portrait d’un arrogant


article de la rubrique démocratie > Sarkozy le manipulateur
date de publication : lundi 2 juin 2008
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Sarkozy à Toulon, le 11 mars 2008 (D.R.)

Imaginez un pays dont l’un de ses concitoyens, affamé de pouvoir dès son plus jeune âge, décida qu’il en serait le dirigeant suprême.

Réfléchissez au parcours de cet homme, dévoré par cette ambition unique, dont tous les actes, à chaque instant de sa vie, seront guidés par cette seule perspective. Très vite se développera en lui une attitude présomptueuse qui fera place au mépris de tous sauf de lui-même. Au fil du temps et de sa réussite, il ne pourra plus discuter avec quiconque, il refusera de déléguer la moindre part de son pouvoir, quel qu’il soit. Ses raisonnements auront peu à peu le parfum pervers de la fausse évidence. Il dira être un homme de bon sens, dont Vauvenargues dit, à juste raison, qu’il « n’exige pas un jugement bien profond ». Il apprendra à flatter les sentiments et les réactions des « masses populaires », ayant observé le maniement de la dialectique. Il ne négligera pas la contradiction assuré ainsi avoir, en toutes circonstances, toujours raison. Il fréquentera les milieux les plus aisés, car c’est là où il se sentira le plus à l’aise, ayant un goût prononcé pour le luxe et une fascination certaine pour l’argent. Il s’intégrera ainsi au cœur de ce que les gens de son bord considèrent comme « la classe dirigeante ».

Muni de tout cet arsenal, il réussira sans trop de mal à gravir toutes les marches le conduisant au pouvoir, aidé par les mieux nantis qui verront en lui un défenseur zélé du conservatisme. Entre temps, il se sera illustré par quelques actions peu glorieuses, comme la renaissance d’une forme de colonialisme en voulant chasser tous les gens venant d’anciens pays colonisés qui demandaient aides et secours. Il traitera avec arrogance des jeunes de quartiers éloignés du centre de la capitale. Ces initiatives conviendront tout à fait à la population d’un pays dont les hommes et les femmes politiques, empêtrés dans des luttes internes, ne parvenaient plus à tracer un chemin pour l’avenir.

Il aura pour servir sa cause un des hérauts du patronat qui n’ira pas par quatre chemins pour stigmatiser l’histoire récente de ce pays : « Il aura fallu attendre, écrira-t-il, la chute du mur de Berlin, la quasi-disparition du parti communiste, la relégation de la CGT dans quelques places fortes, l’essoufflement asthmatique du Parti socialiste comme conditions nécessaires pour que l’on puisse envisager l’aggiornamento qui s’annonce. Mais cela ne suffisait pas. Il fallait aussi que le débat interne au sein du monde gaulliste soit tranché, et que ceux qui croyaient pouvoir continuer à rafistoler sans cesse un modèle usé, devenu inadapté, laissent place à une nouvelle génération d’entrepreneurs politiques et sociaux. Désavouer les pères fondateurs n’est un problème qu’en psychanalyse. [1] »

L’homme attendu, tueur de ses pères, était là, frémissant d’impatience. Il réclama tous les moyens pour accéder à la plus haute marche du pouvoir. Le gamin qu’il avait été arrivait ainsi au terme du but qu’il s’était fixé. Le scénario était tout près. Il fallait alors se mettre sans attendre au travail, prendre les gens un peu par surprise, en leur faisant croire au changement pour leur plus grand bien. On mobilisa tous les moyens à disposition. On alla même flatter des personnes que tous les prédécesseurs tenaient pour peu fréquentable.

L’élection fut triomphale. Beaucoup en furent surpris.

Au départ il eut quelques avatars. L’homme se crut un peu vite tout permis, comme de faire étalage de son arrogance et de sa fréquentation des plus riches, auxquels d’ailleurs il fut bien obligé de faire très vite quelques cadeaux.

Le peuple qui l’avait élu fut quelque peu excédé et commença à faire entendre un très faible murmure. Des proches firent des reproches à mots couverts. Certains y virent un début de stigmatisation. C’était mal connaître cet homme. Il reporta sur les siens les bêtises qu’il avait pu connaître, puis il fit semblant de faire amende honorable. En vérité, il resta égal à lui-même. Il n’eut de cesse de mettre en place ce pourquoi on l’avait si bien aidé à être élu.

Il s’employa à défaire une pelote patiemment mise en place par la nation toute entière pour rendre la vie plus douce aux plus grand nombre. Pour que ce détricotage devienne irréversible, il précipita, avec l’aide de quelques hommes de main, le mouvement en profitant de l’apathie générale. Il s’attaqua à tous les domaines, l’économique, le social, le fiscal, le culturel, le religieux, l’international. En bref, toutes les activités, toutes les disciplines y passèrent. Peu importait les dégâts. Il fit croire qu’il incarnait le progrès.

La population ne prit pas tout à fait conscience, au début, qu’il s’agissait d’une régression de l’histoire, d’un retour en arrière, de l’effacement de luttes sociales qui s’étaient faites parfois dans le sang. En une année on vit se multiplier les injustices. La société devint de plus en plus inégalitaire. Pour celui qui était devenu le plus haut responsable de l’État, les crises sociales n’existaient pas. Les révoltes n’étaient que le fait de voyous. Pour lui tout était clair et simple. Il répétait à celles et ceux qui l’entouraient : « Quand on veut expliquer l’inexplicable, c’est qu’on s’apprête à excuser l’inexcusable. » Il répondit à un philosophe venu l’interroger sur la célèbre formule « Connais-toi toi-même », ce qui paraît nécessaire à tout le moins pour exercer la plus haute responsabilité d’un État : « Fort heureusement une telle connaissance est impossible, elle est même presque absurde » [2].

On ne sait pas à ce point de l’histoire quel fut le sort de cet homme dont l’arrogance lui permit de satisfaire son ambition. Ce qu’on sait déjà c’est que le pays, dont il avait pris la charge, ne retrouva, - la retrouva-t-il un jour ?-, que bien des années plus tard, la douceur de vivre que d’autres pays lui enviait parfois. Il y a un mot dont la signification fut rendue obligatoire dans toutes les écoles de ce pays, chaque élève devait l’apprendre par cœur : « l’arrogance, attitude méprisante, hautaine et présomptueuse ».

Jacques Vigoureux

Notes

[1Denis Kessler, grand patron français, il a été vice-président du MEDEF. Il est actuellement le président d’une société de réassurance. Pourquoi ce secteur ? " L’assurance est un domaine absolument extraordinaire parce que c’est le domaine du risque. Depuis très longtemps, je considère que le risque est un facteur d’explication de la société. Toute société s’organise autour de la gestion du risque. Lorsque c’est un risque de guerre, elle s’organise en fonction du risque de guerre, mais cela vaut aussi pour un risque technologique, ou bien lié au vieillissement... " (Les Échos). On peut expliquer ainsi, tout au moins en partie, la politique sécuritaire.

[2Michel Onfray, dans Philosophie-Magazine – n°8


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