le diagnostic prénatal en débat


article de la rubrique droits de l’Homme > bioéthique
date de publication : samedi 3 mars 2007
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Après un bilan de l’assistance médicale à la procréation et des techniques de diagnostic prénatal, vous trouverez des aperçus de la pratique médical du dépistage prénatal.

Dans l’entretien qui suit, Didier Sicard, président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), exprime son inquiétude devant le fait que « dans la très grande majorité des cas, le dépistage prénatal n’est pas destiné à traiter mais bien à supprimer ». Ce petit dossier se termine avec la réponse de Pierre Leymarie et Nathalie Leporrier aux inquiétudes de D.Sicard.


Premier bilan exhaustif de l’assistance médicale à la procréation en France

par Jean-Yves Nau, Le Monde, du 3 février 2007

Carine Camby, directrice générale de l’Agence de la biomédecine a, jeudi 1er février, rendu public le premier bilan chiffré des activités de l’assistance médicale à la procréation (AMP) et de génétique humaine pratiquées en France durant la période 2002-2004.

La loi de bioéthique du 6 août 2004 confie en effet à l’Agence de la biomédecine la responsabilité de suivre, d’évaluer et de contrôler les activités de procréation, d’embryologie et de génétique humaines. A ce titre, elle doit établir et diffuser des données statistiques concernant l’ensemble de ces activités. Jusqu’à présent, quelques chiffres étaient fournis, sur la base du volontariat, par les centres spécialisés dans l’assistance médicale à la procréation, ce qui ne permettait pas toujours de disposer d’une analyse objective. Tel n’est désormais plus le cas.

Grâce à la collaboration des centres biologiques et cliniques qui ont transmis leurs bilans d’activité pour la période 2002-2004, l’Agence de la biomédecine a pu réaliser un premier bilan quasi exhaustif. En 2004, on a recensé plus de 113 000 tentatives d’AMP réparties de la façon suivante : 47 % d’inséminations artificielles, 43 % de fécondations in vitro et 10 % de transferts in utero d’embryons congelés. Ces 113 098 tentatives ont permis d’obtenir 17 791 naissances, soit 2,3 % de la population née cette même année. Parmi ces naissances, 1 085 correspondaient à un don de cellules sexuelles.

"Les données recueillies apportent une description globale de l’activité. Elles ne permettent toutefois pas d’évaluer de façon sûre l’offre et la demande, ni de connaître le nombre de femmes ayant eu recours à une AMP", précise-t-on auprès de l’Agence de la biomédecine. C’est pourquoi un recueil de ces activités, tentative par tentative, va prochainement être mis en place.

DIAGNOSTIC PRÉNATAL

Les données nationales concernant les diagnostics médicaux effectués sur les foetus et les embryons émanent quant à eux des 206 laboratoires autorisés pour le diagnostic prénatal et des 3 centres de diagnostic préimplantatoire. En 2004 on a, en France, procédé après amniocentèse à l’analyse de 91 506 patrimoines chromosomiques de foetus. Ces examens ont permis de dépister 4 370 anomalies chromosomiques dont 41 % concernent la trisomie 21. Plus de 2 300 examens de génétique moléculaire ont été effectués sur des cellules foetales, et on a effectué un dosage sanguin de certains facteurs de risque (ou marqueurs sériques) pour la trisomie 21 chez 627 251 femmes enceintes. Environ 36 000 diagnostics par amniocentèse ont été réalisés à la suite des résultats des marqueurs sériques.

Près de 6 000 interruptions volontaires de grossesse pour raisons médicales (IMG) ont été pratiquées, un chiffre stable depuis 2002. Elles ont fait suite, dans près de 50 % des cas, à des diagnostics de malformations et dans plus de 30 % des cas à des anomalies chromosomiques. Près de 50 % des IMG sont pratiquées à la suite d’un examen échographique.

Jean-Yves Nau

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Comment mettre de l’ordre dans le diagnostic prénatal

par Anne-Bénédicte Hoffner, La Croix, 27 février 2007

Réagissant aux propos alarmistes du président du Comité consultatif national d’éthique, Didier Sicard, "La Croix" a interrogé des médecins sur leur pratique du dépistage prénatal

Dans de nombreux services d’obstétrique, le constat est le même : les parents ne supportent plus la moindre anomalie « visible » décelée au cours de la grossesse. « Si l’intestin est en cause, on explique qu’il ne restera qu’une cicatrice après l’opération, et il n’y a pas de problème, constate le professeur Roger Henrion, qui a exercé à l’hôpital Port-Royal à Paris. Mais s’il manque un fragment de membre, même si c’est appareillable, les parents disent non. »

À l’hôpital britannique de Levallois-Perret, Joëlle Jansé-Marec observe, elle aussi, que « les anomalies de la face sont beaucoup moins bien supportées qu’une malformation cardiaque, même gravissime ». Certains parents sont effondrés lorsqu’ils apprennent qu’il manque « trois doigts de la main » à leur fœtus. Ou qu’il a un bec-de-lièvre. Pourtant, s’étonnent de nombreux praticiens, ces mêmes parents leur demandent de « se battre jusqu’au bout » en cas de naissance prématurée, alors que les séquelles peuvent être très lourdes.

Quant à la trisomie 21, Pascal Vaast, responsable de l’unité d’échographie et de médecine fœtale de l’hôpital Jeanne-de-Flandres à Lille, a le sentiment qu’elle est devenue « le symbole du dépistage anténatal ». « Aujourd’hui, on en est à presque 75 % de fœtus dépistés », constate-t-il, avec le sentiment d’être sous une pression « scientifique et peut-être sociale ». Dans 95 % des cas d’anomalie détectés, ce diagnostic conduit à une interruption de grossesse.

"Le dépistage vise à la suppression, et non au traitement"

En France, les femmes enceintes se voient proposer, au cours de leur grossesse, deux techniques de dépistage – les échographies et les marqueurs sériques – et, le cas échéant, un diagnostic. Ces examens visent des pathologies différentes, avec l’objectif, au départ, de mieux les prendre en charge.

Mais pour Didier Sicard, président du Comité consultatif national d’éthique et ancien chef du service de médecine interne à l’hôpital Cochin à Paris, la cause est entendue : « La vérité centrale est que l’essentiel de l’activité de dépistage prénatal vise à la suppression et non pas au traitement » (dans Le Monde du 6 février).

Et d’insister quelques jours plus tard lors de l’émission « JDS Info » sur France 2, coproduite par « Le Jour du Seigneur » et La Croix (lire notre édition du 12 février) : « L’eugénisme est la volonté d’une société de faire naître des enfants selon un caractère particulier : nous n’en sommes pas encore là ! Simplement, je me demande si nous ne sommes pas sur une pente glissante, dans la mesure où les examens sur une femme enceinte finissent, dans notre pays, par être d’une radicalité extrême. »

"Les parents seuls aptes à juger"

À l’origine, l’eugénisme signifie « bien engendrer ». Pour le Petit Robert, il définit aujourd’hui une « science qui étudie et met en œuvre les moyens d’améliorer l’espèce humaine ». Mais de nombreux médecins récusent l’emploi de ce terme, faisant valoir que les femmes ont le choix d’avoir recours, ou non, au dépistage.

« La prévention par la mort d’une souffrance de l’enfant, ce n’est pas l’eugénisme, affirme ainsi le professeur Claude Sureau, ancien président de l’Académie de médecine. Dans certains cas, comme la trisomie 21, cette souffrance n’est pas évidente, c’est vrai. C’est plutôt la souffrance des parents que l’on vise à faire disparaître. Cela pose sans doute une question morale, mais, en aucun cas, il ne s’agit d’eugénisme. »

Joëlle Jansé-Marec est du même avis : « La sélection n’est pas “systématique” comme l’implique une politique eugéniste. Les parents ont le choix de leur décision. Ils sont seuls aptes à juger ce dont ils sont capables. »

Pourtant, d’autres experts considèrent que des dérives eugénistes sont bien à l’œuvre, dans la mesure où le dépistage est généralisé et où une forte « pression sociale » s’exerce sur les femmes pour les convaincre d’interrompre leur grossesse en cas d’anomalie. Bertrand Mathieu, juriste et directeur du Centre de recherche en droit constitutionnel, est de ceux-là.

"Aujourd’hui on organise la sélection des personnes"

« Alors que la loi de bioéthique a interdit en 1994 “les pratiques eugéniques tendant à l’organisation de la sélection des personnes”, aujourd’hui on organise la sélection des personnes », estime-t-il. Il en veut pour preuve deux évolutions inquiétantes à ses yeux : le « lien automatique établi entre dépistage et interruption de grossesse – en témoigne l’affaire Perruche, dans laquelle le juge présumait que si la femme avait su que son enfant était anormal, elle aurait avorté », et le recours accru à l’interruption médicale de grossesse, grâce à l’« élargissement de la notion d’exceptionnelle gravité ».

Le débat ne peut toutefois être tranché si nettement. Ce serait omettre le fait que le dépistage prénatal permet aussi de sauver des vies. Roger Henrion se souvient ainsi « de ces centaines d’enfants opérés à la naissance et de ces femmes convaincues de ne pas avorter ».

« Certaines pathologies, comme l’hémophilie, étant beaucoup mieux prises en charge aujourd’hui, j’ai vu des parents décider finalement de garder leur enfant », témoigne également Pascal Vaast, à Lille, pour qui « tous les aspects du dépistage ne doivent pas être mis dans le même panier ». Reste que, comme il le reconnaît, « les progrès de la science en termes de diagnostic sont beaucoup plus rapides que ceux concernant la thérapie ». D’où le « hiatus actuel » entre le nombre des anomalies dépistées et leur possible prise en charge.

"Donner leur vraie place aux personnes handicapées"

Quelles solutions envisager ? Les médecins sont d’accord sur ce point : il n’est pas envisageable d’arrêter le dépistage. Il faut seulement y « mettre de l’ordre », estime le professeur Henrion. Il s’y est d’ailleurs employé, avec Claude Sureau, à la tête d’un Comité national technique créé en 2001 à la suite de l’affaire Perruche.

Son rapport, publié en avril 2005, donne aux échographes un « canevas de base », une liste « des éléments systématiquement étudiés » dans les pays voisins lors d’une échographie fœtale. « Les praticiens doivent par exemple vérifier que le fœtus a quatre membres et que chaque membre a trois parties. Mais ils ne sont pas obligés d’aller au-delà, explique-t-il. Et ils pourront s’appuyer sur cette liste en cas de contentieux avec les familles. »

Pour Pascal Vaast, « la société doit se donner les moyens de faire ce dépistage dans de bonnes conditions ». Concrètement, les médecins devraient avoir, selon lui, plus de temps pour discuter avec les parents des examens proposés avant de les réaliser, leur en expliquer les conséquences et les interroger sur leurs intentions. Surtout, et comme tous ses confrères, il estime urgent de « donner leur vraie place aux personnes handicapées dans la société, sans quoi on ne changera rien à la situation actuelle ».

Inquiet, l’ancien sénateur Claude Huriet estime, lui, qu’il est « urgent de multiplier les instances de débat éthique, seules susceptibles d’éclairer le législateur et le citoyen ».

Anne-Bénédicte Hoffner

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La France au risque de l’eugénisme

Un entretien avec Didier Sicard, président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) [1]
publié dans Le Monde, du 4 février 2007.
  • La récente polémique suscitée par le Téléthon s’est focalisée sur le diagnostic préimplantatoire des embryons humains et le tri de ces derniers sur des critères génétiques. Est-ce à dire que le dépistage va supplanter la thérapeutique ?

La thérapeutique n’a pas ici grand-chose à voir avec le dépistage. La vérité centrale est que l’essentiel de l’activité de dépistage prénatal vise à la suppression et non pas au traitement. Ainsi, ce dépistage renvoie à une perspective terrifiante : celle de l’éradication. Et ceci est peut-être plus vrai en France que dans d’autres pays. Certaines peuvent aller jusqu’à proposer ouvertement d’"éradiquer l’hémophilie", d’"arrêter la propagation des maladies génétiques". Nous sommes ici dans un imaginaire où le chromosome et le gène prennent la place des agents pathogènes infectieux, que l’on demande à la médecine de ne plus voir.

  • Peut-on faire un parallèle avec les politiques d’eugénisme menées à la fin du XIXe et au début du XXe siècle en Europe du Nord et aux Etats-Unis ?

Peut-être. Disons que l’obsession du dépistage à laquelle nous assistons a beaucoup à voir avec une idéologie rendue possible par la technique. Ce qui est intéressant ici est le rapport entre la science et la politique. Ces deux entités ont besoin l’une de l’autre. Or la politique, qui finance la science, est terriblement influençable par le discours scientifique qui lui offre une sorte de caution, de raison d’agir. Et il y a toujours un moment où la politique prend la science au mot pour transformer la société au motif que "la science dit le vrai". Je mets bien évidemment à part certains dépistages à la naissance, comme celui de l’hypothyroïdie, qui permettent la mise en place d’un traitement efficace par voie alimentaire. Mais, je le répète, dans la très grande majorité des cas, le dépistage prénatal n’est pas destiné à traiter mais bien à supprimer.

  • Ce phénomène se développe dans un espace démocratique. Les interruptions médicales de grossesse ne sont-elles pas, le cas échéant, proposées, jamais imposées ?

Certes. Mais ces propositions s’inscrivent dans une dimension sociale. Dans une société idéale on pourrait imaginer que des parents informés puissent décider qu’ils ne peuvent pas accepter la naissance d’un enfant atteint de telle ou telle affection grave. Je ne suis pas certain que ce soit à la société d’intervenir dans le choix de ces parents. Et il me paraît hautement préoccupant que l’on passe d’un dépistage généralisé à une forme d’éradication sociale.

Le cas des trisomies 21 et 18 en est un exemple paradigmatique. Tout s’est passé comme si à un moment donné la science avait cédé à la société le droit d’établir que la venue au monde de certains enfants était devenue collectivement non souhaitée, non souhaitable. Et les parents qui désireraient la naissance de ces enfants doivent, outre la souffrance associée à ce handicap, s’exposer au regard de la communauté et à une forme de cruauté sociale née du fait qu’ils n’ont pas accepté la proposition faite par la science et entérinée par la loi.

En France la généralisation du dépistage est, certes, fondée sur la notion de proposition, mais dans la pratique il est, de fait, devenu quasi obligatoire. Le dépistage de la trisomie concerne désormais en France, gratuitement, la quasi-totalité des grossesses. Osons le dire : la France construit pas à pas une politique de santé qui flirte de plus en plus avec l’eugénisme.

  • Y a-t-il une limite technique au nombre des dépistages prénataux ?

Non. Et nous ne sommes aujourd’hui qu’au tout début des possibilités de dépistage des affections génétiques. Le dépistage, comme toute technique, à une tendance à la double extension quantitative et qualitative. Des firmes particulièrement agressives en termes de dumping et de marketing, qui ne craignent pas de se présenter comme faisant le bien public, qualifient d’irresponsables ceux qui tentent de débattre de manière critique de ces questions.

En l’occurrence, il n’y a pas de vraie pensée mais la recherche constante d’une optimisation. Le résultat intervient toujours avant que l’on interroge son sens. Il en irait différemment si le dépistage n’était mis en oeuvre qu’au bout d’une réflexion, d’une anticipation, d’une démarche de discernement chez les couples concernés. Or c’est très exactement le contraire qui se passe.

  • En quoi y a-t-il, selon vous, une spécificité française ?

Trois points me semblent particulièrement importants. Le premier est que ces dépistages sont idéologiquement perçus comme un progrès des acquis scientifiques, des Lumières, de la Raison. Et la France a une très grande confiance vis-à-vis de ces acquis, une confiance beaucoup plus grande que d’autres cultures. Le deuxième point est la très grande accessibilité à ces techniques de dépistage. Le troisième est en quelque sorte la conséquence des deux premiers : c’est l’effrayant déficit dans l’accueil des personnes handicapées. Or il faut savoir qu’en Allemagne et dans certains pays nordiques cet accueil est tel que le dépistage n’est pas perçu de la même manière qu’en France, c’est-à-dire comme un empêchement à naître.

  • Est-ce dû au fait que ces pays ont, dans le passé, mis en oeuvre différentes formes d’eugénisme ?

Je ne sais pas. En revanche, je suis persuadé que si la France avait été confrontée, à l’occasion d’un régime nazi, à des pratiques eugénistes similaires, elle répugnerait aujourd’hui à s’engager sur une pente particulièrement dangereuse. Au XXIe siècle, que la naissance d’enfants hémophiles soit, du fait des progrès de la science, considérée comme éventuellement inacceptable est bouleversant. C’est à la fois fou et irresponsable. Nous ne pouvons pas nous exonérer de cette idéologie aujourd’hui plus française qu’allemande. Dans le même temps, je peux comprendre, dans l’état actuel de la législation et des pratiques françaises, certains choix des familles concernées par leur souffrance et celle des enfants.

  • Vous comprenez tout en ne cachant pas vos inquiétudes.

Je suis profondément inquiet devant le caractère systématique des dépistages, devant un système de pensée unique, devant le fait que tout ceci soit désormais considéré comme un acquis. Cette évolution et cette radicalité me posent problème. Comment défendre un droit à l’inexistence ? J’ajoute que le dépistage réduit la personne à une caractéristique. C’est ainsi que certains souhaitent que l’on dépiste systématiquement la maladie de Marfan dont souffraient notamment le président Lincoln et Mendelssohn. Aujourd’hui, Mozart, parce qu’il souffrait probablement de la maladie de Gilles de la Tourette, Einstein et son cerveau hypertrophié à gauche, Petrucciani par sa maladie osseuse, seraient considérés comme des déviants indignes de vivre.

On ne peut pas ne pas s’inquiéter du refus contemporain grandissant de l’anomalie identifiable par un dépistage. Nous donnons sans arrêt, avec une extraordinaire naïveté, une caution scientifique à ce qui au fond nous dérange. Et nous ne sommes pas très loin des impasses dans lesquelles on a commencé à s’engager à la fin du XIXe siècle pour faire dire à la science qui pouvait vivre et qui ne devait pas vivre. Or l’histoire a amplement montré où pouvaient conduire les entreprises d’exclusion des groupes humains de la cité sur des critères culturels, biologiques, ethniques.

  • Pourquoi, dès lors, avoir critiqué la position défendue par certains responsables de l’Eglise catholique lors du dernier Téléthon ?

Il ne s’agit pas là du même combat. Il ne faut pas, me semble-t-il, se placer en termes de défense de l’embryon, en termes de spiritualité. Qu’observons-nous ? Il y a d’un côté la plupart des scientifiques, de l’autre ceux qui placent au premier plan la religion. Ces deux camps sont propriétaires, dépositaires d’un territoire sur lequel ils sont arc-boutés. Pour ma part, je pense qu’il vaut mieux poser la question de savoir ce que nous voulons pour nous-mêmes comme société humaine nous permettant de nous respecter. Comment allons-nous nous percevoir si nous excluons d’emblée et de manière quasi systématique de la vie tel ou tel ? Comment la prégnance du regard social ne pourrait-elle pas l’emporter sur la liberté individuelle ?

  • Pourra-t-on revenir sur les pratiques aujourd’hui en vigueur ?

J’en doute. Le dépistage ne comporte pas de droit de retour. Il ne peut pas y avoir d’arrêt car on ne revient pas sur un "acquis scientifique". Soulever quelques questions sur l’utilité des dépistages et leurs coûts est aussitôt perçu comme l’inacceptable remise en cause d’un acquis.

Lancé, le dépistage devient irréversible. Il faut, en outre, ajouter ici le développement croissant de la revendication d’un nouveau droit à connaître ses origines génétiques. Croire que la médecine, grâce à la technique, va vous dire votre vérité est à la fois paralysant et simpliste. La confusion n’a jamais été aussi grande entre transparence et vérité.

Les propos de Didier Sicard
ont été recueillis par Michel Alberganti et Jean-Yves Nau.

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L’eugénisme en France, un mythe sans fondement

une tribune de Pierre Leymarie et Nathalie Leporrier [2]
parue dans Le Monde du 3 mars 2007

Sous le titre "La France au risque de l’eugénisme" [voir ci-dessus], le professeur Didier Sicard expose ses craintes de voir dans notre pays le dépistage prénatal des maladies génétiques conduire à une sélection des embryons et à l’éradication des maladies génétiques, perspective qualifiée de "terrifiante".

Pour nous qui avons une longue pratique du dépistage et du diagnostic prénatal, le procès en eugénisme ainsi intenté est fallacieux, car les principes éthiques de base de la médecine, à savoir l’"autonomie de la personne", la "non-malfaisance" et la "justice" sont respectés. Il nous semble important de distinguer plus clairement les concepts de dépistage et de diagnostic prénatal.

Rappelons que le dépistage des grossesses à risque, évoqué par M. Sicard, est du ressort du médecin généraliste et du gynécologue. Sa mise en oeuvre requiert impérativement un consentement éclairé de la femme enceinte, ce qui élimine le risque d’une hypothétique pression sociale. Certes, une grande majorité de femmes souhaitent être informées des risques d’une éventuelle anomalie de l’enfant à naître, mais dire que ce dépistage serait en quelque sorte devenu obligatoire est une contre-vérité.

Le diagnostic prénatal concerne uniquement les grossesses à risque de maladies gravissimes et incurables au moment du diagnostic et ne peut conduire à une interruption médicale de grossesse qu’à la demande expresse de la femme enceinte elle-même dûment informée au préalable et après avis d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal. L’éventualité d’éradication d’une maladie génétique est fantasmatique : il y aura toujours de nouvelles mutations à l’origine de nouveaux cas, et ces cas seront hors d’atteinte du diagnostic prénatal.

Le diagnostic prénatal des maladies génétiques offre à toute mère d’un enfant atteint d’une maladie génétique grave la possibilité d’envisager la mise au monde d’un autre enfant sans crainte qu’il soit atteint de la même affection. C’est là une opportunité dont souhaitent bénéficier un grand nombre des couples concernés.

L’assurance-maladie prend en charge la totalité des frais engagés, ce qui évite une sélection par l’argent observable dans d’autres pays. Afin d’éviter toute dérive vers l’eugénisme, le Comité consultatif national d’éthique, sollicité par le législateur, a précisé dans une série d’avis circonstanciés les conditions d’un strict encadrement des activités liées au diagnostic prénatal, conditions maintenant inscrites dans la loi de bioéthique (décret n° 2006-1661 du 22 décembre 2006).

Le professeur Sicard affirme que la très grande accessibilité en France du diagnostic prénatal (et donc sa banalisation) a pour conséquence "l’effrayant déficit dans l’accueil des personnes handicapées". On voit mal la relation de cause à effet entre ces deux phénomènes. On peut observer au contraire une prise de conscience progressive dans notre société de l’impérieuse nécessité de faire une place plus importante aux sujets porteurs d’un handicap tant physique que psychique (loi du 11 février 2005) ; sur l’égalité des chances (loi du 4 mars 2002 sur les droits des patients). S’il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine, il est clair que la diminution du nombre des sujets atteints ne peut nuire à leur prise en charge par la collectivité.

On peut s’étonner de voir jeter l’anathème sur une pratique médicale qui se développe en conformité avec les recommandations constantes du Comité consultatif national d’éthique par celui-là même qui a l’honneur d’en assumer la présidence.

Pierre Leymarie et Nathalie Leporrier

Notes

[1Didier Sicard est ancien chef du service de médecine interne à l’hôpital Cochin, à Paris.

[2Pierre Leymarie est l’ancien chef du département génétique et reproduction au CHU de Caen, Nathalie Leporrier est maître de conférences en génétique au CHU de Caen.


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