pourquoi le fichage des décrocheurs inquiète-t-il ?


article de la rubrique Big Brother > le fichage des décrocheurs
date de publication : samedi 1er mai 2010
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Un haut fonctionnaire du ministère de l’Education nationale a exprimé publiquement son incompréhension devant l’opposition rencontrée par le “fichier des décrocheurs” : « à force d’être obsédé par les fichiers, on finira par forcer l’éducation nationale à travailler comme au XIXe siècle ! », a-t-il déclaré [1].

Si nul ne conteste la nécessité d’améliorer le suivi des collégiens et des lycéens en cours de déscolarisation, en revanche le recours à l’application informatique SCONET-SDO [2] est fortement mis en cause. On notera tout d’abord que le Snpden, Syndicat des personnels de direction de l’Education nationale, a «  toujours recommandé de s’abstenir d’utiliser les produits dérivés de SCONET », notamment « du fait d’objectifs pas toujours très francs » [3].

La transmission de données personnelles par l’administration de l’Education nationale, lors d’affaires de sans-papiers ou à l’occasion de dérives sécuritaires, d’une part, les échanges d’informations avec les services de l’Emploi, d’autre part, soulèvent une inquiétude légitime. Et ce ne sont pas les déclarations lénifiantes des responsables qui la dissiperont : le directeur général de l’enseignement scolaire affirme que les données recueillies dans SCONET-SDO ne seront « communiquées à aucune autre administration » [4], mais la circulaire de rentrée rappelle l’obligation pour les établissements du second degré de transmettre aux personnes et organismes désignés par le préfet les coordonnées des anciens élèves qui sortent sans diplôme du système [5].

De nombreuses mesures mises en oeuvre dans diverses administrations, ces dernières années, ont suscité et continuent de susciter méfiance et opposition à cause du non-respect par l’État des grands principes qui doivent régir la protection des données personnelles. Ce ne sont pas les déclarations récentes du président de la Cnil qui contribueront à restaurer la confiance. L’article suivant repris de l’hebdomadaire La Vie illustre cette situation.

[Page mise en ligne le 1er mai 2010
le texte de Patrick Lozès ayant été ajouté le 3 mai]



Voir en ligne : le fichage des “décrocheurs” se met en place

Faut-il ficher les élèves décrocheurs ?

par Audrey Steeves, La Vie, 27 avril 2010  [6]


En instaurant un fichier informatique pour mieux repérer et suivre les élèves décrocheurs, le ministère de l’Education nationale créé une nouvelle polémique.

Chaque année, 140 000 élèves quittent le système scolaire, sans qualification ni diplôme. Un enjeu éducatif et social majeur auquel Nicolas Sarkozy dit vouloir s’attaquer en priorité. Or la principale mesure de lutte contre le décrochage qui doit être expérimentée dès le mois de mai fait déjà polémique. Son nom : SDO, pour « Suivi de l’orientation ». Concrètement, il s’agit d’un fichier informatique dans lequel les enseignants inscriront le nom des élèves décrocheurs, leur parcours scolaire et les motifs présumés de leur décrochage. Le signalement fera ensuite l’objet d’un suivi de la part de personnels spécialisés de l’Education nationale : conseillers d’éducation, conseillers d’orientation psychologues, membres de la mission générale d’insertion, etc. « Le but est de prendre en charge les décrocheurs potentiels le plus tôt possible, et d’offrir des possibilités d’insertion professionnelle pour ceux qui ont déjà décroché », a expliqué Luc Chatel.

Mais cette annonce fait déjà monter au créneau les syndicats d’enseignants. Frédérique Rolet, porte-parole du Snes, principal syndicat d’enseignants en collèges et lycées, affiche son scepticisme : « Un outil technique ne peut pas régler à lui tout seul ce problème, il faut du personnel derrière or il y a de moins en moins de conseillers d’orientation ». Sur le terrain, le constat est un peu différent. Précurseur dans le domaine, l’académie de Nantes teste depuis deux ans le logiciel Jasmin, dont le principe ressemble à celui de SDO. Le coordinateur académique de la mission générale d’insertion, Nicolas Madiot, estime que ce système a permis une prise en charge plus efficace des décrocheurs : « On a facilité et accéléré l’identification de ces élèves, et grâce à cela on a pu personnaliser davantage les offres de formation, faire du sur-mesure. » Ainsi par rapport aux années précédentes, les élèves ayant bénéficié de solutions de formation ont augmenté de 30%, ceux qui sont retournés en cours ont augmenté de 10%, et surtout cela a entraîné une mobilisation des équipes éducatives.

Une inquiétude demeure cependant pour nombre d’enseignants et de défenseurs des droits de l’homme : l’accès aux données collectées et leur éventuelle utilisation par des tiers. Une crainte accrue par les déclarations de Nicolas Sarkozy la semaine dernière. Le président ayant réaffirmé sa volonté de suspendre les allocations familiales « en cas d’absence injustifiée de l’élève ». Or un élève qui décroche ne se caractérise-t-il pas d’abord par ses absences injustifiées ? L’Education nationale pourrait-elle faire le lien avec les caisses d’allocations familiales ou la justice ? Chargée de vérifier que le système ne porte pas atteinte à la vie privée, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), avait dans un premier temps retoqué le projet du ministère. Un champ autorisant les commentaires libres pouvait en effet faire craindre que des informations sur le contexte social ou familial de l’élève soient dévoilées. Finalement le ministère a revu sa copie, assurant que ce genre d’informations ne seraient pas mentionnés et que les fichiers seraient effacés au-delà de deux ans. Il s’est surtout engagé à ce que les données ne soient pas transmises à d’autres administrations.

La Cnil a beau avoir autorisé le lancement de SDO, les syndicats et les associations de défense des droits de l’homme déplorent une nouvelle tentative de fichage des élèves, après celle de « Base élèves », destiné au primaire. Certains profs des écoles refusent de le remplir, le considérant comme trop intrusif et transparent. SDO connaîtra-t-il le même sort ? Reste une vraie question : chaque problème nécessite-t-il de recourir à la création de fichiers informatiques dont on ne sait pas ce qu’ils deviendront dans une dizaine d’années ? Et surtout, ne faut-il pas s’inquiéter de voir peu à peu les écrans remplacer la relation humaine, sûrement plus efficace pour remettre les jeunes sur le chemin de l’école ?

Fichier des décrocheurs, fichier des délinquants ?
Ou le gouvernement du fichage

repris du blog de Patrick Lozès,
président du CRAN [7]


Un gouvernement du fichage. Vraiment !

A intervalle régulier, le gouvernement actuel se prend les pieds dans des affaires de fichage, très rarement pour de bonnes raisons et souvent pour des raisons idéologiques.

Cette fois-ci, c’est Luc Chatel le ministre de l’Education nationale qui veut créer un fichier des élèves "décrocheurs".
Le ministère de l’Education nationale va mettre en place dès le mois de mai, dans tous les collèges et lycées, un logiciel pour repérer et mettre en fiches « les élèves susceptibles de décrocher ».

Et ceci au pas de charge, car tous les établissements scolaires devront être équipés en 2011.

L’intervention de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) qui a validé le fichier le mois dernier, devrait nous rassurer...sauf que quelque chose cloche sérieusement : Aucune garantie autre que la bonne volonté des autorités, n’est donnée pour assurer la confidentialité des données.
De la à ce qu’il y ait des croisements avec d’autres données et que ce "fichier des décrocheurs" devienne un "fichier des délinquants", il n’y a qu’un pas.
Cette crainte est exacerbée par le fait que les dossiers des ces élèves comporteront des cases dites "libres".
Et là on s’inquiète sérieusement à cause de la nature des données qui pourront être portées dans ces cases libres. A priori, des données sur la nationalité ou sur autre chose pourraient facilement y figurer.

Pour ne rien arranger, le gouvernement n’est pas très disert sur la politique qui sera mise en place pour que les élèves décrocheurs puissent rejoindre les élèves non-décrocheurs.
A quoi servirait ce fichier s’il n’y a pas de procédures pour aider ces jeunes « décrocheurs ».

Le 28 avril 2010

Notes

[1La déclaration de Jean-Michel Blanquer, directeur général de l’enseignement scolaire, est rapportée dans l’article « La création contestée d’un fichier des "décrocheurs" » de Luc Cédelle, publié dansLe Monde daté du 27 avril 2010.

[2SCONET est l’équivalent pour l’enseignement secondaire de Base élèves.
SCONET-SDO désigne l’application dédiée au “Suivi De l’Orientation”.

[4Déclaration de Jean-Michel Blanquer rapportée dans l’article du Monde du 27 avril 2010

[5La circulaire de rentrée – http://www.education.gouv.fr/cid508... – précise d’autre part au sujet des « élèves en grande difficulté », qu’«  en cas de danger présumé, [...] les informations préoccupantes sont transmises au Conseil général et, dans les situations les plus graves, au procureur de la République. »

[7CRAN : Conseil Représentatif des Associations Noires de France.


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