appel à la fermeture des établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM)


article de la rubrique prisons > enfermement et violences contre les jeunes
date de publication : mardi 8 juillet 2008
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Un an après l’ouverture du premier établissement pénitentiaire pour mineurs, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France, la Ligue des droits de l’homme et deux syndicats d’éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse (SNPES-FSU et CGT) lancent un appel à leur fermeture.


Une cellule de l’EPM de Meyzieu (Rhône) (AFP/MARTIN BUREAU)

Faire passer les prisons pour des écoles

[publié dans Libération le 23 juin 2008]

Parmi les sept établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), prévus par la loi Perben I de septembre 2002, cinq ont été ouverts à grand renfort d’une communication gouvernementale démagogique. Ainsi, le précédent garde des Sceaux se plaisait à proclamer que l’objectif des EPM serait « de faire tourner la détention autour de la salle de classe ». Non ! L’objectif des EPM est bien d’augmenter l’incarcération et invoquer la salle de classe est une façon de minimiser le poids des murs, du système disciplinaire, de l’isolement et le but punitif de la prison.

Plus récemment, malgré le suicide d’un adolescent à l’EPM de Meyzieu le 2 février, Rachida Dati l’actuelle garde des Sceaux en rajoutait dans la banalisation. Elle affirmait « il faut pérenniser ce type de structures, elles ont fait leurs preuves ». La ministre, obnubilée par la promotion de ces nouvelles prisons, en tire avant l’heure un bilan positif. Le suicide d’un adolescent n’est qu’un accident regrettable lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre une politique de répression toujours plus forte à l’égard des mineurs délinquants. Dans le droit fil des propos du président de la République qui déclarait, pendant la campagne électorale, qu’un adolescent très grand et violent ne pouvait être considéré comme un mineur, sa ministre de la Justice annonce pour 2008 une refondation de l’ordonnance de 1945. Au prétexte d’un changement de nature de la délinquance des mineurs, elle propose d’appliquer aux plus âgés le droit pénal des majeurs, et d’infliger des peines à des enfants de plus en plus jeunes. Trahissant l’esprit de l’ordonnance de 1945, le gouvernement fait le choix de répondre aux actes délictueux par la seule logique de l’enfermement, écartant la nécessaire recherche des causes de ces passages à l’acte qui seule pourrait en éviter la réitération.

La création de nouvelles prisons encourage l’incarcération, allant jusqu’à lui conférer des vertus de réinsertion. Depuis l’ouverture du premier EPM début 2007, de nombreux incidents violents se sont multipliés dans ces établissements entraînant des opérations de maintien de l’ordre, des mesures d’isolement pour les jeunes et des consignes de silence en direction des personnels. Ce climat de violence est accentué par la prégnance des activités intensives et obligatoires. Les mouvements de rébellion qui éclatent dans les EPM, focalisent les personnels sur les moyens disciplinaires pour soumettre les mineurs. Alors, la souffrance des adolescents, renforcée par l’enfermement, ne peut être entendue.

Les adolescents qui commettent des délits ont vécu des difficultés profondes et anciennes, des situations de violence et de prise de risque. L’incarcération, qui est une rupture supplémentaire, renforce les risques de passages à l’acte violent contre les autres ou contre eux-mêmes. Ceux qui parlent d’éducation par la prison font semblant d’oublier qu’elle renforce toujours l’exclusion et favorise la récidive. Pour des jeunes en situation d’exclusion sociale, le risque existe pour beaucoup d’entre eux de se construire une identité de délinquant et de se réfugier dans un statut de « taulard ». Fernand Déligny disait : « Etre un vaurien vaut mieux que n’être rien. »

L’ordonnance de 1945, posait le principe du caractère exceptionnel de l’incarcération. C’est à partir du constat des effets pathogènes des lieux d’enfermement que les centres d’observation pour mineurs dans les prisons ont été fermés dans les années 70. Déjà, à l’époque de la création de ces centres, ils avaient été présentés comme innovants en raison de la présence d’éducateurs de la PJJ. Que ce soit au nom d’une observation des mineurs comme hier, d’une amélioration des conditions de détention comme aujourd’hui les « prisons modernes » ont toujours conduit à une augmentation de l’incarcération. Les quatre premiers EPM sont aujourd’hui complets, dans certaines régions les quartiers mineurs des prisons restants sont saturés.

Ainsi, le gouvernement privilégie l’incarcération des adolescents en créant les EPM au détriment des structures éducatives. Un seul de ces EPM de soixante places équivaudrait à six foyers éducatifs de dix places et huit services d’insertion professionnels pour 250 mineurs ainsi que dix services de milieu ouvert soit 1 500 jeunes suivis. Ce sont là des modalités de prise en charge éducative qui ont fait la preuve de leur efficacité. C’est aussi ce que préconise la Convention internationale des droits de l’enfant qui impose la recherche de solutions éducatives pour les jeunes délinquants. Il existe en France un à deux millions d’enfants pauvres, la précarité et l’exclusion s’aggravent. Ce sont là des facteurs qui détruisent le lien social, accentuent l’isolement et le repli des familles, multipliant ainsi les risques de passage à l’acte au moment si tourmenté de l’adolescence. Au lieu de renforcer l’accompagnement éducatif et social qui peut limiter les répercussions négatives de la précarité sur la construction psychique des adolescents, le choix est fait d’ajouter l’exclusion de l’incarcération à l’exclusion sociale.

Nous soutenons que les moyens pour l’accompagnement éducatif doivent primer sur les dispositifs d’enfermement. Nous dénonçons une politique qui réduit les jeunes délinquants à leurs seuls passages à l’acte, les enfermant ainsi dans une identité de délinquant. Nous dénonçons une politique qui, en s’appuyant sur le déterminisme social et comportemental, décrète l’inéducabilité de certains adolescents et ce faisant nie leurs possibilités de reconstruction et de perspectives d’avenir. Nous nous opposons à une réforme de l’ordonnance de 1945 qui mettrait fin à la spécificité de la justice des mineurs et à la primauté de l’éducation sur la répression à l’égard des jeunes auteurs de délits. Nous réaffirmons que les établissements pénitentiaires pour mineurs ne sont pas des structures éducatives, ce sont des prisons destinées à faciliter le recours à l’incarcération ; parce que nous avons une autre ambition pour la jeunesse nous appelons à leur fermeture et au redéploiement des budgets au bénéfice des structures réellement éducatives.

Maria INES co-secrétaire nationale du SNPES-PJJ/FSU
Jean-Pierre DUBOIS président de la Ligue des droits de l’Homme
Hélène FRANCO secrétaire générale du Syndicat de la magistrature

Plusieurs syndicats appellent à la fermeture des établissements pénitentiaires pour mineurs

par Constance Baudry, LEMONDE.FR, le 23 juin 2008

"Explosive." Telle est la situation dans les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), d’après le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France, la Ligue des droits de l’homme et deux syndicats d’éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse (SNPES-FSU et CGT). Et un an après l’ouverture du premier établissement de ce genre, ces syndicats lancent un appel à leur fermeture.

Programmés dès 2002, ces centres étaient censés apporter une réponse éducative en milieu fermé aux jeunes délinquants. Au 1er juin 2008, sur les 760 mineurs détenus, 180 le sont en EPM – les autres étant incarcérés dans les quartiers pour mineurs des prisons. La durée moyenne d’incarcération avoisine les deux mois et demi.

Spécificité de ces EPM : les enfants doivent suivre un certain nombre d’activités (20 heures de cours, 20 heures de sport et 20 heures d’activités socio-éducatives par semaine). Et l’encadrement y est plus important : six éducateurs et six surveillants veillent en moyenne sur dix adolescents âgés de 13 à 18 ans.

"Envoyer un enfant en prison est toujours un échec"

Mais selon les syndicats, un an après, le compte n’y est pas. Les actes de violence sont en nombre croissant, les règlements de compte entre bandes rivales se poursuivant notamment au sein de ces établissements. Et rien ne prouve que le taux de récidive à la sortie de ces EPM soit réellement plus faible. D’autant que, d’après les syndicats, tout chiffre tentant de rendre compte de l’efficacité de ces centres serait sujet à caution, les mineurs incarcérés dans ces établissements étant les moins difficiles – ceux qui posent davantage de problèmes sont envoyés dans les quartiers pour mineurs.

Autre élément au passif de ces centres : le suicide d’un jeune de 16 ans à l’EPM de Meyzieu (Rhône), en février 2008 (le dernier suicide de mineur remontant à 2004). Enfin, les professionnels regrettent que ces EPM soient si peu accessibles et très mal desservis par les transports en commun. Résultat : le lien entre les enfants incarcérés et leurs familles se maintient difficilement.

Forts de ce constat, les syndicats dénoncent la politique répressive de gouvernement. "Envoyer un enfant en prison est toujours un échec", pense Hélène Franco, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature. Pour elle, la répression n’a jamais prouvé son efficacité :

Autre inquiétude : le sort des hébergements classiques en milieu ouvert pour mineurs délinquants, alors que la politique répressive tend à favoriser le recours à l’incarcération (+ 6 % entre 2007 et 2008). Les syndicats s’inquiètent de voir s’effriter les moyens consacrés à ces solutions non-carcérales, sachant que plus de 90 millions d’euros ont été dépensés pour bâtir les six EPM actuellement en service.

Constance Baudry

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