Nils Muižnieks : “les préjugés antimusulmans entravent l’intégration”


article de la rubrique discriminations > les musulmans
date de publication : mercredi 8 août 2012
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Nils Muižnieks a été élu Commissaire aux droits de l’homme par l’Assemblée parlementaire des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe, le 24 janvier 2012. Né en 1964, M. Muižnieks, de nationalité lettone, a pris ses fonctions le 1er avril 2012. Troisième Commissaire, il succède à ce poste à Thomas Hammarberg (2006-2012) et Alvaro Gil-Robles (1999-2006).

Le Commissaire aux Droits de l’Homme est une institution indépendante et non judiciaire, dont la mission est de promouvoir la prise de conscience et le respect des droits de l’homme au sein des pays du Conseil de l’Europe.

Nils Muižnieks conclut l’une de ses premières contributions au Carnet des droits de l’homme, reprise ci-dessous, en affirmant de façon solennelle qu’ « il est temps de reconnaître que les musulmans font partie intégrante des sociétés européennes et qu’ils ont droit à l’égalité et à la dignité. » [1]


Les préjugés antimusulmans entravent l’intégration

Les musulmans d’Europe veulent interagir avec les autres Européens et participer à la vie de la société en tant que membres à part entière, mais ils se heurtent régulièrement à diverses formes de préjugés, de discrimination et de violence qui renforcent leur exclusion sociale. C’est la conclusion de recherches menées récemment par plusieurs organisations internationales et ONG. Les commentateurs du « printemps arabe » ont malheureusement manqué une occasion historique de déconstruire l’idée reçue selon laquelle l’islam serait incompatible avec la démocratie et ont préféré exagérer le risque de migrations massives vers l’Europe.

Les musulmans, figure emblématique de l’altérité dans le discours politique européen

Les musulmans sont devenus la figure emblématique de l’altérité dans le discours de la droite populiste en Europe. Des partis politiques ont jeté l’opprobre sur les musulmans à des fins électoralistes en Autriche, en Bulgarie, en Belgique, au Danemark, en France, en Italie, aux Pays-Bas, en Norvège et en Suisse. Il est souvent question des musulmans lors des débats sur ce qui serait « l’échec du multiculturalisme ». Pourtant, rares sont les pays à avoir expérimenté le multiculturalisme en tant que stratégie destinée à promouvoir le dialogue interculturel tout en préservant les identités culturelles.

Depuis les attentats terroristes du 11 septembre, les musulmans sont inextricablement liés au terrorisme dans l’opinion publique. Or, certains des actes les plus horribles commis en Europe ces dernières années (la série de meurtres racistes en Allemagne et le massacre prémédité de dizaines d’innocents par un extrémiste en Norvège) nous rappellent que l’extrême-droite présente aussi des dangers et que les terroristes n’ont pas tous les mêmes motivations idéologiques.

Les musulmans sont visés par des lois et des politiques restrictives

De grands partis ont exploité la défiance à l’égard des musulmans en soutenant des mesures législatives restrictives dirigées contre cette population. En Belgique et en France, des lois prévoient depuis 2011 une amende ou un « stage de citoyenneté » pour les femmes portant un voile intégral dans l’espace public. En Italie, des collectivités locales ont invoqué une vieille loi antiterroriste qui interdit, pour des raisons de sécurité, de se couvrir entièrement le visage pour punir des femmes qui portaient le voile intégral. Il a été question d’initiatives similaires en Autriche, en Bosnie-Herzégovine, au Danemark, aux Pays-Bas, en Espagne et en Suisse.

Après une campagne marquée par des propos antimusulmans, une majorité des électeurs suisses se sont prononcés, fin 2009, en faveur de l’interdiction de la construction de nouveaux minarets. Ce vote a incité la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) à publier une déclaration (procédure qu’elle utilise rarement) pour condamner la discrimination à l’encontre des musulmans et l’atteinte portée à leur liberté de religion en Suisse. Dans de nombreuses villes européennes, les autorités se montrent bien plus réticentes à délivrer des permis de construire dans le cas de mosquées que pour d’autres lieux de culte.

Les musulmans sont soumis à la discrimination et à des contrôles abusifs

Il ressort d’une étude récente de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) que, dans l’UE, 1 musulman sur 3 a été victime de discrimination au cours des 12 mois précédents, les jeunes étant les plus touchés. En outre, selon un rapport qui vient d’être publié par Amnesty International, nombre de femmes musulmanes estiment n’avoir aucune chance de trouver un emploi, à cause de politiques limitant le port de symboles ou de tenues à caractère religieux ou culturel.

Policiers, douaniers et gardes-frontières pratiquent une forme de discrimination particulièrement pernicieuse lorsqu’ils se livrent à un profilage ethnique ou religieux à l’encontre des musulmans en les arrêtant à cause de leur apparence. L’étude de la FRA précise qu’un quart des musulmans interrogés ont été arrêtés par la police l’année précédente et qu’ils sont un tiers à avoir été arrêtés par les services des douanes ou du contrôle aux frontières. Le profilage ethnique ou religieux est non seulement discriminatoire, mais aussi contre-productif : en effet, les membres des forces de l’ordre se focalisent sur l’apparence au lieu d’essayer de détecter les comportements suspects et s’aliènent ainsi les communautés avec lesquelles ils auraient besoin de coopérer.

Ce que les gouvernements devraient faire

Les gouvernements devraient renoncer aux lois et mesures visant spécialement les musulmans et interdire la discrimination fondée sur la religion ou les convictions dans tous les domaines. Ils devraient aussi permettre à des ombudsmans et à des organismes de promotion de l’égalité indépendants d’examiner les plaintes, de donner des conseils juridiques aux victimes et de les représenter en justice, de participer à l’élaboration des politiques et de mener des recherches sur la discrimination à l’encontre des musulmans et d’autres groupes religieux. Ces recherches devraient s’appuyer sur la collecte de données ventilées par origine ethnique, religion et sexe.

Parallèlement, il faudrait que les gouvernements combattent les préjugés et l’intolérance de l’opinion publique à l’égard des musulmans. Pour ce faire, ils pourraient s’inspirer utilement de la Recommandation de politique générale n° 5 de l’ECRI intitulée « La lutte contre l’intolérance et les discriminations envers les musulmans » [2]. De plus, l’OSCE, l’Unesco et le Conseil de l’Europe ont diffusé en 2011 d’intéressantes « Lignes directrices à l’intention des éducateurs relatives à la lutte contre l’intolérance et la discrimination envers les musulmans » [3].

Il est temps de reconnaître que les musulmans font partie intégrante des sociétés européennes et qu’ils ont droit à l’égalité et à la dignité. Préjugés, discrimination et violence ne font qu’entraver l’intégration. Nous avons besoin d’un « printemps européen » pour éradiquer les formes anciennes et nouvelles de racisme et d’intolérance.

Le 24 juillet 2012

Nils Muižnieks, Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe



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