Gilles Sainati : pour la reconquête des libertés


article de la rubrique démocratie > sur le blog de Gilles Sainati
date de publication : dimanche 5 juin 2011
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Des actions et des mots pour la reconquête des libertés

La guerre, c’est le maintien de la paix. L’exécution sommaire, c’est la justice. La concurrence libre et non faussée, c’est la vie. La presse, c’est la vérité. La répression, c’est la liberté. La précarité, c’est l’aventure. Le contrôle, c’est la libre circulation. La libre circulation des hommes, c’est celle des capitaux. Le droit à l’oubli, c’est le fichage... Notre démocratie meurt de ces manipulations du discours et de la réalité.

Et l’on pourrait continuer : Facebook, c’est l’amitié. Le nucléaire, c’est la protection de l’environnement. La liberté, c’est un pacte d’actionnaire. La vidéo surveillance, c’est la protection. L’égalité, c’est l’égalité des chances... Le chômage, c’est de la fraude.

Cette novlangue et les manipulations sémantiques ressortent d’un projet idéologique clair.

L’assaut contre le temps de cerveau disponible est devenu une méthode de gouvernement et un projet de société identique à celui que décrivait Georges Orwell dans son roman 1984 (publié en 1949) se met en place.

Comme le disait Orwell « Cette simplification lexicale et syntaxique de la langue est destinée à rendre impossible l’expression des idées subversives et à éviter toute formulation de critique (et même la seule « idée » de critique) de l’Etat et du gouvernement... » Bref à changer la vie.

Nous en sommes là... Le projet du gouvernement et de certains syndicats droitiers de la police est de faire de la sécurité un principe constitutionnel et tordant complètement le sens de la notion de sûreté issue des Déclarations des droits de 1789 et 1793. Le citoyen n’a plus le droit de revendiquer une sûreté pour lui même contre l’arbitraire de l’Etat, du gouvernement ou/et de son voisin. Le droit à la sécurité n’est plus un attribut du citoyen, celui-ci est devenu suspect et c’est l’Etat et le gouvernement qui produiront la sécurité et gare à ceux qui ne respectent pas les nouvelles dispositions de contrôle et de sanction dont le développement s’accélère à chaque fait-divers.

Le site OWNI recense 42 lois sécuritaires depuis 2002 avec une accélération à partir de 2007...

Le but est que la liberté se conforme à l’ordre ultra-libéral et capitaliste. A ce sujet la méthode du gouvernement est radicale, il s’agit non seulement avec les médias dominants de dé-structurer le sens commun et d’instaurer une police de la pensée mais aussi de marquer dans les chairs ce nouvel ordre dont il y a peu on disait qu’il correspondrait à la fin de l’histoire...

Bien sûr, l’imitation du Patriot Act juste après 2001 et la généralisation de ses procédures dérogatoires de l’Etat de droit dans tous les pays du monde s’est traduit en France par divers textes liberticides : citons chronologiquement les lois sécurité quotidienne, sécurité intérieure qui pénalisent la mendicité, le racolage passif, les rassemblements dans les halls d’immeuble etc... , la loi Perben II qui généralise l’utilisation de la notion de bande organisée avec des pouvoirs exorbitants de police en matière d’écoutes de surveillance du net, de perquisition de nuit ou de sonorisation... Cette tendance se poursuivra avec la loi sur les peines planchers... etc.

Il est vrai que cette tendance sécuritaire avait bien commencé à gauche aussi avec le colloque de Villepinte du PS du 24 et 25/10/1999 (cf par exemple : http://www.liberation.fr/politiques...).

L’avenir allait dépasser ces apprentis de l’opportunisme pour un résultat chaotique et maintenant préoccupant.
Mais cet Etat Pénal revendiqué qui rogne continuellement sur les libertés publiques et individuelles va s’attaquer au cœur du dispositif de la République sociale. Les travailleurs sociaux vont devoir partager leur secret professionnel avec les policiers, les maires vont être conviés a prononcer des sanctions pénales, le statut des milices privés et vigiles en tout genre est étendu.

Tout dispositif social devient exclusivement un dispositif de contrôle : ANPE, administration communale, éducation nationale dont le contrôle de l’absentéisme scolaire aura pour fonction essentielle de suspendre les allocations familiales, etc... On braque l’instrument pénal sur les plus faibles, les précaires, les jeunes, les étrangers, les fous... Une psychiatrie policée apparaît.

Le coeur de cette nouvelle doxa est la loi prévention de la délinquance de 2006 qui en soi expose ce projet réactionnaire de société.

A partir du milieu des années 2000-2010, le déterminisme social devient la règle, le comportementalisme est promu au rang d’un mode de résolutions des conflits... Ainsi sortira le rapport de l’INSERM en 2005 qui propose de dépister, dès la grossesse, les signes avant-coureurs de risques de "troubles de conduites" des enfants, définis comme "troubles oppositionnels avec provocation", et autres "atteintes aux droits d’autrui et aux normes sociales". Les futurs délinquants sont des foetus, il faut les prendre en charge sans désemparer... Les divers rapports Benisti vont accompagner le mouvement.

Si les jeunes sont à surveiller, tous les étrangers aussi ; et les malades psychiatriques aussi qui ne devront jamais plus quitter leur camisole chimique... Les peines deviennent des mesures de sûreté sans délai de fin de peine...

A chaque fois les opposants à ces dispositifs dans les différents secteurs penseront que c’est un malentendu, que le pouvoir va reculer... Il n’en est rien car c’est un projet global de société de contrôle qui est à l’oeuvre. Ce projet est clairement relayé par la mise en place d’un réseau de fichiers de population (Stic, Fnaeg). Il faut surveiller, croiser les fichiers sociaux, pénaux, faire émerger dans la population un sentiment de crainte et une culture de soumission face à un arbitraire de l’Etat et de sa police...

La protection de la CNIL a fait long feu, aujourd’hui l’offensive de ce contrôle touche l’Internet sous prétexte de régulation. La loi LOPPSI II et plus encore le décret du 1° mars 2011 obligent désormais les fournisseurs de services sur Internet à conserver pendant un an mot de passe, traces d’achats ou commentaires laissés sur le web par les internautes. La police pourra y avoir accès lors d’enquêtes, ainsi que le fisc ou l’URSSAF et de fait à toutes les informations confidentielles : la correspondance privée n’existe plus. Le forum eG8 qui s’est tenu fin mai est caractéristique de la méthode : allier le développement du commerce et le contrôle et l’interdiction sous prétexte de lutte contre la pédophilie ou de respect des droits d’auteur (loi Hadopi).

La mise en place d’un Schengen virtuel pour le net va définitivement clore la liberté du net dans l’espace européen avec des listes de sites censurés à priori.

Aussi revenir sur ces processus mortifères et reconquérir cette liberté individuelle et publique suppose non seulement du courage politique mais la mise en perspective que cette liberté individuelle et publique est l’un axe essentiel du projet de révolution citoyenne qui peut s’articuler autour de ces points en matière pénale :

  • L’abrogation pure et simple de textes portant atteinte aux principes constitutionnels et /ou dégagés par la Cour européenne des droits de l’homme, notamment en cas de disproportion entre les peines encourues et les faits commis.
  • Un balayage législatif pour supprimer toutes les infractions inusitées ou désuètes qui, par leur existence même pouvant à tout moment être ravivée, contribuent à instiller de l’arbitraire dans les poursuites pénales.
  • La dépénalisation d’infractions qui seront avantageusement remplacées par des dispositifs sociaux et /ou médicaux ou l’application de règles de droit civil, social ou administratif : usage de stupéfiants, séjour irrégulier d’étranger, par exemple.
  • L’arrêt des poursuites pénales à l’initiative du seul ministère public, voire des alternatives aux poursuites, pour des faits ou des comportements courants (même si désagréables... ) de la vie en société (injures, tapage... ).
    Bref il faut restaurer dans le Code pénal une vraie échelle progressive des valeurs qui protège le citoyen mais lui restitue sa liberté. Ceci passe l’inversion des choix actuels en matière de pénalité, le droit doit servir le citoyen, non l’asservir.

Dans ce sens, il fut aussi lutter et s’affranchir de la loi des marchés financiers et spéculatifs, cela suppose bien évidemment de pénaliser cette délinquance que l’on dit invisible c’est à dire financière afin d’assainir la vie des affaires (la corruption, le trafic d’influence )...

Le 29 mai 2011

gilles sainati



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