création dans l’Hérault d’un collectif “Non à l’éducation biométrique”


article de la rubrique Big Brother > biométrie
date de publication : jeudi 9 octobre 2008
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L’annonce de la mise en place dans les collèges de l’Hérault de bornes biométriques contrôlant l’accès à la cantine, à partir de la lecture du contour de la main des enfants, avait suscité une forte émotion parmi les parents. La Fcpe avait manifesté son inquiétude et rejeté un système qui «  habitue l’enfant à être contrôlé à l’aide d’une partie de son corps » [1]. Alerté, le Conseil général de l’Hérault devait décider d’arrêter le financement de ces installations [2].

La mobilisation a permis la constitution d’un collectif opposé à l’utilisation de la biométrie à l’école. Contact : nonaleducationbiometrique@gmail.com.

Ce qui s’est déroulé à Montpellier est exemplaire ! Souhaitons que cela se reproduise en de nombreux autres départements !

[Première mise en ligne le 31 août 2008, mis à jour le 9 octobre 2008]

Communiqué du collectif

Non à l’éducation biométrique

Le 3 octobre 2008

Nous, citoyens, parents d’élèves, organisations signataires de ce texte, dénonçons la mise en place de bornes biométriques dans certains établissements scolaires de l’Hérault où des machines destinées à reconnaître le contour de la main conditionnent l’accès des enfants aux cantines scolaires.

En dépossédant les enfants de l’usage de leur nom patronymique, cette technique réduit dangereusement l’identité de chacun à un simple code basé sur l’enregistrement d’une particularité physique.

Par ailleurs, nous nous interrogeons sur l’utilité de ces bornes pour le bien-être des élèves et sur leur place dans le projet pédagogique.

L’argument de la sécurité, de l’efficacité, mis en avant par les établissements, ne nous semble pas évident, bien au contraire.

Nos craintes sont décuplées par les liens éventuels de ces fichiers biométriques avec les autres fichiers utilisés dans l’Éducation nationale (Base-élèves pour le primaire, Sconet pour le secondaire), de même qu’avec les autres outils dits de surveillance, telles les caméras de vidéo. Les entreprises commercialisant les logiciels biométriques argumentent d’ailleurs sur la possibilité de croiser les fichiers de présence, de notes et de comportement avec celui de la cantine. Dans le cadre de la loi de prévention de la délinquance, ces données détenues par l’éducation nationale peuvent être partagées, entre autres, avec les services de police, les collectivités territoriales (mairies, conseil généraux), les organismes publics ou para-publics (CAF, bailleurs sociaux).

De plus, l’annonce récente du fichage des enfants de plus de 13 ans via le fichier Edvige 2ème version montre bien qu’une politique globale de fichage de la population est en cours, dans la continuité du fichier de police STIC dans lequel 25 millions de français sont enregistrés.

Pour nous l’éducation doit permettre l’épanouissement des enfants, dans le respect de leur intégrité physique et morale. L’école a pour mission d’éduquer à l’exercice de la liberté et non pas d’habituer les enfants à un contrôle social permanent. Les rapports humains, qui sont le propre d’une vie en société n’ont pas à être subordonnés au rapport à la machine.

Nous nous sommes donc réunis en collectif pour dénoncer et combattre l’installation de bornes biométriques dans les communautés éducatives.

Nous appelons les familles partout où les bornes biométriques ont été installées à refuser que leurs enfants utilisent ce genre de dispositif et qu’un système de remplacement soit mis en place, comme le prévoit la déclaration unique de la CNIL n° AU-009 d’avril 2006.

Vous invitons toutes les personnes préoccupées par ces questions-là à prendre contact avec le collectif qui apporte son soutien aux diverses initiatives de refus déjà en cours.

Organisations membres du collectif :

Attac Cœur d’Hérault, CGA (Coordination des Groupes Anarchistes), CGT-SGPEN, CNT Éducation Santé-social 34, CUAL Montpellier, FCPE 34, FSU, Groupe Décroissance de Montpellier, LCR, LDH (Ligue des Droits de l’Homme et du citoyen), le MAI, SAF (Syndicat des Avocats de France), SM (Syndicat de la Magistrature), SUD-Education 34, UD CGT 34

Un exemple de boitier à « tétons-capteurs ».
[Mis en ligne le 31 août 2008]

En réalité cette automatisation de la gestion des cantines existait déjà
avec les badges, et autres cartes numériques d’accès mais avec la biométrie on ira plus loin : le contrôle d’accès permettra de répercuter en temps réel les absences, retards, ce qui permettra d’alimenter un fichier comportemental de l’enfant et des familles.

Ces nouveaux fichiers rejoindront rapidement les préoccupations de la loi de prévention de la délinquance qui a basé sur l’absentéisme et le partage d’informations nominatives des familles le cœur du contrôle social, assuré dorénavant par les maires et les conseils généraux par le biais des contrats parentaux d’éducation.

Avec ces politiques et stratégies, un nouveau modèle éducatif se met en place où l’on se dispense de s’interroger sur la responsabilisation de nos enfants, sur la nécessité de recruter ( ou de garder) des personnels humains pour accompagner l’enfant, sur la différenciation des élèves en fonction de critères jusqu’à lors inconnus dans notre République (comptes cantines approvisionnés, ressources des parents etc), sur le fichage depuis l’enfance.

Cette évolution peut encore être stoppée, il y faut une volonté politique
qui assure pleinement que l’éducation est une éducation à la citoyenneté, à la responsabilité. Il s’agit de former des individus capables de participer au fonctionnement démocratique et non de formatage de consommateurs de plus en plus dociles.

La Commission Nationale Informatique et Libertés impose un accord express des parents pour que ce système s’impose, il est temps de les faire réagir et de refuser cette fausse modernité.

Le Conseil Général doit aussi expliciter ses choix en matière d’aide
éducative dans les collèges, il est temps de l’interpeller..

Un collectif va se mettre en place dans l’Hérault pour fédérer toutes nos
forces syndicales, associatives, militantes pour éviter que nos collèges
ressemblent à des sites industriels soumis au secret défense et au contrôle généralisé.

La FCPE vous invite à la première réunion pour créer ce collectif et
déterminer les actions que nous devons mener — la LDH a déjà donné son accord.

La biométrie au collège, l’éducation à la surveillance du citoyen

par Gilles Sainati
membre du Conseil national du Syndicat de la magistrature
[Mis en ligne le 31 août 2008]

En 2004, les industriels de micro-électronique (Gixel) publiaient leur Livre Bleu conseillant au gouvernement de faire accepter la biométrie par le conditionnement des plus jeunes et prescrivant une « éducation dès l’école maternelle ». On y lisait que pour « placer l’Europe au top niveau mondial en sécurité des personnes, des biens, sécurité de l’État et des frontières, protection contre le terrorisme », et parce que « la sécurité est très souvent vécue dans nos sociétés démocratiques comme une atteinte aux libertés individuelles, il faut faire accepter par la population les technologies utilisées et parmi celles-ci la biométrie, la vidéosurveillance et les contrôles. Plusieurs méthodes devront être développées par les pouvoirs publics et les industriels pour faire accepter la biométrie. Elles devront être accompagnées d’un effort de convivialité par une reconnaissance de la personne et par l’apport de fonctionnalités attrayantes ... l’éducation dès l’école maternelle, pour [que] les enfants utilisent cette technologie pour rentrer dans l’école, en sortir, déjeuner à la cantine, et les parents ou leurs représentants s’identifieront pour aller chercher les enfants. » [3]

Cet écrit, fugitif, puisqu’il ne fut pas repris dans les éditions postérieures du GIXEL, en dit long sur la stratégie économique et le modèle de société que nous propose l’utilisation de ces nouvelles technologies et des appétits économiques qui y sont associés.

La biométrie est l’une des dernières techniques d’identification personnelle par utilisation de la comparaison des empreintes dactyloscopiques [digitales] ou du contour de la main et ne peut pas être dissociée de l’histoire de cette technologie et de son idéologie panoptique. Le corps devient un critère de gestion de la population. Dès 1871 Quételet fait paraître un ouvrage Anthropométrie ou mesure des différentes facultés de l’homme où il classifie les différentes morphologies de l’individu permettant son identification. Cette nouvelle technique naît d’ailleurs dans un contexte politique précis qui au cours des années 1830 voit naître diverses idéologies comme celle de Lombroso et de Gall qui en matière de criminologie estime pouvoir déterminer le criminel né à la forme de son crane... ou bien Emile de Girardin, qui en 1836, envisage « que chaque citoyen s’acquitte de ses obligations en créant dès sa naissance un livret figurant l’intégralité de son identification (police d’assurance, identité, livret de famille,...) ». La recherche est celle de la création d’une norme au delà de laquelle l’individu sera considéré comme un potentiel suspect... En1882 Bertillon crée un système d’identification en utilisant et systématisant la pratique du portrait de face et de profil. Il va profiter de la vague de répression qui suivit la commune de Paris ( 1871) pour constituer une énorme base documentaire de portraits des prisonniers, alors que cette pratique était prohibée avant ces évènements car « elle constituait pour les détenus une aggravation de la peine non prévue par la loi et un moyen de plus d’empêcher un retour au bien ». Mais il fallait bien mettre en fiche les dangereux révolutionnaires !... Le bertillonage va être popularisé dans toutes les polices de l’époque et sert encore maintenant... Il est bientôt concurrencé puis complété par les empreintes dactyloscopiques... En Europe cette technique d’identification restera l’apanage des polices judiciaires et de fichiers de délinquants, mais, à partir des années 1920 le Brésil, le Chili, l’Uruguay, la Bolivie, le Paraguay, le Pérou généraliseront cette technique à l’ensemble de tous les citoyens, « pour préserver leur droit à l’identité face à l’immigrant venu d’Europe, cohorte de bandits de grand chemin débarquant sur les plages les plus libres de la belle Amérique »... [4]

Si la biométrie emprunte un peu des deux techniques, catégorisant les individus par le contour de la main, elle peut être complétée par les empreintes dactyloscopiques ou les caractéristiques de l’iris de l’oeil... L’essentiel est que les usagers acceptent ce contrôle pour qu’ensuite la technologie évolue.

Dans les collèges, la biométrie nous est présentée sous sa forme de contrôle du contour de la main sous divers aspects pratiques : il faut faciliter la vie des collégiens qui perdent souvent des cartes de cantine, améliorer la prévision du nombre d’élèves qui restent à la cantine chaque jour, etc.... Autant de prétextes technocratiques qui ne tiennent pas longtemps lorsque l’on conçoit que l’école doit être la voie vers la citoyenneté et la responsabilité qui implique que l’élève soit responsable de ses actes et aussi de ses affaires personnelles y compris ces cartes de cantine... Quant à la gestion de la cantine, autant dire que la mensualisation de l’abonnement de cantine enlève tout argument.

Alors quoi, ce ne serait qu’un simple gadget dans la perspective de l’extension d’un marché de la surveillance que les professionnels espèrent juteux ?

Pas seulement car lorsque l’on observe la mise en place graduelle de la loi sur la prévention de la délinquance qui fait de l’absentéisme scolaire l’un des critères de saisine du Maire et du Conseil Général puis de la suspension des allocations familiales. L’on voit que la biométrie sera un vecteur puissant d’information en temps réel de ces autorités pour la mise en place de contrats parentaux d’éducation... Que restera t-il à l’éducatif, à l’intervention sociale dans les cas de crise adolescente ou simplement de précarité des parents...?.

Ce risque réel tente d’être encadré par le CNIL (Commission Nationale Informatique et Libertés), qui pour une fois devance les stratégies commerciales des entreprises de sécurité. Dans son avis du 8/12/2007 la Cnil rappelle qu’au terme de la loi informatique et libertés de 2004, elle dispose d’un pouvoir d’autorisation expresse des dispositifs biométriques. Elle a souhaité préciser, dans un guide rendu public les principaux critères sur lesquels elle se fonde pour autoriser ou refuser le recours à des dispositifs reposant sur la reconnaissance des empreintes digitales avec un stockage sur un terminal de lecture-comparaison ou sur un serveur. L’utilisation de cette technologie doit rester exceptionnelle. En 2007, sur 602 traitements biométriques examinés par la Commission, 53 reposaient sur la reconnaissance des empreintes digitales avec enregistrement de celles-ci dans une base de données : 21 ont été refusés, 32 autorisés (les 549 autres traitements concernaient essentiellement des systèmes de reconnaissance du contour de la main). Plus d’une centaine de dossiers sont toujours en cours d’instruction. Toutefois, par avis du 27 avril 2006, la CNIL validait la simplification de déclaration de fichier biométrique par contour de la main. C’est dire que le projet dans le département de l’Hérault concernant la gestion des cantines scolaires va se généraliser et affiner sa mise en oeuvre. [5]

L’éducation républicaine ne mérite t-elle pas mieux ? En tout cas il faut relire de toute urgence Michel Foucault, à la lumière de son explication de la société contemporaine devenant une gestion biopolitique de la masse humaine, l’individu n’est plus un sujet mais fait partie d’une masse à gérer... [6]

Gilles Sainati

P.-S.

Voir également cette page.

Notes

[4Armand Mattelard, La globalisation de la surveillance. Aux origines de l’ordre sécuritaire, éd. La découverte, septembre 2007.

[6Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, Gallimard / Seuil Paris 2004.


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