le bizutage est un délit


article de la rubrique discriminations > bizutage
date de publication : samedi 15 juillet 2006
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Depuis 1998, le bizutage est un délit sévèrement puni par la loi, mais il est loin d’avoir totalement disparu. Il continue même parfois à bénéficier d’une certaine complicité (lire notre page le premier qui dit la vérité ...).

[Première mise en ligne en novembre 2003,
mise à jour le 15 juillet 2006]


Si vous êtes victime du bizutage, si vous voulez en finir avec le bizutage ... adressez-vous au :

CNCB : « Comité National Contre le Bizutage »
108-110 Avenue Ledru-Rollin - 75544 PARIS cedex11

contrelebizutage@free.fr et 06 07 45 26 11 (répondeur)

Site internet : http://contrelebizutage.free.fr/.

Pour la rentrée 2006, le CNCB a élaboré un tract-brochure "En finir avec le bizutage" destiné à tous les élèves de l’enseignement supérieur [1].

DISPOSITIONS AYANT POUR OBJET DE PRÉVENIR ET DE RÉPRIMER LES INFRACTIONS SEXUELLES, LES ATTEINTES À LA DIGNITÉ DE LA PERSONNE HUMAINE ET DE PROTÉGER LES MINEURS VICTIMES
 [2].

Il est inséré, après l’article 255-16 du code pénal, une Section 3 bis - Du bizutage :

  • Article 225-16-1.- Hors les cas de violences, de menaces ou d’atteintes sexuelles, le fait pour une personne d’amener autrui, contre son gré ou non, à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants lors de manifestations ou de réunions liées aux milieux scolaire et socio-éducatif est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 Euros d’amende.
  • Article 225-16-2.- L’infraction définie à l’article 225-16-1 est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 Euros d’amende lorsqu’elle est commise sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur.
  • Article 225-16-3.- Les personnes morales peuvent être déclarées responsables, pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions commises lors de manifestations ou de réunions liées aux milieux scolaire et socio-éducatif prévues par les articles 225-16-1 et 225-16-2.

Commentaires :

Il reste, dans l’esprit de beaucoup, une certaine ambiguïté quant à la portée exacte de cette loi. Il est donc utile d’en rappeler certains aspects.

  1. Ce ne sont pas les débordements du bizutage qui sont ici interdits, mais bien le bizutage lui-même. Le législateur a considéré qu’il n’y avait pas de bizutage " gentil " car le principe de rites d’initiation est contestable en dégradant le plus jeune, le plus faible, l’inférieur ou le subordonné.
  2. Le libre consentement des participants ne suffit pas à absoudre les responsables.
  3. La loi ne formule pas un jugement moral mais précise ce qui est permis ou pas.
  4. La loi ne condamne pas toutes les manifestations de rentrée. Elle laisse une large place à de multiples accueils conviviaux et respectueux.

_________________________________

Le 30 mars 1992, la Commisson consultative des droits de l’Homme avait publié un avis concernant les outrances auxquelles conduisent les pratiques de “bizutage” dans les lycées, grandes écoles et universités.

En voici de très larges extraits :

Les pratiques dites de “bizutage”, présentées comme des rites initiatiques, se caractérisent aujourd’hui d’une part par une généralisation et d’autre part par des outrances.

Ces pratiques autrefois localisées (Arts et Métiers, facultés de médecine, essentiellement) tendent à se généraliser dans les classes préparatoires des lycées, les instituts, Grandes écoles, facultés, établissements dépendant aussi bien du ministère de l’Education nationale ou d’autres ministères, que de l’enseignement privé.

I1 apparaît à la lumière des enquêtes de presse et des témoignages recueillis au cours des travaux préparatoires de la Commission, que ces pratiques aboutissent trop souvent à des excès qui constituent des traitements dégradants au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Ces actes peuvent aller jusqu’à des coups et blessures et attentats aux moeurs, réprimés par le Code pénal.

Force est de constater que ces pratiques sont couvertes par une sorte de "loi du silence", tant de la part des victimes et de leurs familles qui redoutent des représailles si elles les dénoncent, que de la part de certains enseignants qui préfèrent les ignorer, voire même de la part de la direction de ces établissements.

C’est pourquoi, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, soucieuse de la formation des jeunes au respect de la dignité et des droits de l’homme, a cru devoir se saisir de ce problème.

La Commission nationale consultative des droits de l’homme :

1. Considère que ce problème relève moins de la règlementation que de l’évolution des mentalités. Il convient dès lors que les responsables des établissements d’enseignement favorisent l’adaptation des traditions à des manifestations exemptes de violences physiques et psychologiques.

2. Souligne la nécessité de rappeler aux auteurs de ces actes et à ceux qui les protègent, les responsabilités civiles et pénales qu’ils encourent, et qui pourraient se traduire, pour les uns et les autres, par des poursuites devant les tribunaux correctionnels et même les cours d’assises.

3. Constate que ces pratiques impliquent une conception dangereuse de la société dans laquelle des jeunes gens, qu’on entraine à subir ainsi des violences et à se plier à des traitements dégradants, risquent plus tard d’être tentés de les infliger à autrui, dans d’autres circonstances. [...]

En dépit des plaintes et de la loi, le « bizutage » dur se poursuivait encore en 2003

par Marie-Joëlle GROS [Libération, le 31 octobre 2003]

Décidément, le message ne passe pas auprès des « Gadz’arts ». Les élèves de l’Ecole nationale supérieure des arts et métiers (Ensam) ne se sentent absolument pas concernés par la loi de juin 1998 qui interdit le bizutage. « Quel bizutage ? Ça n’existe pas chez nous ! », tonne le délégué général de l’association des anciens élèves de l’Ensam (20 000 ingénieurs membres). Au bureau des élèves, on est un peu plus clairvoyants : « Ça ne s’appelle pas un bizutage mais la PTT : la "période de transmission des traditions". Et ça n’a rien à voir avec un bizutage. D’ailleurs, les gens sont volontaires. » Sauf que, cette année, comme tous les ans, « la transmission des traditions » a mal tourné : quatre élèves ont été mis à pied au centre de Cluny, où les Gadzarts ont une réputation de « fanatiques ». Et une enquête a été confiée au procureur d’Aix-en-Provence sur la « PTT » de cet autre site de l’Ensam, qui en compte huit en tout.

Moule. La « transmission des traditions » est aussi vieille que l’école (lire ci-contre). Elle prend la forme d’un « usinage » ­ la matière brute finira par épouser le moule ­ qui dure deux mois. C’est long. Deux mois pendant lesquels les élèves de première année sont contraints d’obéir à leurs aînés. Il ne s’agit pas d’épreuves bêtasses mais d’une série de rituels très sophistiqués. « L’originalité, c’est que les aînés exercent une pression psychologique qui utilise des techniques de manipulation mentale proches de celles des sectes », soutient le Comité national contre le bizutage, qui réunit des associations comme la Ligue des droits de l’homme et des syndicats de l’Education nationale.

Tout commence par la « prise en main ». Cette première étape de l’usinage consiste à « épuiser physiquement les nouveaux arrivants afin de les mettre dans un état de moindre résistance qui les conduira à accepter ensuite de faire n’importe quoi », poursuit le Comité national contre le bizutage. Les Gadz’arts ont leur langue, que les nouveaux doivent maîtriser. Réveillés la nuit, les « conscrits » recopient des heures durant des chants gadz’arts, dans un alphabet spécial, avec une épaisseur de mine qui varie selon les mots. Toute la nuit y passe. Le lendemain, les élèves sont épuisés en classe, certains tombent de leur chaise. A bout de nerfs, en octobre 2002, des enseignants des différents sites de l’Ensam se sont constitués en collectif. Et ne cessent de tirer la sonnette d’alarme.

« Banalité ». Les Gadz’arts s’en moquent. Ceux d’Aix-en-Provence ont écrit au procureur de la République pour lui démontrer la « banalité des faits » qu’on leur reproche. Mardi 23 septembre, un « monôme », sorte de marche très réglementée, a bien eu lieu dans la cour carrée de l’école. Les Gadz’arts avaient expliqué aux « conscrits » que s’ils traversaient la cour nus sous leur blouse, ils seraient immédiatement baptisés « Gadz’arts ». L’idée était d’éprouver leur « esprit critique » car tout le monde sait qu’on n’est baptisé Gadz’arts qu’après deux mois d’usinage : les raccourcis n’existent pas. Mais, déjà épuisés par vingt jours d’épreuves, les jeunes y ont cru. Ils ont traversé la cour, sans savoir que ce territoire leur était interdit. Pour « expier l’infraction », on leur a demandé de retirer leur blouse. Ils se sont retrouvés à poil dans la cour. Des parents ont réagi. Le procureur enquête. Ces démarches aboutissent rarement. D’ailleurs, le procureur d’Aix-en-Provence n’y voit pour l’instant « qu’un jeu entre camarades ».

Le directeur du centre de Cluny, un ancien des Mines, regarde ces méthodes avec consternation. Il a mis à pied quatre élèves cette année, et ne les réintégrera que s’ils acceptent de « jouer le jeu de la transparence ». Ce qui ne plaît pas à tous. L’an passé, quelqu’un a uriné dans le cartable des enfants du directeur, relate le Comité national contre le bizutage.

Mais, « avec l’ouverture sur l’Europe, les échanges entre pays, ces méthodes ne passent plus », dit un ancien de Cluny. Lui a été exclu par sa promo. Arrivé sur le site de Lille, la sanction « hors promo » tenait toujours : il n’a jamais pu participer à la vie associative de l’école. Ni s’inscrire sur le registre des anciens et profiter du réseau de l’école. « On peut très bien réussir sa vie professionnelle sans entrer dans leur moule, dit-il. L’important aujourd’hui, c’est l’ouverture d’esprit. »

Notes

[1Le document élaboré avec le soutien de : UNEF, UNL, FCPE, SNPDEN, sgen-CFDT, SNESup, SUP recherche, UNSA Education, CDEFI, CGE, CPU, LMDE, MAE, MGEN, est librement téléchargeable (1.1 Mo).

[2Extrait de la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs.

Lire également la circulaire officielle du ministère de l’Education nationale concernant le bizutage.


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