“le fichier des décrocheurs”, alias Sconet-SDO


article de la rubrique Big Brother > le fichage des décrocheurs
date de publication : lundi 14 juin 2010
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La société est aujourd’hui confrontée à un phénomène grave, celui du décrochage scolaire. Des dispositifs apportent de l’aide aux décrocheurs, en tentant de répondre aux différentes situations qui peuvent se présenter [1], et de nombreux enseignants et personnels de direction se sont impliqués dans des plans de Réussite éducative et autres dispositifs de la politique de la Ville pour encadrer ces élèves.

Le gouvernement a décidé de mettre en place un outil informatique – Sconet-SDO – pour améliorer le repérage des décrocheurs. Mais on ne peut pas imaginer qu’un fichier informatique puisse venir à bout du décrochage scolaire s’il n’est accompagné d’un investissement humain.

Vous trouverez ci-dessous quelques textes officiels qui complètent la page de présentation de l’application Sconet-SDO ainsi que quelques commentaires, afin d’aider à en comprendre les enjeux.


Le rapport de Benoist Apparu sur la réforme du lycée (extrait) [2]

Sur le plan de l’interconnexion des outils informatiques, nécessaire au repérage systématique des décrocheurs la décision a été prise, au cours d’une réunion interministérielle tenue le 9 avril 2009, d’établir des échanges entre Parcours 3, la base de données des missions locales, et Sconet, la base de données de l’Éducation nationale. Ainsi, les établissements scolaires seront informés lorsque les missions locales reçoivent des jeunes encore scolarisés et les missions locales auront la possibilité d’accéder à Sconet ou de mettre en place une extraction pour cibler les jeunes repérés comme étant en grande difficulté scolaire par les établissements.

En ce qui concerne la coordination locale des acteurs, la signature, le 22 avril 2009 par neuf membres du Gouvernement, d’une instruction « relative à la prévention du décrochage scolaire et à l’accompagnement des jeunes sortant sans diplôme du système scolaire », constitue, en la matière une première.
Elle prévoit une interconnexion des bases de gestion interne des établissements pour améliorer le repérage des élèves décrocheurs ou sortant sans qualification pour la rentrée 2009, les ministères de l’agriculture et de la justice s’associant à cette démarche en mettant en œuvre des systèmes automatisés de suivi et de repérage des élèves décrocheurs.

L’instruction interministérielle du 22 avril 2009 (extrait) [3]

I - Améliorer le repérage des décrocheurs de la formation initiale

La prévention du décrochage scolaire implique la mobilisation de tous les établissements de formation initiale auxquels il revient, en premier lieu, de mettre en place les mesures internes de prévention, d’accompagnement individualisé et de repérage des élèves concernés.

Le ministère de l’Éducation nationale doit faire de cette question un axe essentiel de son pilotage. Ainsi, la connaissance rapide et fiable des élèves décrocheurs au coeur des établissements publics locaux d’enseignement (E.P.L.E.) sera réalisée sous la responsabilité des chefs d’établissement, notamment ceux des lycées professionnels qui représentent la cible principale de cette politique.

Pour accompagner cette mobilisation des établissements et de leurs équipes de vie scolaire, une interconnexion des différentes bases de gestion interne pour améliorer le repérage des élèves décrocheurs ou sortants sans qualification sera réalisée dès cette année scolaire dans les académies aux effectifs les plus importants et généralisée à tous les rectorats à partir de la rentrée 2009.

Les ministères de l’Agriculture et de la Justice s’associeront à cette stratégie en mettant en oeuvre à leur tour des systèmes automatisés de suivi et de repérage des élèves décrocheurs, afin d’améliorer la connaissance du phénomène dans les structures de formation placées sous leur autorité.

Ce renforcement général des conditions de repérage des élèves décrocheurs associera nécessairement les collectivités territoriales, notamment les centres de formation accueillant des apprentis relevant de leur autorité.

Ce dispositif doit permettre, à partir des structures d’enseignement initial, le transfert des informations aux différents partenaires pour un traitement rapide des situations repérées au niveau de la coordination locale décrite ci-dessous au point II. Elle devra également recenser les besoins d’échange et examiner les conditions dans lesquelles des interfaces pourront être réalisées entre les différents systèmes d’information.

Par ailleurs, le système de gestion doit aussi alimenter la connaissance des établissements de formation initiale des cas individuels signalés hors du champ d’action scolaire, surtout quand le retour en formation des élèves ainsi repérés constitue pour ces derniers une solution adaptée et souhaitable.

Cette fonction d’interface, qui doit s’associer à l’interconnexion interne des systèmes automatisés prévue dès cette année, devra être réalisée prioritairement au sein des C.I.O., des missions locales ou de tout autre point d’information ou d’accueil des jeunes hors des enceintes scolaires.

II - Construire une meilleure coordination locale pour accompagner les jeunes sortant de formation initiale sans diplôme

II-1 Organisation et missions de la coordination locale
Construite sur une meilleure connaissance du nombre d’élèves éligibles à ces suivis, vous mettrez en place une coordination locale - ou la consoliderez si elle est déjà opérationnelle ou expérimentée sur le territoire - pour proposer sans délai des solutions de formation ou d’insertion aux jeunes identifiés comme décrocheurs, en cours ou en fin d’année scolaire.

Cette coordination doit rassembler à une échelle géographique pertinente l’ensemble des responsables relevant : de l’éducation nationale, de l’enseignement agricole, de la justice - dont la protection judiciaire de la jeunesse - des centres de formation d’apprentis (C.F.A.), des centres d’information et d’orientation (C.I.O.), des missions générales d’insertion de l’éducation nationale, des correspondants insertion pour l’enseignement agricole, des missions locales, des permanences d’accueil, d’information et d’orientation (P.A.I.O.), du service public de l’emploi (S.P.E.), du réseau d’information jeunesse ainsi que des collectivités territoriales compétentes.

Pour vous appuyer dans cette démarche, une convention nationale entre les ministères chargés de l’éducation nationale, de la jeunesse, de l’emploi, de la ville et de l’agriculture d’une part et le réseau des missions locales d’autre part, déclinera ce nouveau cadre d’action. Elle sera conclue dans les prochaines semaines et il vous sera demandé d’en assurer l’adaptation au niveau local.

Le fonctionnement de cette coordination devra par ailleurs apporter des précisions sur les modalités de partage et d’échange régulier d’informations respectueuses des droits à la confidentialité des élèves et de leurs représentants légaux.

L’échelle géographique retenue pour cette coordination doit être celle où s’organisent les services d’information et d’insertion des jeunes (agglomération, bassin d’emploi ou de formation, .) tout en prenant en compte les coopérations existantes dans ces domaines. Sans constituer une structure administrative supplémentaire, cette coordination doit mieux articuler, au niveau territorial pertinent, diagnostics et solutions concrètes au bénéfice des jeunes repérés.

Compte tenu du caractère régional du pilotage des réseaux de formation, d’accueil, d’orientation et d’accompagnement, les principes et les périmètres de cette coordination seront arrêtés conjointement par le préfet de région, le recteur d’académie et le directeur régional de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt, en concertation avec le président du conseil régional.

À partir du cadre établi au niveau régional, il reviendra au préfet de département, en liaison avec l’inspecteur d’académie et le directeur régional de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt de désigner, après consultation des collectivités territoriales concernées, un responsable de la coordination locale. Ce dernier doit être choisi pour ses qualités d’organisation et d’animation reconnues par l’ensemble des partenaires et posséder une bonne connaissance du fonctionnement des institutions et de l’environnement économique local.

La circulaire de rentrée du 18 mars 2010 (extrait) [4]

1.2.3 Lutter contre le décrochage

La diminution du nombre de jeunes qui sortent de l’École sans diplôme est une priorité tant nationale qu’européenne. L’année 2009 a vu l’installation de coordinations locales réunissant les acteurs de la formation et de l’insertion pour offrir aux décrocheurs, le plus rapidement possible, des solutions pertinentes et diversifiées de prise en charge. À cet égard, l’article L.313-7, introduit au code de l’Éducation par la loi du 24 novembre 2009, [relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie,] a instauré l’obligation pour chaque établissement d’enseignement du second degré, y compris les centres de formation d’apprentis et les sections d’apprentissage, de transmettre les coordonnées de leurs anciens élèves ou apprentis sortant sans diplôme du système de formation initiale à des personnes et organismes désignés par le représentant de l’État dans le département, ainsi qu’à la mission locale pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes. Les procédures sont actuellement en cours au niveau interministériel en vue de rendre cette obligation effective.

Le module Sconet-SDO automatise le repérage des élèves sans solution de formation, facilite le travail de suivi des élèves en risque de rupture scolaire et favorise les échanges d’informations entre les acteurs au sein de l’établissement scolaire, sous la responsabilité du chef d’établissement, et avec les autorités académiques.

Un article du Parisien du 16 avril 2010 [5]

Les élèves « décrocheurs » seront fichés

Le logiciel suivi de l’orientation (SDO) permettra d’établir une « fiche » de l’élève

Personne ne l’utilise encore, mais il fait déjà parler de lui. Après Base élèves (école primaire) et Sconet (secondaire), l’Education nationale s’apprête à officialiser la mise en place d’un nouveau fichier informatique à destination des collèges et lycées. Baptisé SDO – pour suivi de l’orientation –, le programme vise à répertorier les élèves « décrocheurs », ces 150 000 jeunes qui, chaque année, quittent le système scolaire sans diplôme. Un logiciel en cours de déploiement dans l’ensemble des académies, après avoir été retoqué par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), qui s’était interrogée en février dernier sur la « nature et l’utilisation » des données collectées.

La création d’un tel outil avait été annoncée en septembre dernier par Nicolas Sarkozy : lors d’un déplacement à Avignon, le président avait évoqué la mise en place d’un dispositif où les décrocheurs seraient « suivis, répertoriés, et où on leur proposera un emploi ». Accessible aux chefs d’établissement et au personnel éducatif, le logiciel permettra d’établir une « fiche » de l’élève dès les premiers signes de désintérêt pour l’école. «  Le but est de prendre en charge les décrocheurs potentiels le plus tôt possible, et d’offrir des possibilités d’insertion professionnelle pour ceux qui ont déjà décroché », explique-t-on au ministère de l’Education nationale.

Mais c’est moins le but recherché que le contenu du fichier qui pose problème. En plus des champs relatifs au parcours scolaire, SDO renseigne le motif du décrochage, et autorise les commentaires libres. Plus étonnant encore, selon le document de présentation établi par le ministère, les informations collectées sont qualifiées de « non confidentielles », pouvant donc être « communiquées à toute personne susceptible de prendre le relais pour suivi ». « Nous avons obtenu l’assurance que ces champs ne comporteraient aucune donnée sensible », justifie-t-on à la Cnil. « Tout ce qui est relatif au contexte social, familial, ou à la santé de l’élève, ne sera pas mentionné, confirme-t-on au ministère de l’Education. Les données seront conservées pendant deux ans, et ne pourront pas être transmises à d’autres administrations ».
Après plusieurs échanges entre les deux institutions, la Cnil a finalement délivré le 24 mars le récépissé nécessaire au déploiement de SDO, ouvrant la voie à l’expérimentation, actuellement en cours, du fichier. « A partir du moment où il n’y a pas échange de données entre administrations, nous ne pouvions de toute façon pas nous y opposer », assure l’autorité indépendante. Tout en précisant que « rien n’interdit d’effectuer des contrôles a posteriori ».

Thibault Raisse


Un article de François Jarraud paru dans le Café pédagogique (extraits) [6]

Faut-il ficher les élèves décrocheurs ?

Peut-on se passer d’outil informatique pour venir au secours des jeunes qui décrochent ? C’est un des débats actuellement dans l’univers éducatif. Le programme SDO (suivi de l’orientation), lancé par le ministère, confronte des fichiers existants pour faire apparaître les élèves décrocheurs. Les informations recueillies concernent l’identité et les coordonnées de l’élève et de son responsable légal, une information sur la scolarité suivie, le compte rendu d’entretiens menés avec la personne qui suit l’élève. Seuls les élèves décrocheurs entrent dans le fichier.

[…] Le directeur général de l’enseignement scolaire affirme que les données recueillies dans Sconet-SDO ne seront « communiquées à aucune autre administration », mais la circulaire de rentrée rappelle l’obligation pour les établissements du second degré de transmettre aux personnes et organismes désignés par le préfet les coordonnées des anciens élèves qui sortent sans diplôme du système".

[…] Pour le ministère, "le but de ce logiciel est de repérer les élèves qui sont sans solution afin de les aider le plus rapidement possible. La réactivité dans ce domaine est indispensable pour leur apporter une solution. Pour les aider, encore faut-il les connaître ! C’est l’objectif de SDO". Il rappelle que "la CNIL a bien sûr été informée de la mise en place de cette application. Une déclaration lui a été adressée le 14 décembre. Elle a délivré un récépissé à cette déclaration le 24 mars, jugeant que le ministère avait apporté toutes les garanties quant à la pertinence et la bonne utilisation des données à caractère personnel. Elle a recommandé, néanmoins, d’informer les personnes concernées lors de l’inscription dans l’établissement. Cette recommandation sera naturellement suivie".

François Jarraud

___________________


Comment cela se passe-t-il sur le terrain ?

Pour le savoir, le Café pédagogique a interrogé un proviseur adjoint, utilisateur expérimenté du logiciel Jasmin, un dispositif similaire au SDO. Il déclare, dans un entretien repris sur le journal en ligne, que «  l’application informatique a énormément simplifié l’opération » et « nous permet de mieux remplir notre mission de service public ».

Sur le site de la FCPE de l’Hérault [7]

SDO : Suivi de l’Orientation et mise en fiche des décrocheurs

Il commence à être beaucoup question du fichier SDO.

SDO, pour Suivi De l’Orientation est en fait un module du logiciel Sconet utilisé dans les établissements du secondaire à de multiples fonctions (gestion des classes, des absences des enseignements, etc.).

Le module SDO doit permettre de suivre la scolarité des élèves, et de « détecter le », « prévenir le », ou « remédier au » décrochage éventuel, pour mieux s’attaquer à la grande difficulté ; de bonnes intentions, donc. Mais comme dit le dicton, l’enfer en est pavé, et les bonnes intentions peuvent parfois être suivies de mauvais effets.

En effet, trois problèmes ce posent à SDO, d’ores et déjà surnommé "fichier des décrocheurs" :

  • en premier lieu, c’est un fichier : certes validé par la CNIL (Commission Informatique et Liberté), un fichier de plus, dont les données pourront être conservées deux ans et, dont la confidentialité qui nous est promise, est toujours plus ou moins « passoire ». La circulaire de rentrée précise bien que, dans l’Éducation Nationale, le « principe de non transmission des informations ne saurait être absolu » : dans des cas « restreints », les informations pourront être transmises au Conseil Général et au Procureur de la République.
  • Ensuite, ce fichier va recenser non seulement les élèves en grande difficulté, mais aussi les « susceptibles de ». C’est du même ressort que la volonté antérieure de ficher dès la maternelle les délinquants en herbe. Stigmatisons, il en restera toujours quelque chose.
  • Enfin, et en dépit de toutes les précautions qui ne manqueront pas d’être prises, ce fichier ne risque-t-il pas de servir de marqueur, car on pourrait y retrouver nombre de primo-arrivants et d’enfants scolarisés de parents en … situation irrégulière. Bien pratique pour localiser les expulsables.

Et à qui fera-t-on croire qu’une mise en fiche d’un élève, pour 2 ans (durée du fichage SDO de l’élève, avant destruction), va aider à lutter contre la grande difficulté ? Encore une fois on pallie le manque de moyens humains par des solutions informatiques.

Que fait-on après la détection et le fichage ? On s’arrête là ou on engage du personnel, conseillers d’orientation-psychologues, enseignants, surveillants….

Jean Fontenay


Notes

[2Voir les pages 69 à 74 du rapport sur la réforme du lycée présenté par Benoist Apparu, enregistré à l’Assemblée nationale le 27 mai 2009 : http://www.assemblee-nationale.fr/1....

[3Instruction « Prévention du décrochage scolaire et accompagnement des jeunes sortant sans diplôme du système scolaire », signée par les ministres de l’Éducation nationale, de l’Intérieur, du Travail, de la Justice, de l’Agriculture, les secrétaire d’État à l’Emploi, à la politique de la Ville, et le
haut-commissaire à la Jeunesse :
http://www.circulaires.gouv.fr/pdf/... (pdf) ou
http://www.education.gouv.fr/cid283... (html)

[6Café pédagogique n°113 : http://www.cafepedagogique.net/leme....

[7Texte signé Jean Fontenay, publié le 15 mai 2010 sur le site de la Fcpe de l’Hérault : http://fcpe34.org/SDO-Suivi-de-l-Or....


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