la Ligue de l’enseignement s’interroge sur la finalité du fichier base élèves


article de la rubrique Big Brother > une société de surveillance
date de publication : samedi 2 janvier 2010
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Le développement du fichage de la population ne semble pas avoir de limite. Justifié tantôt par des impératifs de gestion, tantôt par la lutte contre la “fraude”, il s’explique en réalité par la volonté des autorités de surveiller toujours plus la population.

Après avoir fermement condamné les deux fichiers qui ont pris la place d’Edvige, la Ligue de l’enseignement s’interroge sur la finalité du fichier Base élèves : elle se demande s’il ne faut pas y voir « le fichier Edvige pour l’école ».

Ce n’est pas l’affirmation désinvolte « si vous n’avez rien à vous reprocher, vous n’avez rien à craindre » qui apaisera l’inquiétude provoquée par le développement incontrôlé de cette “surveillance de masse”. Personne, en effet, ne peut prévoir quelle sera l’utilisation future des informations ainsi rassemblées.


Communiqué de la Ligue de l’enseignement [1]

“Base élèves”, le fichier Edvige de l’école ?

Le 17 décembre 2009

Plus d’un millier de parents ont déposé plainte contre X à propos du fichier « Base élèves » [2]. Il s’agit d’un fichier de données informatiques et centralisées, rempli par les directeurs d’école au moment de l’inscription des enfants.

Ces données, qui peuvent utilisées par les directeurs d’école et les mairies, seront conservées « jusqu’au terme de l’année civile en cours dans laquelle l’élève a quitté le premier degré » a précisé le ministère de l’Education nationale. Expérimenté depuis 2007 dans 80 départements, il doit être généralisé.

Sous la pression, l’inscription d’informations comme la nationalité, l’année d’arrivée en France, l’enseignement de la langue et la culture d’origine a été abandonnée en 2008.
La Ligue de l’enseignement s’interroge toutefois sur la finalité de ce fichier et ses conséquences sur le parcours des élèves. Elle reste particulièrement vigilante quant à une éventuelle interconnexion de "Base élèves" avec d’autres fichiers.

Par son questionnement, la Ligue de l’enseignement rejoint la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) et la Ligue des droits de l’Homme qui avaient manifesté en juin dernier leur inquiétude en prenant acte « des nombreuses réserves exprimées par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU à propos du fichier “base élèves” » [3].

Dans son arrêt du 11 juin 2009, le Comité des Droits de l’enfant de l’ONU avait en effet pris « note avec préoccupation [concern] de la multiplication des bases de données servant à la collecte, à la conservation et à l’utilisation à long terme de données personnelles sur les enfants, qui pourrait aller à l’encontre du droit de l’enfant et de sa famille à la protection de leur vie privée » [4]. En ce qui concerne la Base élèves 1er degré, « les objectifs de cette base de données et son utilité pour le système éducatif n’étant pas clairement définis », le Comité avait déclaré être « préoccupé par le fait que cette base de données puisse être utilisée à d’autres fins, telles que la détection de la délinquance et des enfants migrants en situation irrégulière, et par l’insuffisance des dispositions légales propres à prévenir son interconnexion avec les bases de données d’autres administrations » [4].

Voici ce qu’Alain Weber, ancien responsable du groupe de travail “informatique et biométrie” à la Ligue des droits de l’Homme, écrivait en juin dernier.

Le fichage des mineurs [5]

Une obsession marque l’action du gouvernement et des cercles proches du pouvoir, celle de ficher les mineurs y compris les bébés et les enfants en bas âge, puis les adolescents. Reprenant par mimétisme le vieux thème du « criminel né » – qu’aucun scientifique sérieux n’oserait même évoquer du bout des lèvres aujourd’hui – certains politiques prétendent déceler chez l’enfant en bas âge les signes d’une conduite troublante qu’il conviendrait de marquer dans un fichier. L’objectif ? Protéger, dans le futur, la société contre cet enfant à l’époque « bizarre », et l’adulte qu’il deviendra contre lui-même.

C’est pour lutter contre cette hérésie, sortie d’esprits aussi médiocres que malfaisants, que s’est constitué le Collectif « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans », avec le formidable succès de son action et des 250 000 signataires de la pétition mise en ligne [6]. Le projet a été retiré mais il semble que le gouvernement envoie à nouveau ses pitbulls – ils se reconnaîtront – pour relancer le débat.

La vigilance est donc de mise, d’autant plus que les projets ne manquent pas. Ainsi en est-il de « Base-élèves », que la Ligue des droits de l’Homme et d’autres ONG sont parvenues à ramener dans des limites raisonnables, même si en ce domaine on doit tendre à toujours plus de protection des citoyens, notamment les plus jeunes.

Mais à peine « Base-élèves » est-elle neutralisée que pointe désormais l’Identifiant national élèves (INE) et la création d’une Base nationale identifiant élève (BNIE). Lorsqu’un enfant est inscrit dans une école, le directeur entre ses données dans « Base-élèves » et une connexion automatique à la BNIE lui attribue un Identifiant national élève (INE).

C’est donc un filet au maillage de plus en plus fin, de plus en plus serré qui est jeté sur le monde de l’Education nationale… pour pêcher les enfants des familles sans papiers qui, arrivant en scolarité, sont inscrits dans « Base-élèves » et repérés lors de la connexion à la BNIE comme n’ayant pas d’Identifiant national élève ?

Par ailleurs, le débat sur Edvige a permis de constater qu’il n’y avait pas de limite basse pour inscrire un mineur dans un fichier de police. Ainsi, un bébé de quelques mois pourrait y figurer.
Tous ces fichiers heurtent de front la Convention internationale des droits de l’enfant. Mais il semble que certains hauts responsables du ministère de l’Intérieur ignorent jusqu’à l’existence de cette Convention. C’est dire si l’instruction civique a de l’avenir, en France.

Alain Weber (juin 2009)


Notes

[1Référence : http://www.laligue.org/base-eleves-....

En octobre 2009, La Ligue de l’enseignement a pris position contre les fichiers qui ont succédé à Edvige par un communiqué très ferme « Non au fichage généralisé ! ».

[2Très précisément, 1770 plaintes ont été déposées contre Base élèves à ce jour. [Note de LDH Toulon]

[3Voir le communiqué commun publié par les deux organisations le 22 juin 2009.

[4Voir notre page.

[5Extrait de « Surveiller sans punir » par Alain Weber, publié dans le n° 146 de la revue Hommes &Libertés de la LDH : http://www.ldh-france.org/H-L-numero-146.


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