une prison pour jeunes va ouvrir à Marseille


article de la rubrique prisons > enfermement et violences contre les jeunes
date de publication : jeudi 19 avril 2007
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L’établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) de Marseille, en construction à la Valentine, s’inscrit dans un programme national d’ouverture de sept établissements. 60 jeunes détenus y seront répartis en six unités de vie autonomes, dont une pour les filles. Ouverture prévue le 29 octobre 2007.

A la suite du dossier de Fred Dumas publié dans Var-Matin le 19 avril 2007, nous reprenons ci-dessous un texte dans lequel le sénateur Robert Bret exprime son opposition à la politique d’enfermement des jeunes délinquants [1].


Une prison nouvelle génération à Marseille

par Fred Dumas, Var-Matin, jeudi 19 avril 2007

Un établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) sort actuellement de terre à Marseille, dans le quartier de La Valentine. Second de ce type en France, il devrait accueillir, en octobre prochain, 60 adolescents de la région, âgés de 13 à 17 ans, déjà condamnés ou en attente de jugement.

L’établissement se veut un lieu « d’action éducative au coeur d’une prison  » : autrement dit, pas seulement un lieu de privation de liberté. N’empêche : l’encadrement sera strict, même si la priorité reste l’apprentissage et les activités sportives, culturelles et pré-professionnelles.

L’idée des EPM a été lancée en 2002 par le précédent garde des Sceaux, Dominique Perben, dans le cadre de sa loi d’orientation justice. Elle prévoyait la création de sept établissements en France exclusivement réservés aux mineurs. Celui de Marseille sera le seul pour toute la région Paca.

Mais avec ses 60 places, il sera vite rempli, dès son ouverture. Car, dans le même temps, les quartiers mineurs de Toulon et d’Aix vont fermer. Une cinquantaine d’adolescents, actuellement incarcérés dans les deux villes, sera donc redirigée vers cet établissement.

Ici, pas de miradors, pas de filins anti-hélico mais de la couleur : cela ressemble pour l’instant davantage à une résidence en construction qu’à une future prison. Mais qu’on ne s’y trompe pas : les caméras seront omniprésentes, et la surveillance visuelle permanente. «  Nous tenons à un taux d’encadrement très important, et le personnel a été spécialement formé aux mineurs : 36 éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, 10 enseignants à temps plein et 57 surveillants pénitentiaires travailleront ensemble », explique Pascal Auzeill, directeur adjoint du futur établissement.

Les familles pourront être accueillies (mais pas hébergées) et quatre parloirs faciliteront les rencontres.

Dix mètres carrés pas un de plus

Dès la porte principale, on repère tout de suite le vitrage blindé - question de sécurité - mais, à l’intérieur de l’établissement, la lumière circule bien : «  Finies les prisons où on ne voit jamais le jour, se félicite Denis, futur surveillant au centre de Marseille. Il y a de la visibilité, de l’espace et un peu de vie. Souhaitons que ça dure...  »

Les superficies des cellules, elles, ne varient pas : 10 m² pour chacun, pas un de plus, des barreaux aux fenêtres, mais toilettes et douches individuelles. Les premiers détenus, filles et garçons séparés, arriveront en octobre. D’ici là, le chantier se termine. Et quel que soit le nouveau président de la République, l’EPM ne devrait pas être remis en cause. C’est le seul point sur lequel tous les candidats ou presque sont d’accord : de nouveaux établissements pour encadrer plus « intelligemment » les mineurs.

Le plan de l’EPM de Marseille. En haut, les cellules des 60 détenus, en bas à gauche l’unité des arrivants et l’unité disciplinaire.

Une formation pour préparer « l’après »

Pour préparer la sortie et éviter la récidive, des formations seront dispensées dans des ateliers : l’un de mécanique, l’autre de techniques de vente.
«  Pour les mineurs, la détention est de trois mois en moyenne. Ils n’ont pas vocation à rester ici  », souligne le directeur adjoint.
Pour les plus sportifs, un gymnase attend les mineurs détenus et un terrain de sport en synthétique va être réalisé.
Une salle de musique et une de théâtre sont aussi prévues, de même qu’un lieu de culte.

Mais l’EPM reste une prison. L’unité disciplinaire, une cellule « nue », sans douche ni fenêtre, et avec seulement une toute petite cour de promenade, servira à mettre à l’écart les ados ayant commis une infraction lourde, comme l’agression d’un membre du personnel. « Dans ce cas, c’est sept jours en unité disciplinaire, contre quinze il y a encore quelques mois »

« Dommage pour l’éloignement... »

Substitut chargé des mineurs à Toulon, Maryline Aristide se félicite du projet d’EPM... mais regrette l’éloignement géographique qu’il va entraîner pour les adolescents varois. « Pour les mineurs, leurs familles ou les éducateurs, la distance ne sera pas négligeable. Cela va compliquer les choses. Sinon, le projet est intéressant car il privilégie un encadrement éducatif. On propose aux mineurs d’occuper leur esprit et leurs mains à temps plein. C’est bien. ».

«  Seul hic : dans le cas d’aménagement de peines, comment feront-ils pour respecter leurs engagements de travail à Toulon ou plus loin s’ils sont basés à Marseille ? A l’époque, nous avions fait part de ces remarques à la Chancellerie mais nous n’avions pas eu de réponse. »

« La prison leur fait toujours peur ! »

Des nombreux dossiers que Me Véronique Oberti a eu à plaider devant le tribunal pour enfants de Toulon, certains se sont soldés par des mesures éducatives... d’autres par une incarcération du mineur poursuivi. «  Mais la détention préventive n’excède jamais un mois à Toulon, se félicite-t-elle. Ici, on applique la procédure dite à délai rapproché, qui permet au mineur d’être jugé dans le mois qui suit. »

Comment juge-t-elle la mise en détention de certains jeunes délinquants ?
« Parfois, elle provoque un déclic chez l’adolescent, qui prend conscience de ses actes et ne recommence pas. D’autres fois, le passage en prison est presque un gage de virilité. Mais de manière générale, la prison leur fait toujours peur. »

Aujourd’hui, la justice privilégie les mesures éducatives pour les moins de 18 ans... mais lorsque les faits s’accumulent, la sanction est sans appel : «  Les tribunaux sont plus stricts et les faits répétés, plus sévèrement sanctionnés.  »

Fred Dumas

Robert Bret : « Non à l’enfermement des jeunes délinquants »

La déclaration du sénateur des Bouches-du-Rhône,
a été publiée dans La Marseillaise le 3 juillet 2005
  • La Marseillaise : La future implantation d’une prison pour mineurs dans le quartier de Saint-Menet à Marseille suscite beaucoup de réserves, voire de vives inquiétudes, parmi les futurs riverains. Etes-vous également inquiet ? Et quelle est votre position sur ce dossier, vous qui avez été membre de la Commission d’enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs ?

Robert Bret : Si je suis résolument opposé à ce projet, ce n’est pas tant sur le choix du lieu – même si je comprends que cela puisse faire débat – que sur la réponse apportée par le Gouvernement. Je m’explique :

Depuis 2002, force est de constater que la justice des mineurs est en train de perdre sa spécificité pour ne pas dire son identité. Le garde des Sceaux, avec ses lois dites PERBEN I et II, a considérablement durcit la politique pénale à l’égard des mineurs délinquants. Il a baissé à 13 ans l’âge de l’incarcération préventive en matière correctionnelle et a parallèlement lancé un programme de construction de 7 établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) dont celui de Saint-Menet, lesquels, avec la mise en place des centres « éducatifs » fermés, parachèvent l’enfermement des mineurs en difficultés ayant commis un délit.

Ce choix politique du Gouvernement - même si l’idée de prisons pour mineurs semble en apparence tournée vers l’idée de renforcer l’éducatif et semble accréditer l’idée qu’il ne faut pas traiter de la même manière les adultes et les enfants – n’est qu’une illusion. En effet, tout le système se restructure autour du répressif et de la prison, qui contrairement à ce qu’on veut nous faire croire, n’est pas l’ultime solution, mais bien un des outils répressifs possibles. Et ce choix me fait craindre un effet « appel d’air » visant à augmenter les condamnations à des peines de prison ferme. Alors que l’enfermement d’un mineur doit rester exceptionnel, comme une étape d’un parcours lorsque des adolescents ont commis des faits très graves.

Ce choix, c’est non seulement un retour en arrière de 60 ans, car du 19ème siècle jusqu’en 1945, des prisons pour enfants ont existé dans notre pays. (la dernière maison de correction ayant été fermée en 1978 par Alain PEYREFITTE).
Mais c’est également un renversement total de l’Ordonnance de 1945 qui permet d’apporter des réponses éducatives adaptées à la singularité de chaque jeune pris en charge. C’est une remise en cause des missions de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ). En effet, les moyens alloués pour l’édification de ces prisons (90 millions d’euros) sont autant de moyens qui n’iront pas à la prévention, aux foyers, aux services de milieu ouvert et d’insertion de la PJJ.

Comment croire, qu’avec l’enfermement des jeunes délinquants et la contrainte on va pouvoir « réparer » ou « redresser » en 3 mois des enfances brisées par bien souvent par de multiples problèmes d’ordre affectif, psychologique, social, auxquels il faut rajouter de fortes carences éducatives, au sein de familles déstructurées, elles-mêmes en grande difficulté.

A l’opposé de cette politique, si l’on veut vraiment apporter des réponses à cette montée de la délinquance parmi les mineurs, même si je sais qu’il ne suffit pas d’une politique de progrès social et d’éducation pour que se règlent d’eux-mêmes les problèmes de sécurité, il est indispensable tout d’abord d’établir un lien avec la détérioration sociale de ces 15 dernières années.
Comment peut-on passer sous silence l’augmentation du chômage, de la précarité et de la pauvreté, mais aussi la détérioration des conditions de vie et plus particulièrement de l’habitat ? Comment ne pas se rappeler ces quartiers et cités, où ceux qui y vivent ont le sentiment d’être abandonnés ? Cela n’est pas sans conséquences sur les comportements de ces enfants et les violences urbaines auxquelles nous assistons aujourd’hui.

Autrement dit, nous sommes bel et bien confrontés à un choix de société. A l’image de Victor Hugo qui proclamait « ouvrez une école, vous fermerez une prison », je refuse cette approche de la jeunesse en difficulté, son enfermement et sa pénalisation croissante. Ne confondant pas éducation et dressage, je préfère investir en amont.
En réorientant la politique de la ville, dont les objectifs n’ont pas été atteints, pour rationaliser les procédures et dispositifs existants en vue d’une plus grande cohérence et démontrer ainsi leur efficacité.
Et, en responsabilisant et de soutenant les familles en grandes difficultés car la famille a toujours un rôle déterminant dans l’éducation des enfants.

Par ailleurs, il nous faut mettre en place un repérage précoce des enfants violents ou en souffrance en donnant les moyens nécessaires aux services de la Protection Maternelle et Infantile (PMI) de mener une bonne prévention psychosociale et médicale, notamment en étendant et développant leurs actions auprès des enfants de moins de 11 ans. De même, il faut développer les équipes d’éducateurs de prévention et d’assistants sociaux de secteur.

Parallèlement, il est nécessaire de clarifier le rôle du service de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) et ses relations avec l’autorité judiciaire pour éviter des confusions dans les missions de chacun. D’autant que, certes à titre d’expérimentation (dans seulement 5 départements et pour une durée de 5 ans) mais l’expérience pourrait être reconduite ou confirmée, la loi sur les responsabilités locales, en confiant entièrement l’assistance éducative aux Conseils Généraux a créé une césure entre l’éducatif et le répressif (qui devraient être intimement liés dans la justice des mineurs si on part du principe que tout mineur délinquant est ou a été un mineur en danger).
Désormais, on sait que le juge des enfants n’est plus le maître de l’exécution des mesures concernant l’assistance éducative.

Et il y a l’école qui a un rôle essentiel à jouer dans la prévention de la délinquance car tous les enfants passe par elle. Au-delà de la question évidente de la formation des enseignants leur permettant d’affronter certaines situations difficiles avec les enfants, ou les parents, il y a besoin de renforcer le nombre de personnels médico-sociaux (psychologues, infirmières, assistantes sociales) et de personnels ATOS.

Robert BRET
Marseille, le 3 juillet 2005

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