la convocation au commissariat n’attend pas le nombre des années


article de la rubrique droits de l’Homme > Charlie-Hebdo
date de publication : dimanche 1er février 2015
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Un enfant de 8 ans a été entendu le 28 janvier 2015 au commissariat de Nice, avec son père, pour « apologie du terrorisme » à la suite de propos tenus à l’école primaire. Son père était quant à lui convoqué pour « intrusion » au sein de l’établissement scolaire.

Marcel Authier, directeur départemental de la sécurité publique des Alpes-Maritimes a déclaré : « on a convoqué l’enfant et son père pour essayer de comprendre comment un garçon de 8 ans peut être amené à tenir des propos aussi radicaux » au lendemain de l’attentat contre Charlie [1].

Ci-dessous le commentaire de Bernard Girard [2], suivi de la relation d’un fait analogue qui s’est déroulé à Villers-Cotterêts.

[Mis en ligne le 30 janvier 2015, mis à jour le 1er février]



Au commissariat à 8 ans : le retour de l’école-caserne ?

Un enfant de 8 ans dénoncé à la police par son enseignant et auditionné pour une affaire d’apologie de terrorisme, bien sûr que c’est grotesque, pathétique, sidérant mais ce n’est pas une bavure, ce n’est pas le fruit d’un malencontreux cafouillage administratif : à Nice, chacun des protagonistes n’a fait que son devoir, qu’obéir aux consignes. Et c’est bien là le problème.

Quelles que soient les paroles entendues dans la bouche d’un enfant, on pourrait attendre de la part d’un éducateur un minimum de discernement, de distanciation, un réflexe professionnel qui lui ferait remettre en contexte et évaluer à sa juste valeur une attitude enfantine somme toute banale compte tenu de son âge. Dans le cas présent – et même si une partie des circonstances reste dans l’ombre – enseignants et policiers ont juste négligé une chose : ils avaient devant eux un enfant de 8 ans qui n’a manifestement aucune représentation de ce que peuvent être « charlie » ou le « terrorisme ». N’importe quel éducateur, parent ou enseignant, comprend d’instinct, sans qu’il soit nécessaire d’avoir fait de longues études de psychologie, que lorsque les enfants jouent à la guerre, aux cowboys et aux indiens, aux gendarmes et aux voleurs, ils ne se préparent pas à une carrière de tueur ou de terroriste. Tout simplement parce que la parole de l’enfant n’a pas la même signification que celle de l’adulte. Dans le cas présent, ce n’est pas ce qui se passe dans la tête de l’enfant incriminé qui fait problème mais ce qui se passe dans celle des adultes.

Aujourd’hui, la question qui se pose est de savoir pourquoi un enseignant, un chef d’établissement en arrive à adopter, face à des élèves dont il a la charge, un comportement totalement irrationnel. Par convictions personnelles ? C’est possible si l’on veut bien considérer que les enseignants, les Niçois, les enseignants niçois ne sont pas, par principe, très différents du reste de la société à qui le seul mot de terrorisme semble avoir fait perdre tout sens de la mesure, toute raison. Mais il est par ailleurs indéniable que l’invraisemblable campagne lancée au sommet de l’État et relayée avec insistance par l’Éducation nationale n’a pas que peu contribué à cet affolement général. Depuis maintenant trois semaines, tout en haut du ministère, on fulmine, on tempête, on menace, on punit. Dès le lendemain des attentats, devant les députés, Nadja Vallaud-Belkacem assimilant toute contestation à une apologie du terrorisme, en assumait sans remords la transmission à la police, à la gendarmerie, à la justice : « nous ne pouvons pas laisser passer cela », s’emportait-elle. Laisser passer quoi, au juste ? Eh bien, par exemple, que des élèves aient pu, au cours d’un débat en classe, manifester leur étonnement : « C’est deux poids deux mesures : pourquoi défendre la liberté d’expression ici, mais pas là ? », question qu’ils ne sont pourtant pas les seuls à poser. Mais pour la ministre, « ces questions nous sont insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école, qui est chargée de transmettre des valeurs. » Pour faire bonne mesure, quelques jours plus tard, avec une célérité et une réactivité rarement vues (surtout dans une administration qui peut laisser travailler ses précaires plusieurs mois avant de les payer), l’Éducation nationale donnait ses ordres pour les années à venir : « Tout comportement mettant en cause les valeurs de la République ou l’autorité du maître fera l’objet d’un signalement systématique au directeur d’école ou au chef d’établissement, d’un dialogue éducatif associant les parents d’élèves et, le cas échéant, d’une sanction. Aucun incident ne sera laissé sans suite. » Un « dialogue éducatif » qui se tient dans les locaux de la police ou dans le bureau du juge.

Que l’Éducation nationale puisse se montrer brutale n’est pas une nouveauté. Mais aujourd’hui, dans le climat de paranoïa ambiante et d’hystérisation de la parole, cette vieille déformation prend un relief tout particulier. Lorsque des adultes, consciemment ou non, cherchent dans le cadre de leur activité professionnelle à glisser un coin entre des enfants et leurs parents, lorsque la sanction précède la réflexion et que la loi menace potentiellement toute une population, lorsque l’intimidation tient lieu de pédagogie, lorsque le discours, à force de tourner à vide, se ridiculise, on voit bien que c’est un paysage nouveau qui se dessine, pour l’école comme pour la société : pour les jeunes, l’obéissance par la contrainte avant l’encasernement que de tristes parlementaires socialistes sont en train de leur préparer ; pour tout le monde, la tentation d’un régime de surveillance généralisée, d’un régime policier.

Signe complémentaire d’une démocratie en perdition, le silence assourdissant qui alourdit encore ce climat délétère : les enseignants sont-ils tétanisés au point de ne pas réagir ? Ou bien faut-il comprendre qu’eux aussi ont des comptes à régler avec les élèves ? Quant aux syndicats, ils sont à cette heure aux abonnés absents.

Actualisation : la ministre donne raison à l’école, à la police, à Estrosi... Le SNUipp FSU, syndicat majoritaire, donne raison à l’école etc. Circulez, il n’y a rien à voir...

Le 29 janvier 2015

Bernard Girard


Aisne : un enfant de 9 ans auditionné pour apologie du terrorisme

Libération AFP le 30 janvier 2015


Un homme a porté plainte pour diffamation après l’audition le 15 janvier de son fils de neuf ans par la gendarmerie de Villers-Cotterêts (Aisne), accusé d’avoir crié « Allah akbar » pendant une minute de silence en hommage à Charlie Hebdo. Sauf que les soupçons pesant sur l’enfant « sont sur le plan de la matérialité des faits totalement infondés », a affirmé le procureur de Soissons, Jean-Baptiste Bladier.

L’enfant avait été entendu le 15 janvier par la gendarmerie de Villers-Cotterêts, en présence de son père, dans le cadre d’une enquête pour apologie du terrorisme. « On est dans une cantine municipale qui accueille plusieurs écoles, pendant la minute de silence il n’y a aucun témoin qui entend ce garçon de neuf ans venir dire “Allah akbar, vive le Coran" », a raconté le procureur.

« C’est un autre enfant qui vient (le) dire après coup à sa mère qui est l’une des employées de la cantine, qui le dit à la personne qui encadre la cantine, un signalement est rédigé, (...) on prévient la brigade de gendarmerie », a-t-il poursuivi. L’enfant incriminé « répond aux enquêteurs qu’il ne comprend pas, il y a eu un quiproquo entre les deux enfants »,a-t-il enfin précisé.

Mécontent, le père a déposé plainte le 23 janvier pour dénonciation calomnieuse et diffamation. Le procureur a souhaité que les conclusions de l’enquête servent pour l’avenir à « éviter de s’emballer inutilement ».

Capture audio d’un témoignage du papa de Villers-Cotterêts, diffusé le 30 janvier 2015 à 20h30 sur radio Beur FM :



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