on n’arrête pas le progrès : délation par internet dans le Var


article de la rubrique justice - police > délation
date de publication : jeudi 6 décembre 2007
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A Toulon, les autorités reponsables de la sécurité publique rendent publique une adresse email destinée à recevoir des informations de citoyens témoins de délits. L’UNSA Police et le SNIPAT dénoncent avec véhémence cette “expérience” et demandent au préfet d’y mettre un terme. Le ministère de l’intérieur semble démentir, évoquant « une initiative locale »...

Pour mémoire : pendant la période de Vichy et l’occupation nazie, les Français ont envoyé entre 3 et 5 millions de lettres de délation.

[Première mise en ligne le 5 déc. 07, mise à jour le 6 déc. 07]

Voir en ligne : suite et fin (espérons-le !)

Coïncidence ? Samedi 27 janvier 2007, la section de Toulon de la LDH avait organisé, en partenariat avec l’Espace Comedia, une rencontre autour du spectacle « Lettres de délation », tiré du livre « La Délation sous l’occupation » d’André Halimi. Voici le texte de présentation que nous avions diffusé à cette occasion.

Parler de la délation, c’est s’aventurer sur un chemin qui conduit à l’abominable. La collaboration et l’occupation nazie en France l’illustrent : les Français ont envoyé, pendant cette période, entre 3 et 5 millions de lettres de délation. Leurs auteurs : de bons citoyens ? des monstres ?

Seul en scène, François Bourcier incarne ces "braves gens" qui se sont transformés en "corbeaux". Leurs cibles ? Les juifs, les communistes, les francs-maçons, entre autres.

La police met en place une messagerie Internet pour signaler les délits

par Jean-Michel Chombart, Var Matin, le 5 décembre 2007

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) ne constituent plus, depuis longtemps, une nouveauté pour les forces de sécurité. Depuis quelques années, Internet est d’un usage habituel, chez les gendarmes comme chez les policiers nationaux

Ces derniers, ceux du Var en particulier, s’apprêtent toutefois à mettre en oeuvre, dans leurs rapports avec le grand public, une application inhabituelle de la messagerie électronique.

Infractions en temps réel

Après une expérimentation menée dans une grande métropole puis, plus récemment, en région parisienne dans le cadre des émeutes dans les banlieues, le Var s’apprête à devenir l’un des tout premiers départements à mettre en place un système élaboré par la direction centrale de la sécurité publique.

En cette fin d’année 2007, un serveur installé au centre d’information et de commandement (CIC), au 4e étage du commissariat central de Toulon, va être à même de recevoir des messages pour le moins particuliers, par lesquels les Varois demeurant dans les secteurs du ressort de la direction départementale de la Sécurité publique, pourront signaler les crimes et délits qu’ils constateront ! Il leur sera même possible de transmettre, en pièces jointes, des images ou des vidéos, par exemple prises avec des téléphones portables...

Mise à l’enquête

Une équipe sera chargée de consulter régulièrement cette messagerie et, selon les éléments qui apparaîtront, les infractions relevées seront transmises à la sûreté départementale, voire rebasculées sur les circonscriptions compétentes.

S’agissant d’une messagerie départementale, on peut, en effet, s’attendre à des signalements venant d’un peu partout.

En soi, le principe n’est pas franchement nouveau, à la différence de la technologie mise en oeuvre. Pour autant il risque bien d’être considéré comme un appel à la délation, et on peut penser qu’il va pour le moins faire débat.

Sans compter le risque de recevoir une grande quantité de messages qui ne rentreront pas dans le champ d’application du principe.

La période de rodage pourrait bien être pénible pour les équipes chargées de visualiser les envois !

Jean-Michel Chombart

« Sous le contrôle des magistrats »

Pour le contrôleur général Jean-Pierre Ghenassia, directeur départemental de la sécurité publique, ce système relève « d’une contribution civique, d’un devoir citoyen : celui d’apporter un concours à l’identification et à l’arrestation d’auteurs de crimes ou de délits graves. »

Hors de question, donc, d’y voir un écho de pratiques remontant à des heures sombres... Simplement, il s’agit de tirer parti de la technologie pour « adopter les moyens de preuve tout en améliorant l’action des services de police ».

Sachant que, le plus souvent, les témoins d’infractions graves sont assez réticents à se faire connaître, le procédé mis en oeuvre autorise un relatif anonymat. Ce qui n’empêche pas les enquêteurs d’entrer en contact ensuite avec l’expéditeur, si son document, se révèle exploitable.

«  Encore au stade expérimental, cette technique est de toute façon placée sous le contrôle des magistrats. Dès lors qu’une photo ou une vidéo sera exploitable [1], le parquet sera informé et les investigations confiées à la sûreté départementale.  »

Le patron des policiers varois ne cache d’ailleurs pas que le principal intérêt de cette expérience, c’est le caractère immédiat du déclenchement d’une réaction, surtout lorsqu’il s’agit d’atteintes aux personnes ou aux biens, ou de violences urbaines.

La messagerie ouverte à l’hôtel de police de Toulon pourra également être mise à profit pour des appels à témoins ou à victimes.

«  Notre objectif, c’est une police plus réactive et plus efficace au service de la population  », conclut-il.

Un « oui mais … » syndical

En toute logique, les syndicats de police devraient considérer favorablement une mesure qui doit concourir à une plus grande efficacité.

L’adhésion ne semble toutefois pas être complète... « La police est une industrie de main-d’oeuvre, s’exclame Gilbert Callenes, officier de police à Toulon. S’il n’y
a pas des hommes pour traiter les dossiers qui nous seront transmis par ce moyen, cela ne servira à rien !
 »

Insistant sur le surcroît de travail que cela entraînerait et le sous-effectif chronique qui affecte les services, le secrétaire départemental adjoint du syndicat Synergie répond donc par un « oui mais  » au choix effectué par la direction départementale :
« Les nouvelles technologies, c’est très bien. Mais qui va traiter tout ça ? Ça va si nous sommes donnés les moyens en personnel, sinon où est l’intérêt ?  »

Secrétaire départementale du SNOP (Syndicat national des officiers de police, Frédérique Martin va dans, le même sens : « On nous
donne toujours plus à faire, sans que les moyens suivent.
 »

Elle ajoute : « Ma crainte, c’est la vérification des documents, car on sait qu’il est fa¬cile de réaliser des montages, photos ou vidéo... Tout dépendra de l’usage qui sera fait de ces éléments ; cela peut-être très positif mais si cela débouche sur du n’importe quoi, ce sera très négatif ! »

Quand la police appelle à la dénonciation

par Diane Andrésy et Damien Delseny, Le Parisien, 6 déc. 07 [extrait]

« Bien évidemment, la justice prendra toutes les précautions d’usage et chaque pièce sera soumise au contrôle des magistrats », prévient Pierre Cazenave, procureur de Toulon. « En fait, l’idée vient d’un constat simple : lors de chaque événement, il y a toujours des témoins qui ont en leur possession des photos ou des documents et souhaitent les faire connaître. Ce service permet simplement de répondre à leur initiative. » Plus généralement, la direction de la sécurité publique voit dans ce projet une contribution civique des citoyens et une amélioration de l’action des services. Mais elle se refusait hier à tout autre commentaire sur une telle initiative.

Du côté du ministère de l’Intérieur à Paris, on ne dissimule pas sa surprise face à la mise en place de ce dispositif dans le Var : « C’est une initiative locale qui ne correspond pas aux projets que nous mettons en place au niveau national. A priori, ce n’est pas très intéressant et il n’est pas question de généraliser ce type de site Internet  », assène-t-on place Beauvau. Le projet de l’Intérieur vise plus un système de préplainte par Internet, comme il en existe dans des pays européens comme la Belgique ou l’Italie, mais exclut toute forme de dénonciation : « Le dispositif ne visera que les plaintes contre X », confirme le ministère, qui lancera des tests en début d’année 2008, probablement dans les Yvelines et la Charente-Maritime.

Les syndicats de policiers, eux, ne sont a priori pas contre l’utilisation d’Internet. Néanmoins, ils réclament des moyens supplémentaires bien réels en hommes et en matériel pour exploiter ce type d’informations. « Certes, informer les services de faits susceptibles de constituer des infractions est admis dans notre droit mais, avec ce système, comment se prémunir des abus ? C’est le risque de voir dénoncer via Internet tout et n’importe quoi : son voisin, ses ennemis... et de se venger à peu de frais », remarque Me Penne, avocat au barreau de Toulon. « Sans compter qu’avec Internet on peut facilement truquer des images, envoyer de fausses informations et trafiquer des films. C’est un peu inquiétant. »

Communiqué du Syndicat UNSA Police et
SNIPAT UNSA (personnels administratifs et techniques)

L’UNSA Police et le SNIPAT dénoncent avec véhémence la création d’un service de messagerie électronique portant sur la gestion de la délation en tout genre.
Il convient de s’interroger sur les raisons d’une telle initiative :
Qu’en période particulièrement troublée on puisse solliciter le concours de la population pour mieux appréhender la vérité est une chose, créer à demeure une brigade de gestion de la délation en est une autre.

D’ailleurs on ne sait pas si ce service aura pour vocation de « fliquer » la police ou de dénoncer « les comportements dits anormaux » dans notre société.
L’UNSA Police et le SNIPAT, à titre d’exemple rappelle qu’il y a plusieurs mois des policiers ont été mis en accusation dans la cité Berthe lors d’un accident avec un cyclo. Une vidéo enregistrée avec un téléphone portable accusait nos collègues d’avoir sciemment « tamponné » le cyclomoteur pour l’arrêter.
Ces collègues pendant plusieurs mois ont été interdits de voie publique, n’ont jamais pu avoir accès à la vidéo, n’ont jamais pu être confronté à leur détracteur, et en finalité ont été blanchis.

La salle radio de la DDSP reçoit régulièrement, et plus particulièrement la nuit, des appels fantaisistes dénonçant tout et surtout n’importe quoi.
Aujourd’hui la DDSP officialise ce genre de comportement émanant de personnes fatiguées, jalouses, aigries.
Certes, il est plus facile de dénoncer le comportement de sa voisine par messagerie, que de porter secours lorsque l’on est en prise directe avec l’évènement. L’incendie d’un autocar à Marseille en est malheureusement la triste réalité.

La réalité est, qu’il y a en gestation non officielle un projet de créer une brigade de renseignements de voie publique. Les renseignements généraux étant désormais appelés à d’autres fonctions, la sécurité publique se dépêche de créer son propre service de renseignements. Et manifestement la DDSP du Var n’est pas très regardante sur la déontologie.

L’UNSA Police et le SNIPAT vont saisir le Préfet lui demandant de mettre un terme à cette expérience qui n’a fait l’objet d’aucune concertation avec les organisations syndicales et n’a pas été présentée en Comité Technique Paritaire Départemental.

Toulon le 6 décembre 2007

Notes

[1Les images transmises ne peuvent pas être modifiées, insistent les autorités.


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