccne-ethique.fr/docs/Avi....

[7La réponse du CCNE : http://www.delis.sgdg.org/menu/psyc...


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