Gilles Sainati : le démantèlement d’une justice démocratique se poursuit


article de la rubrique démocratie > sur le blog de Gilles Sainati
date de publication : vendredi 22 juillet 2011
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Les réformes sarkozystes dans le domaine de la Justice sous le regard d’un magistrat : ce n’est pas la Russie soviétique mais tout est prêt pour un régime à la hongroise.


France été 2011, le démantèlement d’une justice démocratique se poursuit

Il sera utile de revenir en profondeur sur le rapport de la Cour des comptes publié en juillet 2011, qui inflige un diagnostic sans fard à notre premier flic de France, devenu Président de la République. Ce rapport argumenté non seulement confirme les craintes que l’on peut exprimer depuis au moins 2002 : la politique mise en oeuvre est un fiasco total, mais surtout ce rapport anéantit l’organigramme savamment dosé par Nicolas Sarkozy en matière de recherches et d’études des phénomènes de délinquance. Il est vrai que fondre toute la recherche en ce domaine sous un pôle unique sous la férule du ministère de l’intérieur, cela fait penser plutôt à une organisation de type soviétique avec sa nomenklatura : les expert auto-proclamés qui nous bassinent sur TF1 et consorts depuis au moins dix ans sur les chiffres de l’insécurité ...

Mais ce serait avoir le triomphe facile, alors que sous les divers coups de boutoirs législatifs et bricolages de dernière minute la Justice continue de se décomposer totalement tant à la fois au niveau des notions fondamentales que dans la pratique quotidienne.

Une Justice quotidienne vouée à l’archipel du Goulag

Ce sous titre peut paraître fort, nous ne sommes pas en Russie soviétique me direz vous. !!!

Lorsque l’on reprend un extrait de présentation de L’Archipel du Goulag, qu’y lit-on ? par exemple sur Wikipedia : " Les récits détaillés de L’Archipel du Goulag évoquent les incarcérations des “ennemis du peuple”, des prostituées, des criminels, de simples citoyens raflés pour répandre la terreur et l’obéissance aveugle devant le nouveau pouvoir. Soljenitsyne décrit des procès bâclés et joués d’avance, le transport des prisonniers ..."

Cela s’appelle en France : loi sur la sécurité quotidienne, sécurité intérieure, pénalisation des catégories les plus précaires de la population, etc ...

Le Rapport Ciotti nous explique qu’il faudrait créer encore 20 000 places de prison et va même jusqu’à proposer "des structures pénitentiaires légères, en utilisant d’anciennes emprises militaires, en louant des immeubles privés, en utilisant des structures modulaires légères ".

La prison est devenu l’avenir ...

Dans la Russie, cette situation s’expliquait aussi par une totale disparition de toute autonomie judiciaire, ne parlons pas de pouvoir judiciaire ... Le juge le plus courageux (ou suicidaire ) ne pouvait effectuer un contrôle réel sur les procédures qui lui étaient soumises ...

Depuis cet été, en France l’on fera mieux, l’on supprime tout contrôle par les juges du siège du contentieux pénal par le biais de ce que les technocrates nomment la troisième voie (procédurale) : Composition pénale, Reconnaissance Préalable de Culpabilité ... C’est globalement le procureur qui poursuit et juge et établit un barème pénal automatique. Cette procédure est abusivement appelée “le plaider coupable à la française”. !!!

Mais mieux encore : un loi dénommée “répartition des contentieux et allégement de certaines procédures juridictionnelles” aboutit ni plus ni moins à transférer au moins 80 % du contentieux pénal vers des procédures non contradictoires :

  • L’ordonnance pénale. Il est ainsi précisé : "Le procureur de la République peut décider de recourir à la procédure simplifiée de l’ordonnance pénale pour les délits mentionnés au II lorsqu’il résulte de l’enquête de police judiciaire que les faits reprochés au prévenu sont simples et établis, que les renseignements concernant la personnalité de celui-ci, et notamment ses charges et ses ressources, sont suffisants pour permettre la détermination de la peine, qu’il n’apparaît pas nécessaire, compte tenu de la faible gravité des faits, de prononcer une peine d’emprisonnement ou une peine d’amende d’un montant supérieur à celui fixé par l’article 495-1 du code de procédure pénale". Il s’agit de traiter la quasi totalité des affaires qui ressortent actuellement d’une audience correctionnelle à juge unique ...
  • La comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité est dorénavant généralisée et pourra même intervenir à la suite du traitement de l’affaire par un juge d’instruction ... Seules échapperont à cette procédure, les violences volontaires, menaces agressions sexuelles, les délits en matière de presse ou commis par les mineurs, les homicides involontaires ...

Il n’y a donc plus de contrôle du juge du siège (ni de débat contradictoire avec l’avocat) ... Et pour les procédures qui auraient échappées à ce nouvel ordre pénal, il est conseillé aux juges d’opérer par visio-conférence ... Le délinquant reste en prison c’est plus simple, il est entendu de loin en loin, figure cryptée et impersonnelle de la culpabilité ...

Les pauvres n’ont qu’à bien se tenir ... Ils passeront à la moulinette, et puis ces condamnations seront inscrits comme premier terme pour l’application des peines planchers ... Ah l’automaticité c’est beau !!!

Quant aux mineurs, les dispositifs pénaux des majeurs leurs sont appliqués. et les tribunaux pour enfants sont supprimés au profit de tribunaux correctionnels !!!

Des juges du siège transformés en alibi

Il a été exposé les dangers de cette loi intitulée “droits et protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de prise en charge [1]. Ce texte est dorénavant applicable au 1er août 2011 et tous les patients en psychiatrie pour des séjours de plus de 15 jours devront être présentés devant le juge des libertés et de la détention, ce dans un délai préfixe de 15 jours. Ce juge (dont on n’a pas accru le nombre évidemment) devra statuer au vu de trois certificats médicaux de psychiatres ... A-t-il la qualité pour contester ces certificats médicaux ? Il devra se débrouiller sans pouvoir d’ailleurs en pratique ordonner une expertise. Certains juges ne verront même pas le patient en face à face mais derrière un écran numérique ... Ce sera donc un contrôle formel qui sera organisé, alors que la loi prévoit, entre autre, la généralisation des soins psychiatriques sans consentement.

Enfin le vote de la loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et la justice des mineurs vient clôturer cette défiance vis du professionnel et du juge : deux citoyens en plus dans ce qui restera d’audience correctionnelle et lors de l’audience du Tribunal de l’Application des Peines, création d’une petite Cour d’Assises avec non pas 9 citoyens jurés mais plus que deux citoyens en service civique ...

Certes les juges professionnels resteront majoritaires mais pourquoi alors cette réforme votée en urgence absolue ?

La victoire du bon vouloir du prince

Les possibilités de choix procéduraux d’un parquet hiérarchiquement dépendant de l’Exécutif deviennent énormes. Suivant le choix de la qualification pénale, l’oubli ou pas de certaines circonstances aggravantes il pourra choisir pour des mêmes faits :

- l’ordonnance pénale
- la composition pénale
- la Reconnaissance Préalable de culpabilité
- la correctionnelle soit sur citation directe soit sur comparution immédiate ( anciens flagrants délits)
- la petite Cour d’Assise
- la grande Cour d’Assise

Bref cette multiplication procédurale est non seulement illisible mais ouvre tout droit sur l’arbitraire, qu’il soit politique ou ressorte d’un pouvoir élu qui aurait décidé de mener une politique ouvertement discriminatoire ...

Il faudrait encore parler des réformes structurelles de l’Etat en cours sous la pression de la RGPP qui via l’implantation d’un système informatique (Chorus) vont modifier toute la structure organisationnelle des tribunaux et les fondre dans 9 plate-formes inter-directionnelles où seront mélangés les engagement budgétaires des juridictions avec ceux de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (ce qu’il en reste) et de la pénitentiaire. Cette réorganisation supprimera l’autonomie de la majorité des Cours d’Appel, rigidifiant la structure hiérarchique au profit de la Chancellerie. Les pouvoirs de l’exécutif pourraient s’étendre demain sur la dotation budgétaire d’un tribunal en matière de frais de justice ... ce qui signera la fin de l’indépendance judiciaire en terme de choix des investigations ... (On oblige à l’abandon des investigations trop chères au pénal, supprime les enquêtes sociales au civil etc ... Tout cela sous prétexte d’économies.)

La justice, de plus en plus attribut du pouvoir exécutif, devient le royaume des procédures expéditives ... Ce n’est pas la Russie soviétique mais tout est prêt pour un régime à la hongroise ...

Le 19 juillet 2011

Gilles Sainati


P.-S.

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