Gilles Sainati : les affaissements de l’État de droit


article de la rubrique démocratie > sur le blog de Gilles Sainati
date de publication : mardi 26 mars 2013
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Le 25 mars 2013

Le fait que Jean-François Copé, le président de l’UMP, ne trouve rien à redire aux propos d’Henri Guaino qui a accusé le juge Gentil de « déshonorer la justice » après la mise en examen de Nicolas Sarkozy dans l’affaire Bettencourt, ne doit pas surprendre. En dehors de la péripétie de l’ex-président, cette volonté de fouler, par la force, les symboles de l’Etat de droit est une caractéristique de l’ADN sarkozyste, empruntant en cela au vieux mythe bonapartiste ...

Mais cette attitude n’est pas réservée à cette partie de l’échiquier politique. Depuis les années 1990 et les affaires politico-financières (URBA), il est de bon ton de « casser du juge ». Chaque affaire voit ressortir les figures imposées du juge rouge (ici le juge militant), du complot des juges (?), de la République des juges ...

C’est que dans ce régime césaro-bonapartiste de la Ve République il n’est laissé qu’une faible importance à la notion d’Etat de droit : le droit c’est surtout celui de l’exécutif fût-il déchu. La conception de la justice sous ce régime est simple : non reconnaissance d’un pouvoir judiciaire, atomisation des justices administrative, judiciaire et financière, lent grignotage des prérogatives des magistrats du siège au profit des procureurs estimés plus malléables et en tout cas non indépendants de l‘exécutif selon les critères internationaux ...

Mais cette situation ainsi décrite n’épuise pas l’examen de ces délabrements de l’État de droit ressentis par une si large majorité de Français, même s’ils s’originent dans la référence avouée de la Ve République mélangée du mythe napoléonien.

Qu’est-ce que l’Etat de droit ?

Une définition assez simple est donnée sur Wikipédia (http://fr.wikipedia.org/wiki/État_...). Ce serait une situation juridique dans laquelle toute personne a des droits mais aussi des devoirs, et se trouve par sa volonté à "avoir des droits" à se soumettre au respect du droit, du simple individu et surtout la puissance publique. Il est très étroitement lié au respect de la hiérarchie des normes, de la séparation des pouvoirs et des droits fondamentaux.

Mais nous pouvons déjà constater que chacun de ces termes fait l’objet de profondes déviations dans notre pays.

  • Pour la séparation des pouvoirs , de manière assez surprenante, revient souvent l’idée que les juges devraient être « la bouche de la loi » selon l’expression de Montesquieu dans son traité De l’Esprit des Lois. Là s’arrête souvent l’analyse, et comme la loi et les attributions du parlement sont continuellement amoindris par l‘exécutif il en ressort une mécanique impeccablement huilée : les juges tirent leur légitimité de l’exécutif. La constitution prévoit d’ailleurs que le Président de la République est garant de l’indépendance de la justice. Dans cette conception, le juge Gentil a mordu la main de celui qui l’a nourri d’où la phrase lourde de menaces que prononce Nicolas Sarkozy au juge lors de la sa mise en examen : « je n’en resterai pas là ».
  • Le respect des droits fondamentaux c’est à dire la mise en application au quotidien des principes et règles de la Déclaration des droits de l’homme. Il y aurait fort à dire. Disons que notre État est plutôt enclin à considérer les citoyens comme des administrés voire comme des matricules ...
  • La hiérarchie des normes, certes, mais figurent au sommet de notre pyramide de normes des traités européens qui prônent fort peu la démocratie, et fonctionnent à coup d’autorité avec un parlement européen qui n’a, pour le moment, que peu de pouvoirs.

Un État de droit républicain

Mais non seulement l’État et le citoyen devraient respecter le droit mais encore œuvrer au bien commun, à la chose publique !

En République, la somme des intérêts particuliers ne correspond pas à l‘intérêt général. Or, ce sens de l’intérêt général est souvent très éloigné des pratiques. 20 ans d’argent roi et de course au profits rapides ont démocratisé la corruption. Parfois même, c’est l’élu local qui ne sait pas faire la différence entre son intérêt personnel et l’intérêt de sa commune...On parle dès lors de prise illégale d’intérêt, infraction qui est prévue à l‘article 432-12 du code pénal : « le fait pour une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir et conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge de la surveillance, de l’administration, de la liquidation ou du paiement ».

D’autres infractions existent pour couvrir tout ce spectre de cette patrimonialisation du pouvoir et des charges électives.

Evidemment la décentralisation et son clientélisme associé et le démantèlement des organes de contrôle (Chambre régionales des Comptes) aboutissent à une généralisation de ces diverses corruptions. Si bien d’ailleurs qu’à l’approche des municipales, il serait judicieux que les électeurs s’emparent de leur pouvoir d’expression pour mettre en place un audit citoyen et républicain dans chaque commune.

Car ce n’est pas le moindre paradoxe, une pluie de sondages nous tombe dessus pour nous dire que la mise en examen de Nicolas Sarkozy le rendrait encore plus populaire. Dans le Monde.fr, Gaël Sliman, de l’institut BVA, nous explique ces résultats notamment par "le cynisme des Français, qui considèrent de toute façon que leurs hommes politiques sont corrompus. Du coup, on peut très bien rester populaire après une affaire".

Ce qui est malheureusement exact : en France les politiques mis en examen et condamnés ont la plupart été réélus ... Mais ce cynisme est-il encore de rigueur en pleine crise économique et sociale ? La France est le pays de l’Égalité et la crise de confiance qui s’empare du pays n’est pas de bon augure. L’histoire se répète.

La réponse est sûrement dans un changement constitutionnel pour revivre notre devise Liberté, Egalité, Fraternité : Vive la VIe République ... Le travail est immense.

Gilles Sainati



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