“l’inquiétant pacte de Sarkozy au Vatican”, par Christian Terras


article de la rubrique laïcité > Sarkozy parle de religion
date de publication : mercredi 2 janvier 2008
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Dans une analyse du discours et de « l’adoubement » du président français au Vatican, publiée sur le site Contre journal, Christian Terras, directeur de la revue Golias [1], estime que « Sarkozy
réimplante quelque chose qu’on croyait d’un autre âge »
. « Même s’il affirme ne pas vouloir remettre en cause 1905, le projet de Sarkozy violera 1905 »,
explique-t-il. Décryptant les emprunts idéologiques à Le Pen et Maurras, il estime que Sarkozy est porteur d’une « vision fondamentaliste et intransigeante du catholicisme dans son rapport au monde ».


  • Dans le prochain numéro de Golias, vous analysez la visite de Nicolas Sarkozy au Vatican. Vous l’avez intitulé « Le sermon du Chanoine
    Sarkozy : catholique et français toujours ? »…

Christian Terras. « "Catholique et français toujours" c’est une
vieille rengaine qu’on reprenait dans les églises autrefois. La marque, proprement ahurissante, du discours de Nicolas Sarkozy, c’est de ne
pas parler au nom de tous les français, mais à partir d’une vision catholique très traditionnelle qu’il assume comme la sienne et celle
de l’Etat français. Dans ce discours à l’église, il ne tient aucun
compte des apports spirituels, humanistes, culturels non seulement des religions non catholiques, mais des religions chrétiennes – comme la
réforme -, sans parler des agnostiques et des athées. Il estime du
reste que l’aspiration spirituelle qui est en tout homme ne trouve sa réalisation que dans la religion. C’est donc d’entrée de jeu un
parti pris, sur la base d’une sensibilité, d’une vision catholique que
l’on peut qualifier de traditionaliste qu’il présente comme celle de la France. Il met aussi gravement en cause l’exercice laïc de la
fonction présidentielle puisqu’il identifie son engagement politique à une vocation sacerdotale. Pour parfaire son identification personnelle aux ministres de droit divin, il est allé jusqu’à dire « sachez que
nous avons au moins une chose en commun, c’est la vocation. On n’est pas
prêtre à moitié on l’est dans toutes les dimensions de sa vie,
croyez bien qu’on n’est pas Président de la République à moitié, je
comprends les sacrifices que vous faites pour répondre à votre vocation parce
que moi même, je sais ce que j’ai fait pour réaliser à la mienne »
.
C’est à mes yeux incroyable. La réalisation de sa mission politique, les sacrifices personnels qu’il évoquait durant la campagne électorale, sont dans le droit fil d’une vocation sacerdotale.

  • On a beaucoup remarqué les signes donnés au Vatican – le baise main
    au pape, l’allusion au baptême de Clovis…

Il donne des signes de ce qu’on appelait autrefois la chrétienté.
Il s’est mis au passage à l’égal du Pape. Quand il dit « comme
Benoît XVI je considère qu’une nation qui ignore l’héritage éthique religieux spirituel de son histoire commet un crime »
, ou encore « je partage
l’avis du pape quand il considère que l’espérance est une des questions
les plus importantes de notre temps »
… Non content d’être le premier personnage de la France, il se met à égalité avec le premier
personnage de l’église catholique romaine. Ca va très loin puisqu’il se
permet de souffrir avec ceux qui ont souffert ou qui souffrent encore des lois de
la séparation de l’Eglise et de l’Etat, dont il est théoriquement
le gardien ! Il dit « je sais les souffrances que sa mise en œuvre a
provoqué en France chez les catholiques, les prêtres, dans les congrégations, avant comme après 1905 »
… Dans une espèce d’exhortation urbi et
orbi, il va aller jusqu’à pâtir avec les séminaristes du séminaire
français comme jamais il ne l’a fait avec aucun
sans papier ou autre insignifiant du pays. Il dit aux séminaristes « Je
sais que votre quotidien est ou sera parfois traversé par le découragement
ou la solitude. Je sais aussi que la qualité de votre formation, la fidélité au sacrement, la lecture de la bible et de la prière vous permettent de surmonter ces épreuves »
...

  • C’est le premier chef d’Etat français qui prend cette position…

Absolument. Dans la tradition radicale socialiste, Chirac qui était un
président de droite restait frappé du bon sens de la culture traditionnelle laïque française. Même de Gaulle qui était un
catholique très pratiquant ne s’était jamais risqué avec les autorités
pontificales romaines ou autres autorités hexagonales à un tel mélange de genre. Jamais. De Gaulle refusait de communier par exemple parce qu’il incarnait la France dans toutes ses composantes et qu’il ne pouvait
pas donner un signe ostentatoire d’adhésion à une philosophie à un
credo, fusse-t-il catholique, à la nation. Il le faisait en privé. Alors que
Sarkozy s’exhibe. Tout en revendiquant, dans le même discours, « la liberté ne pas être heurté dans sa conscience par des pratiques ostentatoires ». Il fait allusion à l’islam et au voile islamique.
Mais on pourrait se poser des questions sur ses pratiques ostentatoires présidentielles et sa vision sur la religion. Le sommet, c’est la concurrence entre l’instituteur et le curé. Je cite : « dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence
entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le
pasteur ou le curé parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du
sacrifice de sa vie et la charisme d’un engagement porté par l’espérance »
.
C’est inimaginable d’entendre ça dans la bouche d’un président de la République. Les enseignants, les pédagos de la laïque, engagés dans
les écoles difficiles par exemple dans la banlieue où ils donnent de leur
vie, de leur temps, de leur exigence familiale, vont apprécier.
C’est un discours qu’il n’a pas écrit. Pas plus qu’Henri Guaino. D’après
notre enquête, c’est un dominicain qui s’appelle Philippe Verlin. Il
pose une vision fondamentaliste et intransigeante du catholicisme dans son rapport au monde. Au final, Nicolas Sarkozy nous en fait une religion
à l’américaine. Les communautés avant la citoyenneté, au risque de favoriser le communautarisme. »

  • Est-ce que ce positionnement est lisible dans le parcours de Sarkozy ?

Sarkozy n’est pas un intellectuel, c’est un pragmatique. Et sur la
question religieuse, il en est à la religion de son enfance. Il n’y a
pas d’évolution dans son intelligence de la foi par rapport à ce qu’on lui a transmis quand il était jeune. Il a sa propre géopolitique religieuse. Pour lui une société qui n’est pas référencée dans
le sens ultime du christianisme et du catholicisme, c’est une société qui
court à sa perte. Dans son livre sur la religion l’espérance et la
république, c’est idéologiquement chevillé au cœur, c’est la conviction que
la République ne peut pas avoir un sens ultime pour la cohésion sociale.

  • L’incursion de la religion en politique évoque beaucoup
    l’utilisation du catholicisme par Le Pen dans ses meetings…

Sans faire référence au décalogue, c’est la même chose. C’est Le Pen
en plus soft. Mais cela rappelle historiquement Charles Maurras. Maurras ne
croyait pas, mais il trouvait dans l’église catholique le système
parachevé qui pouvait permettre à un Etat de trouver le sens de sa
destinée sur terre, par rapport aux missions de Dieu, pour que les
responsables politiques puissent vivre en bonne intelligence. Pour moi,
Sarkozy emprunte au système maurassien. De l’utilité du système
ecclésiastique pour cimenter la cohésion sociale. Je vous donne, je
vous délègue, je décentralise la question du sens et cela me permet de
gérer les affaires en fonction de mon programme politique. Cela veut
dire aussi j’abdique ce que la République en elle même porte comme
sens. La dangerosité de ce discours, c’est quelque chose qui
est passé complètement sous silence pendant la campagne présidentielle.
Nicolas Sarkozy ne pouvait engager un débat sur la laïcité au moment des élections : cela mettait le feu aux poudres. Il ne peut le faire qu’en le distillant. C’est sa conception de la laïcité. Même s’il affirme ne pas vouloir remettre en cause 1905, le projet de Sarkozy violera 1905. C’est la
première fois sous la cinquième République qu’un Président de la
République écrit au pape - qui l’avait félicité pour son élection -,
une lettre de quatre pages pour lui donner son programme politique à la
lumière de l’éclairage de l’église et du sens spirituel. D’habitude les
présidents font dix lignes.

  • Au sein du RPR ou de l’UMP, le discours religieux n’avait aucune
    place jusqu’à présent…

Sarkozy réimplante quelque chose qu’on croyait d’un autre âge. C’est
sa propre vision des choses mais c’est aussi l’aspiration d’un certain
nombre de catholiques de droite. Même dans un journal comme La Croix,
qui conserve un certain pluralisme, on n’a pas trouvé une critique, ni
même l’écho d’une critique du discours de Sarkozy. Parce que dans
l’église catholique, ce discours porte. Il scelle une espèce de pacte
avec les catholiques français de droite. Sarkozy met le curseur sur la
religion majoritaire. Il leur promet ses faveurs. Et bien sûr, il
attend un retour d’ascenseur. Il leur parle de « participer à la
pacification »
de l’hexagone. Il leur dit « Je vous soutiendrais pour participer au débat et à la mise en œuvre des lois sur la bio éthique ». Et il
espère un soutien pour « son grand dessein de la Méditerranée »
qui rencontre l’intérêt du Saint Siège par exemple. Rien n’est gratuit.
Ce n’est pas uniquement convictionnel. C’est aussi pour obtenir des
cathos une alliance et une mobilisation sur les sujets sensibles. Dans
certains sites cathos, non pas intégristes mais traditionalistes, Nicolas Sarkozy
est présenté comme le personnage providentiel dont la France chrétienne
avait besoin. A travers ce discours au Latran, il est perçu comme
celui qui sur le plan sociétal et civilisationnel, va faire se
rencontrer la République et l’Eglise. On n’est pas dans la théocratie,
mais je crains qu’on ne s’oriente à terme à une remise en cause
inquiétante de la laïcité française.

  • Quelle importance accordaient les autres présidents français au titre
    de chanoine de Latran ?

L’insignifiance totale pour les précédents. Par contre, avec
l’accueil du cardinal Vicaire de Rome Camillo Ruini à la basilique de
Latran, Nicolas Sarkozy s’est glissé dans le lit du corps
ecclésiastique. Comme chanoine de Saint-Jean-de-Latran, il a même
remercié le cardinal Ruini de le recevoir en son chapitre – c’est la
communauté des chanoines, le chapitre. En son chapitre ! Il prend
possession de Saint-Jean-de-Latran, compte tenu de ce que ce rite
désuet lui donne symboliquement comme fonction. Mais de ce rite désuet
et symbolique, il en tire un argument politique. Monseigneur Ruini, je
vous reçois chez moi à Latran. Et chez moi, à
Saint-Jean-de-Latran, je vais vous parler, au sein de mon chapitre, et je vais vous donner mon programme, sur les rapports entre la religion,
la politique et l’espérance.
Et ça c’est très fort, parce qu’il politise un symbole. Par cette
solennité, cette prise de possession des lieux, il en a fait un
adoubement. Avec Sarkozy, on a un président qui est missionné presque
mystiquement aujourd’hui. La réaction des cardinaux présents montraient
qu’il était adoubé pour être pour le Vatican l’un des grands hommes
d’Etat de la planète qui portera les valeurs du catholicisme. Cet
adoubement là n’a jamais eu lieu avec les autres présidents de la
République.

Propos recueillis par Karl Laske

Notes

[1Christian Terras est l’auteur de Benoit XVI ; le pape intransigeant (2005), L’opus Dei, une église dans l’église (2006), Le retour des intégristes (2007) aux éditions Golias. Il dirige le site
golias.fr, et l’hebdomadaire
Golias, dont un numéro consacré au discours de Sarkozy au Vatican doit paraitre
jeudi 3 janvier.


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