nouveau code de déontologie des forces de l’ordre


article de la rubrique justice - police
date de publication : jeudi 27 décembre 2012
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Un nouveau code de déontologie pour la police et la gendarmerie nationales est en cours de mise au point. Dans sa version du 26 novembre 2012, il s’agit pour l’essentiel d’un rappel à l’obéissance et au « devoir de réserve » adressé aux policiers et aux gendarmes [1].

Sont désormais prohibés les contrôles au faciès – mais le mot n’est pas utilisé –, le tutoiement, les fouilles à nu – sauf « cas prévu » par la loi ... On peut s’étonner qu’il faille préciser ou rappeler ces points ! Seule véritable nouveauté, le port d’un numéro d’identification visible sur l’uniforme est proposé pour répondre à la demande des associations concernant les contrôles d’identité.

Dans une lettre du 13 décembre adressée au ministre de l’intérieur le Défenseur des droits a exprimé des réserves sur ce projet, le jugeant insuffisant notamment pour ce qui concerne les contrôles d’identité. Huit organisations – LDH, Gisti, Graines de France, Human Rights Watch, Maison pour un développement solidaire, Open Society Justice Initiative, Saf, Syndicat de la magistrature – ont réagi dans le même sens : estimant ce projet tout à fait insuffisant pour lutter contre les contrôles au faciès, elles ont publié le 18 décembre 2012 un communiqué commun pour appeler à une vraie concertation.

[Mis en ligne le 10 décembre 2012, mis à jour le 27 ]



Pour faciliter les comparaisons, nous rapprochons la rédaction de certains articles du code de la police nationale actuellement en vigueur de celle d’articles correspondant du projet de futur code de la police et de la gendarmerie nationales :

Relation avec la population

  • Article 7 (en vigueur)

Le fonctionnaire de la police nationale est loyal envers les institutions républicaines. Il est intègre et impartial ; il ne se départit de sa dignité en aucune circonstance.
Placé au service du public, le fonctionnaire de police se comporte envers celui-ci d’une manière exemplaire.
Il a le respect absolu des personnes, quelles que soient leur nationalité ou leur origine, leur condition sociale ou leurs convictions politiques, religieuses ou philosophiques.

  • Article 12 (projet)

Les policiers et les militaires de la gendarmerie nationale sont placés au service de la population.
Leur relation avec celle-ci est empreinte de courtoisie et exclut l’usage du tutoiement.
Ils se comportent de manière exemplaire en toute circonstance.
Ils doivent inspirer respect et considération.

Respect des personnes

  • Article 10 (en vigueur)

Toute personne appréhendée est placée sous la responsabilité et la protection de la police ; elle ne doit subir, de la part des fonctionnaires de police ou de tiers, aucune violence ni aucun traitement inhumain ou dégradant.
Le fonctionnaire de police qui serait témoin d’agissements prohibés par le présent article engage sa responsabilité disciplinaire s’il n’entreprend rien pour les faire cesser ou néglige de les porter à la connaissance de l’autorité compétente.
Le fonctionnaire de police ayant la garde d’une personne dont l’état nécessite des soins spéciaux doit faire appel au personnel médical et, le cas échéant, prendre des mesures pour protéger la vie et la santé de cette personne.

  • Article 13 (projet)

Lorsque la loi autorise le policier ou le militaire de la gendarmerie nationale à procéder à un contrôle d’identité, ce dernier ne se fonde sur aucune caractéristique physique ou signe distinctif, sauf dans les cas où le contrôle est motivé par un signalement précis.
Le contrôle d’identité est réalisé dans le respect de la dignité de la personne qui en fait l’objet.
La palpation de sécurité, par les policiers ou les militaires de la gendarmerie nationale, est réservée aux cas qu’ils jugent nécessaires à la garantie de leur sécurité ou de celle d’autrui.
Si les circonstances l’autorisent, la palpation de sécurité est pratiquée à l’abri du regard du public.

  • Article 14 (projet)

Toute personne appréhendée est placée sous la protection des policiers et des militaires de la gendarmerie nationale et préservée de toute forme de violence et de tout traitement inhumain ou dégradant.
- Hors le cas prévu par le code de procédure pénale visant la recherche des preuves d’un crime ou d’un délit, nul ne peut être intégralement dévêtu.
Le policier ou le militaire de la gendarmerie nationale ayant la garde d’une personne est attentif à son état physique et psychologique et prend toutes les mesures pour préserver la vie et la santé de cette dernière.
L’utilisation du port des menottes ou des entraves est justifié lorsque la personne appréhendée est considérée soit comme dangereuse pour autrui ou pour elle-même, soit comme susceptible de tenter de prendre la fuite.

Obéissance

  • Article 17 (en vigueur)

Le subordonné est tenu de se conformer aux instructions de l’autorité, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public.

Si le subordonné croit se trouver en présence d’un tel ordre, il a le devoir de faire part de ses objections à l’autorité qui l’a donné, en indiquant expressément la signification illégale qu’il attache à l’ordre litigieux.
Si l’ordre est maintenu et si, malgré les explications ou l’interprétation qui lui en ont été données, le subordonné persiste dans sa contestation, il en réfère à la première autorité supérieure qu’il a la possibilité de joindre. Il doit être pris acte de son opposition.

Tout refus d’exécuter un ordre qui ne répondrait pas aux conditions ci-dessus engage la responsabilité de l’intéressé.

  • Article 4 (projet)

Le policier ou le militaire de la gendarmerie nationale exécute loyalement et consciencieusement les instructions et obéit aux ordres qu’il reçoit de l’autorité investie du pouvoir hiérarchique sauf dans le cas où l’ordre donné serait manifestement illégal.

S’il se croit confronté à un tel ordre, il fait part de ses objections à l’autorité dont il le reçoit, ou à défaut à la première autorité qu’il a la possibilité de joindre, en lui indiquant expressément le caractère d’illégalité qu’il y attribue. Il peut demander confirmation écrite si l’ordre est maintenu.
La responsabilité propre du subordonné n’exonère pas le donneur d’ordre sa responsabilité.

Lorsque le motif d’illégalité a été invoqué à tort pour ne pas exécuter un ordre, la responsabilité du subordonné peut être engagée.
Le policier ou le militaire de la gendarmerie nationale rend compte à l’autorité investie du pouvoir hiérarchique de l’exécution des ordres reçus ou, le cas échéant, des raisons de leur inexécution.

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Un nouveau code de déontologie
pour les policiers et les gendarmes

par Louise Fessard, mediapart.fr, le 8 décembre 2012


Le nouveau code de déontologie des forces de sécurité, envoyé sous forme de projet le 6 décembre 2012 par le ministre de l’intérieur Manuel Valls aux syndicats de police et aux représentants de la gendarmerie, consacre tout un chapitre aux relations entre police et population.

Mais il met également l’accent sur le principe hiérarchique, l’obéissance et les restrictions à la liberté d’expression des fonctionnaires, tous points symboliquement placés au tout début du texte.

C’est un chantier qui avait été entamé sous le précédent ministre de l’intérieur, Claude Guéant : revoir le code de déontologie de la police créé en 1986 par le ministre de l’intérieur socialiste, Pierre Joxe. Après consultations avec les syndicats de police et représentants de la gendarmerie prévues la semaine prochaine, la nouvelle version fera l’objet d’un décret « qui devrait être publié en mars 2013 », selon l’avis de la sénatrice (CRC) Éliane Assassi, dans le cadre de la mission sécurité pour le projet de loi de finances pour 2013.

Aussi bavard que son prédécesseur était concis, le nouveau code présente quelques nouveautés. Il inclut notamment les gendarmes, passés sous la coupe du ministère de l’intérieur.

Un chapitre entier est consacré aux relations entre forces de l’ordre et population, rappelant que « les policiers et les militaires de la gendarmerie nationale sont placés au service de la population » et excluant « tout tutoiement ». Pour Le Monde, « il s’agit de la première réponse concrète de Manuel Valls aux critiques sur les contrôles d’identité policiers ». Le 19 septembre 2012, le ministre avait enterré l’idée de la remise d’un récépissé pour lutter contre les contrôles au faciès qu’il jugeait « beaucoup trop bureaucratique et lourde à gérer ».

Il avait préféré ébaucher trois pistes, jugées insuffisantes par les associations : un rappel du « cadre strict des contrôles d’identité par les directeurs généraux, y compris s’agissant (…) du recours à la palpation de sécurité », un code de
déontologie « précisé » et « complété », ainsi que le rétablissement « sur l’uniforme ou le brassard (d’)éléments d’identification, comme le numéro du
matricule
 ».

Respect du « crédit et renom »

Deux articles du nouveau code portent spécifiquement sur les contrôles d’identité et les palpations, ces dernières étant pour la première fois encadrées dans un texte réglementaire. Dans un récent rapport, le Défenseur des droits avait critiqué les palpations « à l’origine d’autant de récriminations que les contrôles eux-mêmes en raison de leur caractère intrusif, vexatoire et parfois humiliant ».

Lorsque c’est possible, les palpations devront être pratiquées « à l’abri du regard du public », recommande le projet de code. Pour autant, leur usage
est laissé à la libre appréciation des forces de l’ordre : « La palpation de sécurité, par les policiers ou les militaires de la gendarmerie nationale, est réservée aux cas qu’ils jugent nécessaires à la garantie de leur sécurité ou de celle d’autrui. »

« Ça reste flou, donc ce sera une source de contentieux », regrette Michel-Antoine Thiers, secrétaire national du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (l’ex-Snop, majoritaire chez les officiers).

Quant aux contrôles d’identité, le code se contente de rappeler qu’ils ne doivent se fonder « sur aucune caractéristique physique ou signe distinctif, sauf dans
les cas où le contrôle est motivé par un signalement précis
 ».

Concernant les fouilles à nu, le code effectue également un rappel à la loi : «  Hors le cas prévu par le code de procédure pénale visant la recherche des preuves d’un crime ou d’un délit, nul ne peut être intégralement dévêtu. »

Alors que le précédent code commençait par les devoirs des policiers envers les institutions républicaines et les citoyens, celui-ci s’ouvre sur « le principe hiérarchique ». Et met l’accent sur les limites de la liberté d’expression des fonctionnaires.

Pas moins de quatre articles sont consacrés au « secret et à la discrétion professionnelles », au devoir de réserve, et au respect du «  crédit et renom de la police et de la gendarmerie nationales ».
Un article prévoit ainsi qu’« en tout temps, qu’il soit ou non en service, y compris lorsqu’il s’exprime à travers les réseaux de communication électronique sociaux, [le policier ou gendarme, ndlr] s’abstien(ne) de tout acte, tout propos ou tout comportement de nature à nuire à la considération de la police nationale et de la gendarmerie nationale ».

Avec, au passage, un petit rappel à l’ordre des syndicalistes, jugés trop bavards par Manuel Valls : « Le policier est tenu au devoir de réserve. L’exercice de la liberté syndicale, qui l’autorise à s’exprimer plus largement, ne le soustrait pas à ce devoir. » Le devoir de réserve n’est toutefois (toujours) pas défini.
Et on remarque que la rédaction est nettement moins libérale que la version de 1986. « Les fonctionnaires de police peuvent s’exprimer librement dans les limites résultant de l’obligation de réserve à laquelle ils sont tenus et des règles relatives à la discrétion et au secret professionnels », prévoyait cette dernière.

Du côté des syndicats de police, on ne cache pas que ce nouveau code relève « plus de l’affichage politique ». « Il n’y avait pas vraiment de raison d’en
changer, c’est plus une recension de ce qui est déjà présent ailleurs, notamment dans le code de procédure pénale
 », relève Michel-Antoine Thiers du SCSI. De son côté, Stéphane Liévin, secrétaire national du principal syndicat de gardiens de la paix, Unité SGP Police FO, estime un peu court de pointer uniquement les responsabilités individuelles des policiers. «  Les policiers ne font que répondre aux demandes des politiques, dit-il. On a montré du doigt les policiers sur les contrôles aux faciès et le nombre de gardes à vue, mais ces derniers avaient été érigés comme indicateurs par le précédent gouvernement ! C’est tout ce climat général qui fait que les policiers ont été éloignés de la population. » Il rappelle toutefois l’importance du code de déontologie : « Les anciens de la FASP [2] avaient participé à sa rédaction, au fait que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen soit affichée dans les commissariats, autant d’aspects auxquels nous sommes attachés pour encadrer une profession qui a le monopole de la légitime violence. »

Louise Fessard


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Déontologie de la police : Dominique Baudis en demande plus

par Laurent Borredon, Le Monde du 19 décembre 2012


Le Défenseur des droits salue l’effort fourni par Manuel Valls sur la déontologie des forces de l’ordre, mais le juge encore insuffisant. Dans une lettre au ministre de l’intérieur envoyée le 13 décembre, Dominique Baudis fait part d’"observations" aussi polies que sévères sur le nouveau code de déontologie, adressé aux syndicats de policiers et aux représentants des gendarmes le 6 décembre.

Le projet, qui vient remplacer un texte de 1986 exclusivement destiné aux policiers, avait été lancé par le prédécesseur de M. Valls. Le nouveau ministre a repris le dossier, et en a profité pour afficher sa bonne volonté concernant les rapports police-population. Il compense ainsi son refus d’établir un récépissé de contrôle d’identité, refus qui avait heurté une partie de la gauche.

Le Défenseur, qui a été consulté, a néanmoins le sentiment que certaines de ses recommandations ont été oubliées. Parmi celles-ci, il y a les conclusions de son rapport du 15 octobre sur les contrôles d’identité [3], mais aussi les nombreux avis rendus au fil des cas de manquement aux règles de la déontologie qui lui sont soumis.

Il revient ainsi sur le retour annoncé du matricule sur l’uniforme, qu’il souhaite voire inscrit dans le code. Le matricule pourrait être utilisé par la personne contrôlée en cas de contestation et doit donc être "visible et aisément mémorisable", rappelle-t-il. On craint, chez le Défenseur, que la mesure soit neutralisée par le choix de matricules trop longs ou trop complexes.

M. Baudis s’attarde également sur le cas de la "palpation de sécurité" lors des contrôles. Le code prévoit qu’elle est "réservée aux cas [que les policiers] jugent nécessaires à la garantie de leur sécurité ou de celle d’autrui". Pour la Place Beauvau, cela doit suffire à éviter les palpations "systématiques". Mais la définition est trop vague pour le Défenseur, qui demande "l’interdiction [...] en l’absence de raison laissant penser que la personne dissimule des objets prohibés et dangereux, et la limitation de cette mesure" aux interpellations et arrestations.

Le Défenseur rappelle au bon souvenir du ministre d’autres sujets sensibles. "L’interdiction de la confiscation ou de la destruction" des appareils photos ou caméras des gens qui enregistreraient une intervention, "sauf cas exceptionnels". Policiers et gendarmes estiment encore souvent qu’il est interdit de les filmer. Le Défenseur défend également, côté policiers, "le droit à la protection du fonctionnaire en cas de diffusion de clichés pris à son insu" mais "publiés en dehors de leur contexte, dénaturés ou présentés de manière infamante". Une réponse à la publication d’images de policiers sur des sites de type Copwatch.

Ensuite, le Défenseur veut introduire "un devoir de loyauté dans la rédaction des procès-verbaux", à la suite d’affaires mettant en cause la véracité des comptes-rendus policiers. Le Défenseur, autorité constitutionnelle indépendante, demande enfin que le code lui accorde toute sa place. Cantonné à une incise dans l’article "autres autorités de contrôle", M. Baudis estime que le texte "doit nécessairement tirer les conséquences de dispositions constitutionnelles, organiques et législatives confortant la fonction de contrôle externe" remplie par son institution.

Et si le ministre était tenté de s’asseoir sur ces points - qui peuvent susciter l’opposition des syndicats de policiers ou des gendarmes -, Dominique Baudis lui rappelle que la loi prévoit que "le Défenseur des droits peut recommander de procéder aux modifications législatives ou réglementaires qui lui apparaissent utiles".

Laurent Borredon


Notes

[1Signalons l’apparition d’un curieux « devoir de mémoire » : l’article 25 énonce en effet que « le policier [....] honore la mémoire de ceux qui ont péri dans l’exercice de missions de sécurité intérieure. » Imaginons le cas d’un policier qui serait mort au moment de la répression au métro Charonne, en février 1962...

[2Fédération autonome des syndicats de police.

[3Rapport du Défenseur des droits relatif aux relations police/citoyens et aux contrôles d’identité : http://www.defenseurdesdroits.fr/si....


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