éducation à la défense : le Var en première ligne


article de la rubrique prisons > enfermement et violences contre les jeunes
date de publication : samedi 22 octobre 2011
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L’inspection académique du Var a adressé le 7 octobre dernier un courrier aux professeurs des écoles du département pour les inviter à « développer “l’esprit de défense” dans la population scolaire ».

Cette initiative illustre la collaboration existant entre les ministères de l’Education nationale et de la Défense [1], une coopération que Bernard Girard met en cause pour des raisons fondamentales.

L’exemple du Lycée Galilée de Combs-la-ville (Seine-et-Marne)
est là pour montrer les dérives auxquelles ce genre de pratique peut conduire : la seule page abordant la guerre d’Algérie du site internet du Pôle Relais Défense du lycée est un résumé d’une intervention du général Maurice Faivre, un des signataires du manifeste du début des années 2000 dans lequel on trouve l’affirmation selon laquelle « ce qui a caractérisé l’action de l’armée en Algérie ce fut d’abord la lutte contre toutes les formes de torture » [2].

On notera que le « Rôle de la défense nationale » fait partie des compétences sociales et civiques du troisième palier du Livret personnel de compétence dont l’introduction continue à être fortement contestée. [3]


La paix. La guerre. Dessin de Diala Khalil

Dessine-moi un canon...

par Bernard Girard


A l’initiative de l’inspecteur d’académie du Var, les écoles primaires du département sont « invitées », selon la formule consacrée, à faire participer leurs élèves à l’opération lancée chaque année par Solidarité Défense, à destination des militaires français engagés à l’étranger dans ce qu’on appelle pudiquement les « opérations extérieures » (OPEX). Car comme on le sait, la France ne fait pas la guerre. Il s’agit pour l’association, émanation directe du ministère de la Défense et présidée par l’amiral Lanxade, de faire parvenir aux soldats un colis de Noël accompagné de dessins d’enfants. D’où la mobilisation des autorités académiques du Var enjoignant aux enseignants de « mettre en place le plus rapidement possible (…) des actions à caractère pédagogique » en liaison avec ladite association [voir ci-dessous le courrier du 07/10/2011].

Dans le but de les éclairer sur les OPEX, l’inspecteur d’académie délivre aux enseignants une information à sens unique, provenant exclusivement par les autorités militaires : « les militaires français (…) ont pour mission de construire ou de consolider la paix (…). Ils fournissent une aide médicale d’urgence, participent à la reconstruction d’infrastructures » ou encore « ils favorisent le renouveau d’une activité économique pérenne (…) ». Pas moins. Les enfants des écoles ne sont pas censés savoir que les guerres – il faut quand même bien les appeler par leur nom – auxquelles participe l’armée française ont souvent des odeurs de pétrole, comme au Moyen Orient ou des relents de colonialisme, comme en Afrique ou encore fleurent bon les juteux contrats d’armement. Surtout, les enfants doivent être tenus dans la plus totale ignorance d’une vérité tellement criante qu’on préfère effectivement la taire : la guerre tue, massivement, à commencer par des innocents, comme ce fut le cas, par exemple le 6 avril 2010, lorsque quatre civils afghans furent victimes d’un tir de missile français.

Cette initiative de l’inspection académique du Var n’a rien de nouveau : elle s’inscrit dans une tradition de collaboration déjà ancienne entre les ministères de l’Education et de la Défense, visant à développer « l’esprit de défense » dans la population scolaire. Depuis bientôt trente ans, de protocoles en circulaires (le premier protocole Armée-Ecole remonte à 1982), la propagande militaire tient lieu de formation exclusive des citoyens sur la guerre et interdit de fait toute interrogation sur des questions comme la bombe atomique, les budgets militaires, le commerce des armes ou la légitimité de la violence pour résoudre les conflits. Sous la houlette des « trinômes académiques », extravagantes structures où l’inspection pédagogique cautionne sans sourciller le discours des autorités militaires, l’esprit de défense s’est incrusté dans les programmes officiels, les manuels scolaires et jusque dans les sujets d’examen comme c’est le cas, régulièrement, avec le Diplôme National du Brevet (DNB).

C’est ainsi tout un pan de l’éducation civique qui se trouve gangrené par l’idéologie guerrière, avec la complicité tacite massive, qui confine à l’aveuglement, des enseignants, qui, à de rares exceptions près, n’ont jamais semblé prendre conscience des véritables enjeux du sujet. Car l’esprit de défense à la diffusion duquel l’école participe est à tous égards condamnable : en imposant une vision partisane de la guerre, jamais débattue, elle se fait morale officielle, morale d’état, elle ne respecte pas la liberté de conscience des élèves, des familles, des enseignants. La banalisation de la guerre véhiculée par l’esprit de défense – le mot « guerre » est d’ailleurs soigneusement gommé des programmes – contribue à faire accepter avec passivité et fatalisme, ce qui reste un fléau de notre époque, avec les dépenses militaires irrationnelles qui l’entretiennent (plus de 1500 milliards de dollars dans le monde pour la seule année 2010).

Les instigateurs de « l’éducation à la défense » n’ont jamais fait mystère de ce qu’un de leurs objectifs était également de « satisfaire aux besoins de recrutement des armées ». Pour ce faire, les portes des établissements scolaires leur sont grandes ouvertes. Convaincu par un discours enjôleur, qui lui fait miroiter l’engagement militaire comme rien d’autre qu’un banal plan de carrière, le jeune qui signe son contrat ne peut réellement avoir conscience que le métier des armes n’est pas un métier comme les autres, que l’on peut y tuer ou y mourir sur ordre. Les 75 soldats français morts pour rien en Afghanistan depuis dix ans, tous très jeunes et dont on peut penser que le premier contact avec l’armée remonte à l’époque de leur scolarité, sont aussi les victimes de l’éducation à la défense, de l’Education nationale.

Bernard Girard
Journal d’École


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La lettre de l’Inspecteur d’Académie du Var adressée le 7 octobre aux professeurs des écoles :

Cette lettre était notamment accompagnée de la page d’informations suivante :

QUE SONT LES OPÉRATIONS EXTERIEURES (OPEX) ?

Les militaires français assurent 24 heures sur 24 la sécurité du territoire national et celle de nos ressortissants à l’étranger,
Aujourd’hui, la France ne connaît plus de conflits armés sur son sol. Cependant, l’extension de foyers d’Instabilité dans le monde et l’apparition de formes globales de menaces, comme le terrorisme, conduisent les militaires à intervenir, parfois loin de nos frontières, dans le cadre de différentes missions pour :
- endiguer ces menaces ;
- préserver les intérêts de la France ;
- contribuer au respect de nos engagements internationaux.

Dans le cadre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies (ONU) ou à la demande d’Etats souverains, 12 000 militaires de l’armée de terre, de l’air et de la marine nationale servent aujourd’hui en dehors du territoire national au titre des opérations extérieures, appelées couramment OPEX.

Sous commandement national (39%), de l’OTAN [4] (48%), de l’ONU (11%), ou de l’Union européenne (2%) les militaires français ont pour mission de construire ou de consolider la paix dans les Balkans, en Afrique, au Moyen-Orient ou encore en Asie centrale.

Au large de la Somalie et dans le Golfe d’Aden, les marins français assurent la sécurité des navigateurs de toutes nationalités en luttant contre la piraterie et en empêchant les trafics.

Opérations Extérieures en cours (Juin 2011)

Total OPEX : 12 000 militaires

  • ASIE CENTRALE : ISAF / OEF 4000
  • LIBAN : FINUL 1300
  • PAYS BALTES : BALTIC 2011 100
  • KOSOVO : KFOR 300
  • LIBYE : UNIFIED PROTECTOR 1400 ; SOUTIEN ASSOCIE 2400
  • AFRIQUE DE L’OUEST : CÔTE D’IVOIRE (LICORNE) 900 ; CÔTE D’IVOIRE (ONUCI) 10 ; GOLFE DE GUINEE (BATIMENT CORYMBE) 150
  • AUTRES PARTICIPATIONS : FMO/MINURSO 15 ;
    RDC MONUC/UE/EUSEC/EUPOL 15 ; MINUSTAH 2
  • AFRIQUE CENTRALE : TCHAD EPERVIER 950 ; RCA BOAIJ 240
  • PIRATERIE : ATALANTE 150 ; EPE 70

Dans les zones où l’action des organisations non gouvernementales (ONG) est délicate, les militaires français apportent différentes sortes d’aides en faveur des populations sinistrées. Par exemple :
- ils fournissent une aide médicale d’urgence ;
- ils participent à la reconstruction d’infrastructures.
Ils favorisent ainsi le renouveau d’une activité économique pérenne et permettent aux Etats qui ont sollicité une assistance militaire internationale de retrouver leur autonomie et les moyens d’assumer leur avenir.

Notes

[1Sur le site du ministère de l’Éducation nationale : http://www.education.gouv.fr/cid450...
sur celui de la Défense : http://www.defense.gouv.fr/educadef....

[2Voir cette page.
Le résumé de la conférence donnée par le général Faivre à Combs-la-Ville le samedi 5 avril 2008 sur le thème de « L’action sociale de l’Armée française en Algérie » : http://maisonducombattant.over-blog....

[3Pour l’enseignement de la défense dans les programmes, voir : http://eduscol.education.fr/cid4769....

[4Organisation du Traité de l’Atlantique Nord – ou en anglais NATO (North Atlantic Treaty Organisation).


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