les grandes lignes d’une réforme pénale à venir


article de la rubrique justice - police
date de publication : mercredi 4 septembre 2013
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Les grandes lignes de la réforme pénale viennent enfin d’être dévoilées par le gouvernement. La Ligue des droits de l’Homme se félicite d’un projet encore timide, mais qui semble "ouvrir la voie à des avancées notables".

Le Syndicat de la magistrature de son côté déplore que "le gouvernement n’ait pas réussi à trancher entre politique sécuritaire et politique d’individualisation de la peine".


Communiqué LDH

La réforme pénale en période de probation

Attendue depuis un an, la réforme pénale nécessitait grandeur de vue et pédagogie. Il est regrettable que le débat estival auquel elle a donné lieu ait été marqué par l’esprit polémique et politicien. La justice méritait mieux, particulièrement après les multiples lois sécuritaires sous la période Sarkozy.

Il faut donc se féliciter que les derniers arbitrages présidentiels semblent ouvrir la voie à des avancées notables, dont la création d’une peine de probation, déconnectée de l’emprisonnement, n’est pas la moindre. En effet, si cette sanction est mise en application de manière lisible et avec les moyens nécessaires, elle est susceptible de favoriser une rupture d’avec le tout-carcéral. Il convient de même de se féliciter de l’abrogation des peines planchers et de la révocation automatique des sursis simples, qui participent de cette même volonté.

La mise en place d’un examen automatique au deux tiers de la peine, afin de limiter les sorties sèches, constitue de même un progrès incontestable.

En attendant de prendre connaissance du futur projet de loi, il faut toutefois s’inquiéter du silence autour de grands enjeux tels que la disparition de la rétention de sûreté, ou encore de la réhabilitation du droit pénal des mineurs. Il est tout autant regrettable que la réforme n’envisage pas de transformer certains délits en contraventions, ou, allant plus loin, de dépénaliser certains comportements qui constituent plus de simples manquements à la discipline sociale que des hostilités déclarées à des valeurs sociales fondamentales.

Le débat parlementaire devra nourrir ce projet afin de lui donner la force et l’ambition essentielles à sa réussite. C’est ce à quoi la Ligue des droits de l’Homme invite les parlementaires, tout en pressant le gouvernement de ne pas attendre et d’inscrire au plus vite ce chantier à l’ordre du jour de la représentation nationale.

Paris, le 3 septembre 2013

Individualisation de la peine et lutte contre la récidive au coeur du projet de réforme pénale

par Simon Piel, Le Monde, le 31 août 2013] ]


Christiane Taubira peut afficher sa satisfaction. Si les arbitrages rendus par l’exécutif, vendredi 30 août, ont amendé certaines dispositions contenues dans le projet de loi de réforme pénale préparé à la chancellerie, les principes généraux – l’individualisation de la peine et la lutte contre la récidive – constituent toujours le coeur du texte.

Mise en place d’une "contrainte pénale" – Le président de la République a annoncé la création d’une "contrainte pénale". Un nouveau dispositif que la chancellerie avait d’abord baptisé "peine de probation", déjà en place dans plusieurs pays (Royaume-Uni, Suède, Canada), et dont l’idée est de proposer une réponse pénale alternative à l’incarcération.

La contrainte pénale, qui pourra être prononcée pour une durée d’un à cinq ans, concernera tous les délits pour lesquels la peine encourue est inférieure ou égale à cinq ans. Elle viendra s’ajouter aux nombreux dispositifs existants, comme le sursis avec mise à l’épreuve. Les modalités de ce programme individualisé pourront comporter des travaux d’intérêt général, assortis d’une obligation de suivi médical, d’un stage de sensibilisation ou de la réparation du préjudice causé. Sur le papier, la contrainte pénale vise à favoriser la réinsertion et diminuer ainsi le risque de récidive.

Les conseillers d’insertion et de probation seront chargés d’en établir les modalités et d’en assurer le suivi. Les juges d’application des peines pourront décider de modifier l’intensité de la contrainte en fonction de l’évolution de la situation. Ce dispositif n’est pas pour autant totalement déconnecté de la prison puisqu’en cas de non-respect de certaines obligations, le juge d’application des peines pourra décider d’une incarcération dont la durée ne pourra excéder la moitié de la durée de la contrainte pénale.

Se pose dès lors la question des moyens donnés à ce suivi qui se veut très individualisé. La ministre de la justice a annoncé un renforcement des effectifs au sein des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Trois cents conseillers supplémentaires en 2014 puis 150 en 2015 afin que chacun gère environ 60 dossiers contre plus de 100 aujourd’hui.

Suppression des peines planchers – Comme François Hollande en avait pris l’engagement pendant la campagne présidentielle, les peines planchers – une peine minimale imposée par la loi en cas de récidive – seront supprimées. Mme Taubira avait notamment soutenu lors des arbitrages que celles-ci avaient occasionné 4 000 années d’emprisonnement supplémentaires par an quand le taux de récidive de 56 % est resté inchangé depuis 2007. C’est donc la fin annoncée d’une mesure emblématique votée sous la majorité précédente. De même, a été actée la suppression de la révocation automatique du sursis simple.

Eviter les "sorties sèches" – Le gouvernement a par ailleurs insisté sur la nécessité de mettre fin aux "sorties sèches", c’est-à-dire sans suivi à l’extérieur, qui concernent 80 % des ex-détenus. Ainsi, la situation des condamnés à des peines inférieures ou égales à cinq ans sera obligatoirement examinée une fois les deux tiers de la peine effectuée. Mais si la chancellerie avait d’abord souhaité que cet examen se fasse "afin que soit prononcée une mesure de sortie encadrée", la dernière version du texte est différente. Elle prévoit la possibilité d’une "libération sous contrainte" (bracelets électroniques, placement extérieur...) mais aussi, au même titre que les autres mesures et non plus "à titre exceptionnel", le maintien en détention. Une plus grande liberté d’appréciation est donc laissée au juge. Un gage donné au ministère de l’intérieur qui avait émis des "réserves fortes" sur ce point.

Un aménagement restreint des peines – Revenant sur la loi pénitentiaire de 2009, le premier ministre a par ailleurs annoncé que la possibilité qui était donnée aux juges d’aménager les peines de moins de deux ans sera ramenée à un an pour les primo-délinquants et à six mois pour les récidivistes. "Une tache dans le projet de loi", selon le Syndicat de la magistrature (classé à gauche) pour qui "le gouvernement n’a pas réussi à trancher entre politique sécuritaire et politique d’individualisation de la peine". Pour sa part, l’Union syndicale des magistrats (majoritaire) s’est dite "globalement satisfait des arbitrages", se félicitant notamment que le caractère automatique, pour les peines planchers comme pour les aménagements de peine, n’ait pas été retenu.

Simon Piel


Communiqué du Syndicat de la magistrature

Réforme pénale : OUI, mais...

Les grandes lignes de la réforme pénale, tant de fois annoncée et tant de fois retardée, et objet de vives polémiques au cours de l’été, viennent d’être enfin d’être dévoilées par le gouvernement.

Ce texte devait marquer une rupture avec la désastreuse politique pénale menée ces dernières années, uniquement fondée sur l’enfermement sans considération pour la situation des condamnés, ni pour les intérêts de la société.

Il s’agissait pour la ministre de la justice, comme elle le rappelait dans son discours devant la commission des lois le 5 juillet 2012, d’abroger les peines planchers et la rétention de sûreté, conformément aux engagements du président de la République, d’affirmer « sans ambiguïté que la prison ne constituait pas la seule réponse » et de mettre en œuvre « une meilleure individualisation des peines ». Ou encore, selon un entretien donné au journal Le Monde le 19 septembre 2012, de faire comprendre aux citoyens que ce n’était pas « en multipliant les peines de prison » que leur sécurité allait être assurée, de pouvoir « débattre du sens de la peine, du fait que le tout-carcéral augmentait les risques de récidive ».

Bref, ce projet de loi devait illustrer un choix clair de ce gouvernement en faveur d’une politique pénale axée sur la fin de la frénésie carcérale, sur l’individualisation des peines et la réinsertion des condamnés, respectueuse des droits individuels et seule à même de protéger efficacement la société.

Et il en a certes pris le chemin : l’abrogation des peines planchers, contraires à tous les principes d’individualisation des sanctions, le rétablissement de la liberté comme principe, évidence largement mise à mal par l’ancienne majorité, et la place enfin donnée aux investigations sur la situation et la personnalité du condamné lors de l’audience correctionnelle pour choisir la peine la plus adaptée, constituent des avancées significatives.

La création d’une peine alternative à la prison - la contrainte pénale fondée sur un suivi individuel approfondi - ainsi que les dispositions favorisant l’aménagement des peines d’emprisonnement arrivant à leur terme pour éviter les « sorties sèches », sont aussi des mesures allant dans le bon sens, même si elles sont encore insuffisantes, tant il est impératif de reléguer la prison et son effet désocialisant au rang d’exception.

Mais la dynamique positive de ce texte sera fortement compromise si la réduction des possibilités d’aménagement ab initio des peines par le tribunal correctionnel et le juge d’application des peines, annoncée par le premier ministre à la suite des arbitrages, devait être mise en oeuvre. Réduire ces aménagements aux peines inférieures ou égales à un an (six mois en cas de récidive), et donc empêcher la prise en considération des situations personnelles des condamnés, c’est aller à l’encontre de l’individualisation des peines. C’est aussi augmenter le taux d’incarcération et la surpopulation carcérale pour marquer une fermeté prétendument dissuasive, sans se préoccuper de l’efficacité réelle de la sanction sur l’individu concerné, seule de nature à répondre aux objectifs du texte.

Cette disposition, manifestement inspirée par le ministre de l’intérieur, qui, dans le courrier adressé à François Hollande le 26 juillet 2013, appelait à une « exigence accrue de prévisibilité et de fermeté à l’égard des récidivistes », est totalement contraire à la philosophie de la réforme.

Et enfin, laisser dans notre arsenal répressif cette tache que constitue la rétention de sûreté - « dérive dangereuse » touchant les fondements même de notre justice, dénoncée notamment par l’ancien garde des Sceaux, Robert Badinter, lors de son introduction dans notre législation - pour complaire à ceux pour qui les valeurs démocratiques doivent s’effacer devant l’ordre sécuritaire, n’est pas acceptable.

Alors qu’il fallait sortir d’une idéologie sécuritaire, de la politique du « coup de menton », populisme pénal qui a démontré sa totale inefficacité, pour mettre en œuvre une politique réellement soucieuse des intérêts de tous fondée sur une répression juste et utile, le gouvernement reste au milieu du gué, et n’a finalement pas tranché. Il prétend mettre en place une politique centrée sur l’individualisation de la peine, mais restaure une politique dramatiquement restrictive sur les aménagements de peine et renonce à revenir sur la rétention de sûreté.

Ce texte est un premier pas salutaire, il faudra le compléter et surtout s’abstenir d’y inclure les scories sécuritaires issues de l’arbitrage qui vont à l’encontre de l’esprit du projet, pour que cette loi soit à la hauteur des ambitions affichées et réponde à l’urgence de prévenir l’implosion prochaine de notre système pénal.
Bien évidemment, l’ensemble de ces mesures devra s’accompagner des moyens humains nécessaires, pour que le suivi ne soit pas une coquille vide dont ses détracteurs auraient tôt-fait de critiquer l’échec.

Et il faudra surtout que le gouvernement démontre sa volonté en inscrivant rapidement ce texte à l’ordre du jour parlementaire afin qu’il ne soit pas qu’une pétition de principe.

Paris, le 2 septembre 2013


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