second procès Marchiani : le marché du tri des bagages à Roissy (Vanderland)


article de la rubrique justice - police > Jean-Charles Marchiani
date de publication : dimanche 30 octobre 2005
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Les chroniques du procès dans Libération en octobre 2005 :

- Lundi 17 octobre : Marchiani revient chargé de bagages
- Mercredi 19 octobre : Le réseau imaginaire de l’ex-agent Marchiani
- Mardi 25 octobre : Trois ans ferme requis contre Marchiani

Jean-Charles Marchiani, le 17 oct. 2005 (AFP / Jack Guez)

Marchiani : jugement le 14 décembre, la défense dénonce "un procès politique"

PARIS (AFP) - Le tribunal correctionnel de Paris rendra le 14 décembre à 16H00 son jugement concernant le préfet Jean-Charles Marchiani, poursuivi pour recel d’abus de biens sociaux dans un procès qualifié par la défense de "procès politique".

La 11e chambre du tribunal rendra au même moment sa décision dans le premier procès, achevé le 12 octobre, où M. Marchiani était jugé pour trafic d’influence.

Dans les deux cas, l’ancien député européen est soupçonné d’avoir perçu des commissions indues dans des passations de marchés. De l’emprisonnement ferme - quatre ans dans le premier procès, trois ans dans le second - a été requis contre lui.

Dans le procès achevé mercredi, Jean-Charles Marchiani est soupçonné d’avoir, entre 1991 et 1994, perçu et partagé avec d’autres une commission de 9,7 millions de francs (1,4 million d’euros) liée à un marché d’équipement de l’aéroport de Roissy.

Le défenseur de M. Marchiani, Me Jacques Trémolet de Villers, a fustigé "un procès politique", "un dossier vide", "une personnalisation à outrance" autour de son client au côté duquel comparaissaient six autres prévenus, et "une pression inacceptable de la presse".

Il a demandé au tribunal de "ne pas céder au climat délétère qu’on entretient autour de cet homme" et de prononcer une relaxe.

Alors que le parquet s’en était pris mardi à "la cupidité" de M. Marchiani, Me Trémolet de Villers a expliqué qu’au cours de l’enquête, "on a épluché la vie quotidienne des Marchiani, on a même interrogé son tailleur" mais il n’y a "aucune possibilité de dire qu’on a utilisé cet argent à titre personnel".


Marchiani revient chargé de bagages
Le dossier du système de tri de valises de Roissy le ramène en correctionnelle.

par Karl LASKE Libération, mardi 18 octobre 2005

« Je suis serein. Aucune infraction n’est caractérisée », a murmuré le préfet Jean-Charles Marchiani hier au palais de justice de Paris, écartant de la main une caméra. Cinq jours après la fin de son procès dans l’affaire des boîtes de vitesses du char Leclerc ­ dossier dans lequel quatre ans ferme ont été requis à son encontre ­, il est de retour, en prévenu vedette, devant la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris, pour trois semaines, dans l’affaire du système de tri de bagages de l’aéroport de Roissy. Ce marché, signé en 1991 par la société hollandaise Vanderland Industries, a permis à l’ex-bras droit de Pasqua d’encaisser en Suisse 9,7 millions de francs, de 1991 à 1994. Le casting a changé. L’affaire des boîtes de vitesses l’avait associé à l’un de ses voisins. Cette fois, c’est en famille que tout s’est noué. Claude Marchiani, son frère cadet, mais aussi Claude Pasqua, cousin germain de Charles, sont en effet tous les deux prévenus pour recel d’abus de biens sociaux et complicité.

A l’époque, Claude Pasqua était directeur commercial de Vanderland France. Il connaissait Marchiani depuis des années. Quoique expert en système de tri de bagages d’aéroport, Vanderland semblait mal placé face à Thomson. Marchiani aurait alors dit à Claude Pasqua qu’il avait « le pouvoir de débloquer l’affaire ». « D’emblée, Marchiani m’a demandé une commission de 3 % en cas d’obtention », a relaté le cousin lors de l’instruction. Camille Majorel, ex-directeur général de Vanderland, également prévenu, avait compris qu’il s’agissait d’un « ticket à payer ». « J’ai pensé à un financement de parti, a-t-il expliqué. Je savais que Claude Pasqua était le cousin de l’homme politique. » Quant à Claude Marchiani, il rêvait tout simplement de « faire des affaires » avec son frère Jean-Charles.

Restait à ce dernier à livrer sa version habituelle. Tout cela n’était, selon le préfet, qu’« une opération classique de renseignement » liée à son activité antiterroriste de l’époque. Il cherchait des « informateurs » et des « ingénieurs » pour « inventer un système qui permette de dériver les bagages considérés comme suspects ». Ce dossier « ne nous gêne pas », a conclu son avocat, Me Jacques Trémolet de Villers.

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Le réseau imaginaire de l’ex-agent Marchiani.
Le préfet était interrogé hier sur des commissions reçues par une société hollandaise.

par Karl LASKE Libération, jeudi 20 octobre 2005

Il a bien eu des comptes en Suisse, mais c’est la seule chose dont il se souvienne vraiment. Comme l’agent amnésique de la Mémoire dans la peau, le préfet Jean-Charles Marchiani tâtonne. Il n’est sûr de rien. Entendu, hier, devant la 11e chambre correctionnelle de Paris sur les commissions reçues de la société hollandaise Vanderland, Marchiani a ressorti la photocopie de sa comptabilité secrète.

Cette feuille mystérieuse a été saisie chez lui en décembre 2001. Elle se trouvait dans une sacoche. Comme les policiers avant lui, le président Olivier Leurent s’étonne qu’elle n’ait pas été « mise au coffre ». « J’ai oublié ça », dit Marchiani. Pour le préfet, c’est le « brouillon » d’un « rapport de synthèse aux autorités » sur ses « activités en Afrique du Nord ». Le genre de papier que l’agent lambda ne laisserait pas traîner. Les policiers, eux, y ont trouvé une corrélation étroite avec les commissions reçues par Marchiani sur les marchés. En particulier, les fonds versés par Vanderland à la suite de l’obtention par les Hollandais du marché de tri de bagages de l’aéroport de Roissy.

« C’est tout à fait clair ! », dit Marchiani, sa feuille à la main. « Vous êtes le seul à le trouver clair », rétorque le président. « Les gens sont désignés par des noms de code ou leurs propres noms, reprend Marchiani. Vous avez des versements à X ou Y et après je mets "il reste tant au budget". Il n’y a rien de mal à récapituler. » D’après lui, des zones d’action sont déductibles. « Albert, ça faisait Algérie. Claude, ça faisait Congo. Ce sont des opérations à l’étranger. Je me tue à vous le dire. » « Restez vivant », se moque le président. « Vous faites le total des sommes : vous voyez un agent à Tunis qui est payé, un agent à Rabat qui est payé. » Les juges se retiennent de rire. Hélas, le réseau fantomatique décrit par Marchiani a été plus que grillé par la découverte de ses comptes en Suisse. Ces hommes de l’ombre sont d’ailleurs à ses côtés devant le tribunal. Claude Marchiani, son frère cadet, qui a reçu 500 000 francs. Claude Pasqua, le cousin germain de l’ex-ministre de l’Intérieur, ancien directeur commercial de Vanderland. Et d’autres intervenants dans le contrat signé avec les Aéroports de Paris pour le tri de bagages.

Leur témoignage se situe à des années-lumière du scénario de Marchiani. Claude Pasqua se souvient du coup de fil qui a tout déclenché, en 1991. « Marchiani m’a dit : "Je sais qui vous êtes, vous savez qui je suis." » « Sous-entendu : vous êtes le cousin de Charles Pasqua... », précise le président. Claude Pasqua acquiesce. Marchiani propose au cousin Pasqua d’intervenir en faveur de Vanderland pour l’affaire de Roissy, moyennant une commission de 3 %. « Cette commande était incertaine et controversée. L’appel de Marchiani était une délivrance, se souvient Pasqua. Quand on peut avoir l’appui de Jean-Charles Marchiani, on ne le laisse pas passer. » Réaction de Marchiani : « Est-ce que vous me voyez téléphoner à Claude Pasqua pour lui demander une commission ? Ça vous paraît plausible ? Si ça vous paraît plausible, je veux bien ! » La hiérarchie de Vanderland, y compris le PDG hollandais, décide en tout cas de lui donner 9,7 millions de francs en 25 versements de 1991 à 1994. Mais Marchiani reverse à ses agents. En l’occurrence, à Claude Pasqua. « A un moment donné, il m’a proposé de me donner une somme d’argent, reconnaît Pasqua. Je le dis tout net : je l’ai prise. » Une « enveloppe » de 350 000 francs. Pasqua a fait des travaux chez lui.

Autre membre du « réseau », Albert Montluc, un ingénieur partenaire de Vanderland, a confirmé, mardi, le partage de la commission. N’importe. « Je lui ai versé de l’argent parce qu’il avait donné des renseignements », explique Marchiani, imperturbable. Une « liste d’ingénieurs » avait même été établie pour renforcer la sécurité des aéroports devant les risques d’attentats. Devant cet impératif, « 10 millions de francs, c’est rien du tout », fait-il remarquer. La firme Vanderland coopérait financièrement « avec l’accord des services hollandais ». Le préfet semble finalement se perdre, peu à peu, dans le dédale de son imaginaire. « C’est le Chpountz », s’amuse un avocat, incrédule.

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Trois ans ferme requis contre Marchiani.
L’ex-bras droit de Pasqua jugé dans l’affaire du tri de bagages de Roissy.

par Karl LASKE Libération, mercredi 26 octobre 2005

« Jean-Charles Marchiani se retrouve bien seul aujourd’hui », a relevé, hier, Marie-Christine Daubigney, procureure de la République, devant la 11e chambre correctionnelle de Paris. Le préfet, ancien bras droit de Charles Pasqua, est resté de marbre. Guère convaincu. Souriant, approuvant même de la tête certains arguments développés contre lui. Il semblait ailleurs. A l’issue d’une semaine d’audiences, la procureure a en effet requis une peine de trois ans ferme et 250 000 euros pour « recel d’abus de biens sociaux » à son encontre dans l’affaire des commissions versées par la société hollandaise Vanderland pour le marché de tri de bagages de Roissy.

« Cupidité. » Voilà deux semaines, dénonçant « l’escroc Marchiani », elle avait déjà requis quatre ans ferme contre lui dans l’affaire des boîtes de vitesse du char Leclerc. Des dossiers similaires sur lesquels les avocats de Marchiani ne devraient pas manquer de plaider la confusion des peines ­ nullement acquise. Pour le tri de bagages, Marchiani a perçu ­ avant redistribution ­ 9,7 millions de francs sur son compte en Suisse de 1991 à 1994. « Un des moteurs fondamentaux de Jean-Charles Marchiani s’avère être la cupidité, estime la procureure. Pour lui, la fin justifie toujours les moyens. » Il a été le « pivot central d’un racket organisé ». « Il a volé 9,7 millions de francs » résume Marie-Christine Daubigney. Son frère cadet, Claude Marchiani, a été de la partie lui aussi. Il a admis ses « papotages ». Il a reçu sa part de commissions : 500 000 francs, si ce n’est plus. Dix-huit mois avec sursis sont requis à son encontre. Egalement prévenu, Claude Pasqua, cousin germain de l’ancien ministre, ancien directeur commercial de la firme hollandaise Vanderland, a été « le relais indispensable » des autres. « Cadre sans foi ni loi », il a transmis l’exigence de Marchiani : une commission à hauteur de 3 % du marché. Trois ans avec sursis sont requis à son encontre. Il avait avoué, lui, avoir reçu une enveloppe de 350 000 francs des mains du préfet.

Cette fois, la procureure ne s’est pas appesantie sur les « versions les plus extravagantes » avancées par Marchiani, notamment ses prétendues « missions » secrètes relatives à la sécurité des bagages.


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