Le châtiment corporel est l’une des formes les plus visibles de la violence à l’égard des enfants. Ces violences se produisent dans des lieux où les enfants devraient être protégés, tels que l’école, le milieu familial ou les institutions de placement. Le Conseil de l’Europe, par le biais d’une vaste campagne européenne, appelle chaque pays d’Europe à interdire les châtiments corporels [1].
Voir en ligne : la fessée, un châtiment d’un autre âge
Baffer n’est pas éduquer !
La gifle et la fessée restent d’une pratique bien répandue. En tous cas, on comprend pourquoi le Conseil de l’Europe nourri à la mamelle des droits de l’homme et censé tirer vers le haut le respect des personnes sur le Vieux Continuent tienne les châtiments corporels là où ils subsistent comme suranné. On peut être d’accord avec lui quand il les tient pour des actes d’humiliation. Point à la ligne ! Et aucune théorie éducative ne peut les justifier sinon le souci de tenir par la peur les enfants.
Jean-Pierre Rosenczveig
Président du tribunal pour enfants de Bobigny [2]
Faut-il interdire la fessée ? Le Conseil de l’Europe bataille pour l’abolition de ce qu’il nomme « les châtiments corporels » dans les 47 pays qui le composent. Il s’appuie sur deux « recommandations », non contraignantes, datant de 2004 et de décembre 2006. Et s’apprête à lancer à l’automne une vaste campagne de sensibilisation « pour changer les mentalités ». Le terme de « châtiment corporel », qui sent la trique et le martinet, englobe également la fessée. Celle, par exemple, que les parents français ont tout à fait le droit de délivrer à leur enfant. Actuellement, seuls seize pays interdisent ces gestes à l’école, mais aussi à la maison. La Suède fut la pionnière en 1979. Si nul n’a envie de justifier de sévères raclées, l’initiative du Conseil, pétrie de l’idéologie de la protection de l’enfance et de celle des droits de l’homme, risque de culpabiliser (au moins en France) des générations de parents.
« Devoir ». C’est l’un des chevaux de bataille de la secrétaire générale adjointe du Conseil de l’Europe, Maud de Boer-Buquicchio. Lors de la 28e conférence européenne des ministres chargés des Affaires familiales, en mai 2006, la Néerlandaise défendait cette abolition, en invoquant le « devoir de protéger l’intégrité physique et psychologique » et « la dignité humaine de nos enfants ». « Nous ne sommes pas autorisés à les frapper, les blesser et les humilier. Un point c’est tout. [...] Nous devons changer de mentalités et adapter nos lois en conséquence. »
En réalité, le Conseil prône en la matière la « tolérance zéro » : ni baffe, ni tape, ni claque, qui sont assimilées à des « mauvais traitements », des « humiliations » et autres « mutilations ». Et, surtout, « aucune religion, croyance, situation économique ou méthode éducative » ne saurait les justifier. Ainsi, le commissaire aux Droits de l’homme, Thomas Hammarberg, dénonce-t-il les « concepts juridiquement déshonorants » de « châtiment raisonnable » et de « correction licite ». Le Conseil de l’Europe se veut néanmoins rassurant : « Interdire les châtiments corporels dans le foyer familial ne veut pas dire engager des poursuites contre les parents, mais changer leurs comportements. » Des poursuites, il y en eut pourtant. Ainsi, en 1998, la Cour européenne des droits de l’homme sanctionnait un Britannique qui avait battu son beau-fils. Au Royaume-Uni, la justice avait justement considéré qu’il s’agissait là d’un « châtiment raisonnable ».
Liens. On trouve d’autres fers de lance dans cette croisade, qui est loin de se jouer au seul sein des institutions. La psychanalyste et philosophe Alice Miller popularise depuis trois décennies l’idée qu’il n’y a pas de bonne fessée. Que la violence à l’égard des enfants génère la violence chez les adultes. En enregistrant le « message erroné », selon lequel « les enfants sont frappés pour leur bien », les parents nient la souffrance et enseignent le recours à la violence. « Les sanctions entraînent une obéissance à court terme, mais, à plus long terme, engendrent la peur, souvent déguisée en agressivité, soif de vengeance, haine, volonté d’être enfin au pouvoir, pour punir les plus faibles. Elles conduisent à un cercle vicieux », déclarait-elle à Libération, en 1999, lors de la création de l’association Eduquer sans frapper.
De son côté, après une recherche dans plusieurs services de traumatologie d’urgence auprès de 300 adolescents, le médecin Jacqueline Cornet a établi qu’il existe un lien entre « la violence éducative » subie et la propension à avoir des accidents.
Toute cette littérature se retrouve sur le site de l’association Ni claques, ni fessées , laquelle fait circuler une pétition pour la promulgation d’une loi « qui dise le droit de l’enfant à être élevé sans claques ni fessées, et le devoir du parent contrevenant de se faire aider dans sa tâche éducative ».
Lors de sa prochaine campagne, le Conseil de l’Europe devra donc convaincre la majorité de ses membres qu’une tape sur la main ou une fessée sur la couche, comme la raclée au ceinturon, est toujours « un engrenage vers la violence ». Au risque de diaboliser les parents et de brouiller le message.
La mine espiègle, le gamin dévale l’allée de l’avion Malmö-Marseille en poussant des cris stridents. Au fond de l’appareil, un passager somnole. Le gosse s’empresse de venir bourrer de coups le dossier de son fauteuil. Les parents observent la scène sans réagir. Le garçon s’amuse. Il a besoin de se dégourdir les jambes. Où est le problème ? Après tout, les passagers auront tout le temps de dormir à l’arrivée. A bord, les Français froncent les sourcils. Le gamin mériterait une bonne raclée. Mais au pays de Fifi brin d’acier , l’enfant est roi et la déculottée interdite.
Librement. « C’est une question de méthode d’éducation », explique diplomatiquement la psychologue Åsa Landberg. En Suède, pères et mères fouettards risquent d’être traînés devant les tribunaux si leur rejeton décide de porter plainte. De quoi faire réfléchir les parents à la main leste. D’ailleurs, « vous ne trouverez personne qui vous dira que c’est bien de gifler ses enfants », affirme une mère de famille. Et pour cause. La Suède est le premier pays au monde à avoir interdit les châtiments corporels, en 1979. Le texte de loi stipule que les enfants « doivent être traités avec respect pour leur personne et leur individualité [ et qu’ ils ] ne doivent pas être soumis à des actes corporels ni à des actes humiliants ».
Dix-sept ans plus tôt, le royaume avait déjà banni le recours à la violence physique dans ses établissements scolaires. Mais le cas d’un père de famille, accusé de frapper régulièrement sa fille de 3 ans, avait relancé le débat dans le pays au début des années 70. Finalement, le texte de loi a été adopté (par 256 voix contre 6) par les parlementaires. Un député a convaincu les derniers récalcitrants en déclarant que « dans une démocratie libre comme la nôtre, on utilise des mots comme arguments et non des coups », ajoutant que « si nous ne pouvons pas convaincre nos enfants par des mots, nous ne les convaincrons jamais par la violence ». Pour la médiatrice des enfants, Lena Nyberg, il s’agissait surtout de « donner aux enfants les mêmes droits qu’aux adultes ».
Soit, mais n’est-ce pas aller un peu loin ? Après tout, une bonne fessée ou une taloche bien méritée n’ont jamais traumatisé personne. Lena Nyberg s’emporte : « Accepteriez-vous qu’un collègue vous colle une gifle ? » Certes non, mais les parents ne devraient-ils pas pouvoir élever librement leurs enfants, sans être menacés en permanence d’une plainte devant les tribunaux ? « Alors vous êtes aussi favorables à ce qu’on laisse les hommes battre leurs femmes ? » Bien sûr que non. Mais on parle ici d’une toute petite fessée. La médiatrice explose : « Et où donc sont les limites ? Faut-il attendre que l’enfant soit mort pour réagir ? » Difficile de trouver des arguments. Surtout que « le recours à la violence n’est pas une méthode efficace sur le long terme » , affirme Åsa Landberg. La psychologue précise : « Les enfants battus sont généralement plus agressifs quand ils deviennent adultes. »
« Tolérance zéro ». Si 53 % des Suédois étaient favorables aux châtiments corporels en 1965, ils sont moins de 10 % aujourd’hui. Mais le laxisme ne risque-t-il pas de nuire à l’éducation des petits Suédois ? « C’est ce qu’on dit, mais c’est complètement faux » , assure Lena Nyberg. Elle en veut pour preuve les statistiques de la criminalité juvénile, lesquels « ne sont pas plus élevées en Suède que dans d’autres pays ». Lovisa Ågren, porte-parole de l’association Bris (Barnens rätt i samhället - littéralement « les droits de l’enfant dans la société »), plaide quant à elle pour « la tolérance zéro » .
En 2004, l’organisation a fait appel de la relaxe, en première instance, d’un père de famille accusé d’avoir giflé sa belle-fille. La gamine, âgée d’une quinzaine d’années, lui avait craché à la figure alors qu’il refusait de lui acheter un DVD. Le tribunal a admis la provocation. Mais la cour d’appel a condamné l’homme à une amende de 1 000 couronnes (soit 100 euros).
« Ridicule ». L’an dernier, c’est un professeur de lycée qui a été condamné pour avoir saisi trop violemment un de ses élèves en voulant mettre fin à une bagarre. Le garçon avait une marque sur le bras et les parents ont porté plainte. « J’y pense tout le temps lorsque je suis dans des classes difficiles », témoigne une jeune enseignante. Paranoïa ? « Pas du tout », déclare Metta Fjelkner, présidente du Lärarnas Riksförbundet, le syndicat des enseignants. L’organisation recommande d’ailleurs à ses membres d’éviter à tout prix le contact physique avec les élèves. Metta Fjelkner est particulièrement remontée contre le débat qui a précédé l’adoption d’une directive, entrée en vigueur le 1er juillet, autorisant les enseignants à confisquer les téléphones portables en classe. « Le problème, dit-elle, c’est que les élèves doivent donner leur téléphone volontairement, car les enseignants n’ont pas le droit de s’en saisir par la force. »
Résultat : une fois de plus, les professeurs se retrouvent dans une position délicate. « La situation actuelle est ridicule », remarque la syndicaliste, qui s’empresse de préciser qu’elle s’oppose à la violence sous toutes ses formes. Mais qu’un peu de discipline ne ferait de mal à personne.
[1] Un dossier sur le site du conseil de l’Europe : http://www.coe.int/t/dc/files/theme....
[2] Source : http://jprosen.blog.lemonde.fr/2007....