surveillance à domicile en Grande Bretagne ... canular ou réalité ?


article de la rubrique Big Brother > une société de surveillance
date de publication : jeudi 6 août 2009
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Voici comment le Sunday Express a récemment présenté un projet du gouvernement britannique : « des milliers de familles à problèmes seront placées sous la surveillance de caméras vidéo 24h sur 24, dans leur propre domicile ».« Elles seront surveillées afin de s’assurer que les enfants vont bien à l’école, se couchent à l’heure et s’alimentent correctement. Des agents privés de sécurité effectueront des vérifications à domicile et les parents seront aidés à combattre la drogue et l’alcoolisme. » [1]

Le site internet wired.com a présenté ce programme de façon volontairement parodique – c’est ce que nous avons tout d’abord pensé – dans l’article « Grande Bretagne : vidéo-surveillance à la maison » repris ci-dessous. Mais, dans une mise à jour publiée au cours de l’après-midi du 5 août, Charlie Sorrel écrit qu’il avait été abusé par l’article du Sunday Express...

En effet, le communiqué conjoint des ministères britanniques de l’Intérieur, de l’Enfance et de la Justice, daté du 22 juillet dernier, n’évoque pas le recours à la vidéo-surveillance. Mais il existe bien un programme officiel doté l’an dernier de 100 millions de livres – The Youth Crime Action Plan (YCAP) – qui a permis la prise en charge de 2 300 familles « afin de modifier leur comportement ». Et l’objectif est d’arriver d’ici deux ans à prendre en charge 20 000 familles à problèmes, pour un budget total de 400 millions de livres [2].

[Mise en ligne le 4 août, dernière mise à jour le 6 août à 11h30 [3] ]



Illustration Charlie Sorrel.

Grande Bretagne : vidéo-surveillance à la maison

par Charlie Sorrel, le 3 août 2009 [4]


En tant qu’ex-Britannique, je connais bien le penchant des autorités pour la surveillance et l’intrusion, et pourtant, je dois avouer la surprise du pessimiste cynique que je suis devant le dernier projet du gouvernement : installer des télé-écrans orwelliens dans 20 000 foyers.

400 millions de livres seront dépensés pour l’installation et la gestion de caméras de vidéo-surveillance dans des domiciles privés. Dans quel but ? Pour s’assurer que les enfants font leurs devoirs, se couchent tôt et se nourrissent convenablement. Aussi étonnant que cela paraisse, le projet a déjà été mis en place dans 2 000 foyers. Le Secrétaire à l’enfance du gouvernement, Ed Balls, est derrière ce plan destiné aux familles à problèmes. L’idée est qu’un(e) enfant sera d’autant moins susceptible de devenir délinquant ou de se droguer qu’il/elle bénéficie d’une vie familiale plus stable.

Selon le Sunday Express, le gouvernement constitue également une milice ("private army") – surprise ! elle ne s’appelle pas « la police de la pensée » – qui sera chargée d’effectuer des contrôles à domicile. Et dans une démarche qui confirme la réputation d’ « Etat nounou » de notre pays, les enfants et leurs familles seront tenus de signer des « contrats de comportement » qui préciseront les devoirs des parents : veiller au comportement des enfants et s’assurer qu’ils font leur travail scolaire.

Ne l’oubliez pas, ce gouvernement est de gauche. Le ministre de l’Intérieur du cabinet fantôme conservateur, Chris Grayling, pense que c’est à la fois « est beaucoup trop peu, beaucoup trop tard,  », ce qui signifie qu’il faut aller plus loin. Les rumeurs concernant la construction d’un nouveau centre de détention, dénommé Salle 101, au sein du ministère de l’Amour n’ont pas été confirmées.

Mise à jour (après-midi du 5 août 2009)

Quelques recherches m’amènent à conclure que la présentation du Sunday Express n’est pas tout à fait exacte. Le projet est en cours de réalisation, les chiffres avancés semblent exacts, mais le recours à des caméras de vidéo-surveillance est exagéré. La vérité est que le système peut placer de façon temporaire les familles les plus difficiles dans des locaux gérés par l’administration, où ils seront surveillés 24h sur 24. Les caméras de vidéo-surveillance ne sont pas expressément mentionnées, mais une surveillance 24h sur 24 n’exclut pas d’y avoir recours.

Caméras ou pas, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit là d’une mesure encore beaucoup trop intrusive dans la vie privée des citoyens.

Charlie Sorrel


Un commentaire permet de prendre la mesure de l’inquiétude que provoque le développement de la surveillance en Grande Bretagne.

Terence Blacker : La démocratie, folle de la surveillance

The Independant, 24 juillet 2009 [5]


Comme tout dictateur le sait, la meilleure façon de contrôler un peuple est de parvenir à ce qu’il le fasse lui-même.
Nul citoyen n’est plus intimidé et désemparé que celui qui se croit lui-même à la merci des autres. En faisant de chacun de nous à la fois un surveillant et un surveillé, la Grande Bretagne, qui n’est pas un pays totalitaire, se trouve néanmoins sur une mauvaise pente, en voie de faire disparaître la liberté individuelle.

Notre enthousiasme national pour la surveillance s’est répandu comme la grippe porcine. Avec plus de quatre millions de caméras installées nous montrons le chemin au monde entier en ce qui concerne l’utilisation de la vidéo-surveillance. Le gouvernement a, sous des prétextes variés, adopté plusieurs textes de lois qui attentent à nos libertés.

A l’occasion de chaque protestation contre le soutien apporté par l’Etat au développement de la surveillance, une autre phrase du manuel du totalitarisme est invoquée : « si vous n’avez rien à cacher, vous n’avez rien à craindre »

Cette semaine un argument encore plus insidieux en faveur de la surveillance a été utilisé. Quand on lui a demandé pourquoi il avait décidé d’installer des caméras dans les toilettes des jeunes écoliers, un chef d’établissement de Norwich a expliqué que l’idée provenait des enfants eux-mêmes.

Voilà qui est révélateur ! Nous sommes tellement persuadés qu’être surveillé c’est être en sécurité, que les écoliers eux-mêmes en sont arrivés par une sorte de lavage de cerveau à croire que pour faire respecter la discipline et la moralité, une caméra vaut mieux qu’un enseignant. [...]

Les parents d’élèves sont également invités à participer quelque peu à la surveillance. Le gouvernement va bientôt présenter un projet de loi qui rendra obligatoires les contrats “Home School Agreements”. Comme pour l’installation de caméras dans les toilettes des écoles, la justification de cette mesure semble ne pas pouvoir être contestée.

Ces contrats entre les parents d’élèves et l’école de leur enfant les engageront à veiller à son éducation, à s’assurer de son assiduité scolaire, à vérifier qu’il fait ses devoirs à la maison, va au lit à une heure raisonnable, et ainsi de suite. De façon implicite, ce contrat invitera aussi les parents à surveiller les familles dont ils estiment qu’elles ne respectent pas le contrat ; ces informations seront transmises aux autorités locales de l’Éducation. Voilà une manière élégante de tirer parti du soupçon et de la paranoïa qui font partie maintenant du caractère Britannique. Les citoyens deviendront des espions bénévoles au service des autorités.

Comme on pouvait s’y attendre, Ed Balls, le secrétaire d’Etat qui est à l’initiative de ce programme, a fait appel à la décence et au bon sens. « Les parents qui font bien les choses » seront aidés, alors qu’« une petite minorité de familles récalcitrantes » seront déférées à la justice. Il aurait pu ajouter : si vous n’avez rien à cacher, vous n’avez rien à craindre.

Au cours de leurs vacances estivales, une initiative contestable de “The 38 degrees campaign” aura permis aux parlementaires britanniques de prendre la mesure de la propagation du virus de l’espionnite : l’association a lancé une campagne qui vise à faire espionner et photographier les politiciens tire-au-flanc par le public.

Quand tout un chacun espionne autour de lui et moucharde, la démocratie est devenue folle de la surveillance. [...]

Terence Blacker


Société de surveillance (d’après Banksy)

Notes

[1L’article du Sunday Express : « SIN BINS FOR WORST FAMILIES ».
Note d’un traducteur : “Sin Bins” – littéralement : mises à la “poubelle du péché” – expression argotique, faisant allusion à la zone ou les joueurs de hockey sur glace doivent se tenir assis un temps donné, après une faute de jeu.

[2Vous trouverez des précisions sur ce programme en consultant l’article Surveiller et punir au pays de Kubrick et d’Orwell.

[3La mise à jour de Charlie Sorrel et les difficultés de traduction expliquent les modifications successives subies par cette page depuis 48h.

[4Traduction par LDH-Toulon de « Britain To Put CCTV Cameras Inside Private Homes ».

[5Traduction libre de : The mad democracy of snooping.


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