arrêtez de faire du Gbagbo, monsieur le président, c’est dangereux !


article de la rubrique laïcité > Sarkozy parle de religion
date de publication : mardi 8 mars 2011
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Le président de la République s’est rendu au Puy-en-Velay (Haute-Loire) le 3 mars. Un déplacement officiellement consacré au thème de “l’héritage patrimonial de la France”, mais qui lui a donné l’occasion de prononcer un long discours, où il insiste sur son “héritage chrétien” [1].

En célébrant des « racines » de la France, Nicolas Sarkozy semble ignorer que la République est fondée sur des principes qui ont une dimension universelle et que les citoyens ne sauraient se définir en référence à un quelconque particularisme qu’il soit religieux ou ethnique.

De son côté, le commissaire à la diversité et à l’égalité des chances, Yazid Sabeg, avait dès la veille regretté que « le Front national [soit] parvenu à dicter l’ordre du jour politique et médiatique » Un bloggeur a été plus précis : « Il est de plus en plus dangereux notre président. Il fait monter en flèche le communautarisme. Qu’il arrête de faire du Gbagbo, c’est dangereux.
 [2] »


Au Puy-en-Velay, Sarkozy célèbre l’« identité dont [la France] doit être fière »

Le président de la République a visité la cathédrale du Puy-en-Velay, l’un des points de départ du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle depuis le Moyen-Age. Il s’y est dit « frappé » par le fait que le baptistère daterait de la fin du Vème siècle et « serait donc l’exact contemporain du sacre de Clovis et donc de la naissance de la France. Ce n’est pas rien ! ». Passant « devant les antiques portes de cèdre de la cathédrale et leurs inscriptions en langue soufique » il a déclaré son émotion de cette « rencontre entre la langue de l’Islam et l’architecture romane !  » [3].

La visite s’est achevée par un déjeuner chez les frères et soeurs de l’ordre de Saint Jean, en présence de l’évêque.

« La chrétienté nous a laissé un magnifique héritage de civilisation et de culture » a déclaré le chef de l’État. « Cet héritage, mes chers compatriotes, nous oblige. Cet héritage est une chance, mais c’est d’abord un devoir. Nous sommes obligés par cet héritage. Il nous oblige car non seulement nous devons le transmettre aux générations qui nous succèderont mais nous devons l’assumer, cet héritage, sans complexe et sans fausse pudeur » avant de vanter les autres sources de la mémoire française, les racines juives de la France expliquées au dernier dîner du CRIF, les Lumières, l’héritage romain.

Le président a répété : « la République est laïque », mais il a ajouté : « Construire l’Europe de demain, c’est aussi continuer de suivre le chemin tracé il y a plus de mille ans par les premiers pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle ».

"La religion ne peut pas devenir la grille de lecture de tous nos maux"

[Le Monde daté du 2 mars 2011]


Yazid Sabeg, le commissaire chargé de la diversité et de l’égalité des chances au sein du gouvernement, s’alarme du poids pris par le Front national dans le débat public. Nommé en 2008, il marque sa différence avec Nicolas Sarkozy sur l’islam et sur l’intégration. Mais l’industriel refuse toute idée de démission : « Je n’ai pas entendu, dans les propos du président de la République, qu’il révoquait sa politique de diversité. »

  • Partagez-vous l’analyse de Nicolas Sarkozy sur l’échec du multiculturalisme en France ?

Je pense que proclamer l’échec de quelque chose qui n’a jamais existé en France est impropre. En effet, le multiculturalisme, qui consacre l’égale dignité des cultures, n’a jamais été ni envisagé ni considéré dans notre pays. Même le caractère positif de la diversité n’est qu’une idée récente. Je ne sais donc pas ce qui est multiculturel chez nous d’autant que ce terme est le plus souvent employé pour opposer le modèle dit français et républicain à une conception anglo-saxonne de l’intégration.

La mondialisation nous soumet aujourd’hui aux réalités sociales et culturelles de l’intégration. Celles-ci sont néanmoins inscrites dans notre histoire et sont aux fondements de notre nation. L’intégration, c’est toute l’histoire de la France, c’est l’accueil des migrants sous l’Ancien Régime ou la République. Mais ce fut aussi le long processus d’intégration de la diversité de provinces qui ne parlaient pas français et de populations qui étaient contre la République. Ce fut toujours une politique volontariste et non un accident de l’histoire. Ce fut même une politique intégrante de la période coloniale.

  • Ce modèle a-t-il échoué ?

La France offre encore à tous ce modèle de référence dominant à partir duquel l’individu, quelle que soit son origine, peut se construire. Etre français tient autant à l’amour du sol qu’au respect des lois. C’est recevoir une éducation qui est fondée sur l’oubli des origines et adhérer à un contrat social constitué de règles communes. Si échec il y a, il réside dans la fragilisation des liens sociaux et dans notre incapacité à revitaliser notre conscience civique.

  • Comment jugez-vous l’état du débat public en France ?

De la gauche à l’extrême droite, l’essentiel est escamoté. Aux questions de fond telles que l’emploi des jeunes, la lutte anti-ghetto ou l’accès équitable à l’éducation et à la formation se sont substitué des pseudo-débats centrés sur ce qui serait une confrontation de l’islam avec la laïcité. C’est comme si désormais la crise de nos sociétés ne pouvait s’expliquer qu’à travers la figure des musulmans ! Qu’on critique l’islam, pourquoi pas ? Mais la religion ne peut pas devenir la grille de lecture de tous nos maux. Je constate que les partis républicains sont dans cette confusion et se conforment aux prescriptions de Marine Le Pen pour exploiter avec elle ce nouvel opium du peuple.

  • Pourquoi cette dégradation ?

L’affaiblissement de notre économie et de la prospérité nourrit un climat général d’insécurité, y compris parmi les classes moyennes, très affectées par le sentiment de déclassement. Et que sert-on à cette réserve de voix que se dispute la classe politique ? Un discours daté et périmé sur l’identité nationale. Ma conviction est que rien ne menace notre identité. Certainement pas l’islam qui restera minoritaire dans notre pays.

Dans le même temps les idées d’équité et de partage ont déserté les discours publics. Or réaliser l’égalité des chances suppose le courage d’orienter efficacement nos instruments de redistribution, de dotation sociale et d’aménagement du territoire ainsi que nos politiques publiques. Mais, au plan politique, certains milieux qui veulent en découdre avec l’islam prétextent le ressourcement identitaire ou la défense d’un ordre républicain et laïque idéalisé pour dénoncer une société musulmane parallèle. S’agissant de la laïcité, ils en usurpent le sens historique. Un tel reniement tourne le dos à notre tradition et à nos principes fondateurs, il porte en lui les germes du totalitarisme.

  • Le FN vous inquiète ?

Oui, car il est parvenu à dicter l’ordre du jour politique et médiatique. Il impose aux Français l’idée d’une société agnostique avec des valeurs agonisantes. On peut parler d’une démission des élites qui se sont installées, parfois à leur insu, dans le sillage idéologique de l’extrême droite.

  • Vous ne pouvez pas nier l’existence d’une forme de communautarisme en France...

Le communautarisme ? Quelle hypocrisie ! C’est une adultération des réalités et un dénigrement à l’endroit des populations concernées. Quelles sont et où sont donc dans notre pays les communautés qui se sont organisées pour revendiquer des droits spécifiques et les ont obtenues ? On dit des migrants qu’ils restent entre eux, qu’ils ghettoïsent la France, qu’ils émiettent la République. Seraient-ils donc responsables de la ségrégation qu’ils subissent ? On peut désespérer les Français, les angoisser, invoquer la laïcité à tout va, tant qu’on ne s’attaquera pas aux ségrégations, on continuera à constater notre impuissance.

Propos recueillis par Luc Bronner


Notes

[1Le discours de Nicolas Sarkozy : http://www.elysee.fr/president/les-....

[2Premier commentaire de l’article Au Puy-en-Velay, Sarkozy juge “dangereux d’amputer sa mémoire” du Blog L’Elysée côté jardin d’Arnaud Leparmentier.

[3Manque de chance, la « langue soufique » n’existe pas – il s’agit de caractères « coufiques » comme le révèle le site Rue89. Rien à voir avec les soufis (ces mystiques musulmans) : le mot « coufique » vient de la ville de Koufa, et l’écriture coufique désigne juste une calligraphie arabe particulière, qui se caractérise par son caractère anguleux.


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