le « secret défense » au service de la discrimination ?


article de la rubrique discriminations > les musulmans
date de publication : samedi 13 novembre 2010
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Le Tribunal administratif de Toulon a ordonné, au préfet du Var de lui communiquer dans un délai d’un mois l’intégralité de l’enquête diligentée pour l’autorisation d’accès de O. C. au centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède et l’avis émis par le préfet du Var dans le cadre de cette enquête. A défaut, et dans l’hypothèse où ces documents seraient classés « confidentiel défense », le tribunal demande au préfet du Var de lui communiquer tous éléments sur la nature des informations écartées et les raisons pour lesquelles elles le sont, de façon à permettre au Tribunal de se prononcer en toute connaissance de cause, sans porter atteinte au secret de la défense nationale.

La section de Toulon de la Ligue des droits de l’Homme espère que la préfecture acceptera de communiquer au tribunal les documents demandés, ce qui dissiperait le soupçon d’un recours au « secret défense » pour couvrir une décision arbitraire sinon discriminatoire. Ce dossier, que la section toulonnaise de la LDH suit depuis plus de deux ans, concerne en effet un Français né en France, mais d’« origine maghrébine », qui a été brutalement privé de son habilitation à pénétrer dans des locaux pénitentiaires sans que rien ne justifie l’avis réservé émis par les services de la préfecture. Nous reprenons l’essentiel de la décision que le Tribunal a lue le 3 novembre 2010, après s’être longuement penché le 6 octobre dernier sur la situation de O.C..


Voir en ligne : l’audience du 6 octobre 2010

Décision du TA de Toulon, lue le 3 novembre 2010

Le requérant demande au Tribunal :

  • d’annuler la décision du 7 août 2008 par laquelle le préfet du Var a refusé de lui communiquer l’avis réservé que cette autorité a émis dans le cadre de la procédure d’autorisation d’accès au centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède ainsi que l’enquête de police effectuée au titre de cette procédure ;
  • d’enjoindre au préfet du Var de lui communiquer ces documents sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter d’un délai de huit jours suivant la notification du jugement à intervenir ;
  • de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

A l’appui de ses conclusions, le requérant soutient

  • qu’il a été licencié le 18 juillet 2008 par son employeur, l’association Léo Lagrange, à la suite du retrait par les services pénitentiaires de l’habilitation qu’il détenait afin d’exercer ses fonctions d’agent de développement sportif au sein du centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède ; qu’il a sollicité vainement auprès du préfet du Var la communication de l’enquête diligentée dans le cadre de la procédure de renouvellement de son autorisation d’accès ainsi que l’avis réservé émis par l’autorité préfectorale ; qu’il a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs laquelle a rendu, le 29 septembre 2008, un avis favorable à la transmission de ces documents ; que le préfet n’a pas donné suite à la nouvelle demande dont il a été saisi ; que ses convictions religieuses ont été vraisemblablement de nature à entraîner le retrait par les services pénitentiaires de l’habilitation qu’il détenait, alors que son casier judiciaire est vierge et qu’il n’a fait l’objet d’aucune condamnation ;

[...]

Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 août 2010, présenté par le préfet du Var

  • qui conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les documents sollicités par O. C. ne peuvent lui être communiqués, même partiellement, et ce conformément à l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978 car ils reposent sur le contenu de plusieurs notes confidentielles ; que ces documents comportent la mention « confidentiel défense » et que leur divulgation contreviendrait aux exigences de protection de la sûreté de l’État et de la sécurité publique ;

[...]

Sur la légalité du refus de communication de documents administratifs :

Considérant qu’aux termes de l’article 1 de la loi susvisée du 17 juillet 1978 : « Le droit de toute personne à l’information est précisé et garanti par les dispositions des chapitres Ier, III et IV du présent titre en ce qui concerne la liberté d’accès aux documents administratifs. Sont considérés comme documents administratifs, au sens des chapitres Ier, III et IV du présent titre,
quel que soit le support utilisé pour la saisie, le stockage ou la transmission des informations qui en composent le contenu, les documents élaborés ou détenus par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées de la gestion d’un service public, dans le cadre de leur mission de service public. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès- verbaux, statistiques, directives, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions et décisions sont communicables ; que l’article 2 du même texte prévoit que : « Sous réserve des dispositions de l’article 6, les autorités mentionnées à l’article 1er sont tenues de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent titre » ; qu’enfin l’article 6 du même texte dispose que : « I.- Ne sont pas communicables les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : (...) – au secret de la défense nationale ; (...) – à la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes ; (...) ; III.- Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application du présent article mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. (...) » ;

Considérant que, pour justifier le refus de communiquer l’avis réservé qu’il a émis dans le cadre de la procédure de renouvellement de l’habilitation permettant à O. C. d’accéder au centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède, ainsi que le résultat des investigations policières sur la base desquelles il s’est déterminé, qu’il ne conteste pas détenir, le préfet du Var a indiqué au requérant ainsi qu’à la Commission d’accès aux documents administratifs que les documents en question comportaient « des informations à caractère privé et confidentiel, relevant d’une procédure inscrite au titre de la sécurité publique dans le cadre de l’organisation de l’administration pénitentiaire » ; que dans son mémoire en défense, le préfet du Var fait valoir que les notes l’ayant conduit à se prononcer défavorablement sont classifiées « confidentiel défense » et que les documents réclamés par O. C. ne peuvent être communiqués, même partiellement, sans porter atteinte à la sécurité publique ;

Considérant qu’il appartient au juge administratif de requérir des administrations compétentes la production de tous les documents nécessaires à la solution des litiges qui lui sont soumis, à la seule exception des documents couverts par un secret garanti par la loi ; que, si le caractère contradictoire de la procédure impose que chaque partie reçoive communication de toutes les pièces produites au cours de l’instance, cette exigence est nécessairement exclue s’agissant des documents dont le refus de communication constitue l’objet même du litige ; que même dans le cas de refus de communication de documents intéressant la défense nationale et qui ont fait l’objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès, en application de l’article 413-9 du code pénal, et qui ne peuvent être portés qu’à la connaissance des personnes habilitées par l’autorité en charge de la classification ou, après avoir été déclassifiées par ladite autorité à la suite de l’avis émis par la Commission consultative du secret de la défense nationale dans les conditions fixées par les articles L. 2312-1 du code de la défense nationale, à la connaissance du magistrat ou d’une juridiction française qui en fait la demande, rien ne s’oppose à ce que, dans la mesure où ces renseignements lui paraissent indispensables pour former sa conviction sur les points en litige, le juge administratif prenne toutes les mesures destinées à lui procurer, par les voies de droit, tous éclaircissements nécessaires sur la nature des pièces écartées et sur les raisons de leur exclusion ; qu’il a ainsi la faculté de convier l’autorité responsable à lui fournir, à cet égard, toutes indications susceptibles de lui permettre, sans porter aucune atteinte, directe ou indirecte, aux secrets garantis par la loi, de se prononcer en pleine connaissance de cause ; qu’il lui appartient, dans le cas où un refus
serait opposé à une telle demande, de joindre cet élément de décision, en vue du jugement à rendre, à l’ensemble des données fournies par le dossier ;

Considérant qu’en l’espèce, le préfet du Var n’a donné aucun éclaircissement au Tribunal sur les raisons justifiant le refus de communication des documents litigieux ; que l’état de l’instruction ne permet pas de déterminer si l’enquête diligentée pour l’autorisation d’accès de O. C. au centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède et l’avis réservé ensuite émis par le préfet du Var relèvent, entièrement ou pour partie, de l’exception relative à l’atteinte à la sûreté de I’Etat, à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes, prévue par les dispositions de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978, ni même si ces documents ont fait, en tant que tels, l’objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès, en application de l’article 413-9 du code pénal ; qu’ainsi, eu égard à l’absence de précisions sur la nature des informations contenues dans les documents litigieux et sur la portée de leur divulgation éventuelle, il y a lieu d’ordonner avant dire droit, tous droits et moyens des parties étant réservés, la production des documents non classifiés détenus par le préfet du Var, sans que ces pièces soient communiquées à M. O. C., pour être ensuite statué ce qu’il appartiendra sur les conclusions de la requête ; que, par ailleurs, dans l’hypothèse où le préfet établirait que les documents réclamés par le requérant seraient classifiés, en tant que tels, « confidentiel défense », il lui appartiendrait de communiquer au Tribunal tous éléments sur la nature des informations écartées et les raisons pour lesquelles elles le sont, de façon à permettre au Tribunal de se prononcer en toute connaissance de cause, sans porter atteinte directement ou indirectement au secret de la défense nationale ;

Considérant que, dans l’hypothèse où un refus serait opposé à ces demandes d’information, il appartiendrait au Tribunal, conformément aux règles générales d’établissement des faits devant le juge administratif, de joindre, en vue du jugement à rendre, cet élément de décision à l’ensemble des données fournies par le dossier ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. » ;

Considérant qu’il est sursis à statuer jusqu’en fin d’instance sur les conclusions de O. C. présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

  • Article 1 er : Est ordonnée avant dire droit, tous droits et moyens des parties étant réservés, la production par le préfet du Var au Tribunal administratif de Toulon et selon les conditions précisées dans les motifs de la présente décision, de l’intégralité de l’enquête diligentée pour l’autorisation d’accès de O. C. au centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède et l’avis émis par le préfet du Var dans le cadre de cette enquête. Cette production devra intervenir dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision. A défaut, et dans l’hypothèse où ces documents seraient classés « confidentiel défense » le préfet du Var communiquera au Tribunal, selon les mêmes modalités, tous éléments sur la nature des informations écartées et les raisons pour lesquelles elles le sont, de façon à permettre au Tribunal de se prononcer en toute connaissance de cause, sans porter atteinte directement ou indirectement au secret de la défense nationale.
  • Article 2 : II est sursis à statuer sur les conclusions de la requête tendant à la condamnation de l’Etat au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens.

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