le premier qui dit la vérité ...


article de la rubrique discriminations > bizutage
date de publication : samedi 15 juillet 2006
version imprimable : imprimer


Depuis juin 1998, le bizutage est un délit puni par la loi. Et pourtant, huit ans plus tard, l’histoire édifiante de Mathieu Savin, prof de maths à Ginette, montre qu’il est toujours difficile et risqué de vouloir briser l’omerta.

le premier qui dit la vérité
se trouve toujours sacrifié
on lui coupe la langue
on le dit fou à lier

d’après Guy Béart [1]

[Première mise en ligne, le 20 juin 2006,
dernière mise à jour, le 15 juillet 2006.]


Code pénal - Article 225-16-1

Hors les cas de violences, de menaces ou d’atteintes sexuelles, le fait pour une personne d’amener autrui, contre son gré ou non, à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants lors de manifestations ou de réunions liées aux milieux scolaire et socio-éducatif est puni de six mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende. [2]

Des associations [3] agissent pour faire disparaître ces prétendues “traditions”.
La position du ministère de l’Education nationale est clairement exposée dans une instruction qui lui est consacrée.

Une affiche de septembre 1998.

Et pourtant on peut encore lire des articles comme celui-ci [4]
 :

A "Ginette", il n’est pas conseillé de dénoncer le bizutage

par Martine Laronche, Le Monde daté du 3 juin 2006

Un jeune enseignant de Sainte-Geneviève, prestigieux lycée versaillais privé sous contrat, a dénoncé, mercredi 31 mai, à l’occasion d’une conférence de presse, le "harcèlement" dont il aurait été l’objet de la part de sa direction après avoir porté plainte contre X..., le 3 juin 2005, pour une affaire de bizutage dans son établissement. S’estimant victime de pressions et d’intimidations visant à lui faire quitter le lycée, Mathieu Savin, professeur agrégé de mathématiques, a également porté plainte, le 12 avril, pour "harcèlement moral" contre la directrice de l’établissement.

Le recteur de l’académie de Versailles l’a prévenu, par un courrier du 5 mai, qu’il allait devoir quitter le lycée où il enseigne depuis la rentrée 2001. "Cette demande (de la directrice) est motivée plus particulièrement par votre comportement général qui contrevient au respect du caractère propre de l’établissement, écrit le recteur. De même, votre manque de devoir de réserve en utilisant et publiant des documents internes confidentiels a constitué, pour la directrice, une atteinte grave à la confiance qu’elle accorde à tous les personnels de son établissement."

La direction diocésaine ne voulant plus de cet enseignant, il devrait être affecté "dans un lycée public de l’académie où il y a des classes préparatoires, afin que cela ne nuise pas à sa carrière", assure l’entourage du recteur.

Les faits dénoncés par M. Savin remontent à septembre 2004. Chaque année, la rentrée des classes préparatoires de "Ginette", surnom de Sainte-Geneviève, est précédée d’une semaine d’intégration, destinée à l’accueil des nouveaux arrivants. Ceux-ci auraient fait l’objet, durant cette période, d’humiliations, d’insultes et de brimades de la part des élèves de deuxième année.

D’abord informé par des conversations en salle des professeurs, M. Savin a alerté la direction, dans un courrier du 19 novembre 2004, lui rappelant "l’obligation de signaler des faits délictueux à la justice". "La directrice m’a alors convoqué, m’accusant de réagir à des rumeurs, explique l’enseignant. Pour dissiper ces rumeurs, un jésuite a demandé à la directrice de me remettre les fiches d’évaluation remplies par les élèves à la suite de leur semaine d’intégration."

La lecture de ces questionnaires n’a fait que conforter M. Savin dans sa conviction. Certains de ces témoignages évoquent "les repas pris debout en silence, dans le noir, passés à servir les TVA (très valeureux anciens)", le fait de "manger en trente secondes ou en une minute", "de devoir impérativement ne pas regarder les 5/2 (redoublants de deuxième année) dans les yeux"...

"DES SANCTIONS"

Au cours des veillées, des nouveaux se sont vus proposer "des défis à connotation sexuelle", explique M. Savin dans sa plainte, reprenant les récits des élèves : "Lécher un poster porno ou le torse d’un garçon de notre classe était pénible" ; "Les étreintes un peu poussées dans les piaules avec la poupée gonflable des 3/2 (élèves de deuxième année) " ; "Je n’ai pas du tout apprécié la première veillée que j’ai trouvée trop violente psychologiquement" ; "C’était dur de voir les pleurs de certains".

La directrice de l’établissement, Isabel Jubin, n’a pas voulu faire de commentaires sur les procédures en cours. Elle considère toutefois que M. Savin n’a "plus sa place dans l’école, compte tenu de l’ambiance qu’il a créée". Elle affirme que, lors de la semaine d’intégration de la rentrée 2004, "3 % des activités" n’avaient "pas eu l’aval" de l’équipe de direction : "Nous les avons réprouvées et des sanctions ont été prises à l’interne." Cette année, la direction a "repris les procédures à zéro", ajoute-t-elle, et la semaine d’intégration "s’est bien passée".

Dans un communiqué publié mercredi 31 mai, des enseignants de Sainte-Geneviève ont exprimé leur désaccord avec M. Savin. Ils "s’indignent une nouvelle fois de l’attitude de leur collègue qui, pour des raisons personnelles, accapare les médias et dénigre l’école à laquelle il prétend être attaché". Ils "s’estiment calomniés par les propos de Mathieu Savin et surtout par sa démarche volontairement solitaire qui semble vouloir accréditer l’idée selon laquelle régnerait dans cette école on ne sait quelle loi du silence ou encore on ne sait quelle forme de complicité honteuse avec des actes délictueux" [5].

En ce qui concerne la plainte pour bizutage, l’enquête préliminaire pourrait se poursuivre au moins jusqu’à l’automne. Par ailleurs, l’inspecteur académique des Yvelines devrait se rendre à Sainte-Geneviève pour s’assurer du bon déroulement de la prochaine rentrée de septembre.

Martine Laronche

Nous avons contacté Mathieu Savin. Vous trouverez ci-dessous le courrier qu’il nous a adressé le 19 juin 2006.

La plainte pour bizutage a été déposée en juin 2005, et l’enquête n’a vraiment débuté qu’en octobre 2005, lorsque les médias ont appris l’existence de cette plainte. Pourtant, beaucoup de documents y avaient été joints, et notamment les fiches d’évaluation des élèves, qui prouvent l’existence d’un bizutage en septembre 2004. J’ignore encore la teneur des éventuelles sanctions qui auraient été prises par la Direction de Sainte Geneviève à cette occasion. Je me demande ce qui retarde encore l’enquête judiciaire, mon avocat n’étant même pas tenu au courant de son avancement.

Par ailleurs, j’ai porté plainte pour harcèlement en avril 2006, et j’ai exposé à la Police les menaces qui pesaient sur mon avenir professionnel. Malgré cela, les policiers n’ont pas jugé opportun d’en avertir mes supérieurs hiérarchiques, qui se retrouvent saisis d’une demande de mutation sans en connaître le contexte.

Je suis surpris par la facilité avec laquelle le Rectorat a accepté de répondre aux exigences de Madame Jubin. Elle n’a eu qu’à demander mon départ, et le Rectorat lui a immédiatement donné satisfaction. Pourtant, j’avais déposé en avril 2006 une demande de protection adressée à Monsieur le Recteur, compte tenu du harcèlement dont j’ai fait l’objet. Ce qui est plus grave encore, c’est que l’argumentaire fallacieux de Madame la Directrice est repris en intégralité par Monsieur le Recteur pour justifier sa décision. Je trouve désolant que les accusations mensongères dont je fais l’objet soient relayées sans aucune vérification préalable.

J’ai proposé à Monsieur le Recteur d’expliquer tout cela et de démontrer, documents à l’appui, en quoi la demande de Mme Jubin est complètement infondée. J’attends toujours de pouvoir présenter cette réfutation, et je commence à croire qu’il n’est pas question de m’en donner l’occasion.

Mathieu Savin

Notes

[2Loi nº 98-468 du 17 juin 1998 (article 14) publiée au JO du 18 juin 1998.
Ordonnance nº 2000-916 du 19 septembre 2000 (article 3) publiée au JO du 22 septembre 2000, en vigueur le 1er janvier 2002.

[3Notamment le Comité national contre le bizutage (CNCB) qui soutient Mathieu Savin.

[4Une Dépêche de l’Education du 31 mai 2006 comportait quelques précisions supplémentaires :
Contacté par l’AFP, la directrice du lycée Sainte-Geneviève, Isabel Jubin, a déclaré que "le bizutage a été supprimé dans l’école en 1994" et que "des dérapages ont été constatés en 2004 mais aussitôt sanctionnés".
"Cet enseignant joue cavalier seul et il a attendu neuf mois pour déposer sa plainte pour bizutage", a ajouté Mme Jubin. Aucune plainte d’élève ou d’enseignant n’a été associée à celle de Mathieu Savin, l’enseignant.

Selon son avocat, Me Richard Forget, et selon une source judiciaire, la plainte pour bizutage déposée par Mathieu Savin a conduit en octobre 2005 à l’ouverture d’une enquête préliminaire au tribunal de Versailles, sans suites pour l’instant.
"On tente d’étouffer l’affaire sur ce lycée d’élite car on garde l’enquête au stade préliminaire et nous ne sommes informés de rien du tout", a déclaré à l’AFP Me Forget.

[5On pourra lire ce communiqué sur le site de l’association des anciens élèves de Sainte-Geneviève. On y trouvera également différentes prises de position publiées en juin 2006 par des professeurs, des cadres éducatifs, des représentants des élèves, le conseil d’administration de Sainte-Geneviève, ainsi qu’un « argumentaire » dans lequel l’association des anciens élèves reproche à Mathieu Savin de « relancer la polémique, de manière éhontée ». (Note de LDH-Toulon)


Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP