marche forcée vers “base élèves”


article de la rubrique Big Brother > lettres de réfractaires à base élèves
date de publication : lundi 3 novembre 2008
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Un directeur d’école maternelle de la Vienne menacé de sanction pour avoir refusé de « renseigner cette base ».

[Cette "lettre" a été très légèrement modifiée le 3 novembre,
après une première publication le 6 octobre 2008]

« Vous vous rendez compte monsieur, vos élèves ne sont pas immatriculés ! » C’est la phrase quelque peu incongrue prononcée par la personne chargée à l’inspection académique de la mise en œuvre de ma sanction annoncée. Celle-ci au demeurant très sympathique et sincère, essayait de me persuader d’entrer dans l’application informatique à caractère personnelle Base élèves pour mon bien et celui des élèves. Je crois ne pas m’être véritablement rendu compte avant cette phrase de l’ampleur de la pesanteur administrative de l’éducation nationale, du fait que l’on puisse (outre les problèmes d’éthique et de légalité douteuse sous-jacents à la mise en place de Base élèves), entrevoir cette base de données comme un plus pour le fonctionnement des écoles et surtout pour l’intérêt premier des élèves. Il y a un tel décalage entre les missions d’enseignant et de directeur, et cette rhétorique bureaucratique que ma première réaction a été l’hilarité.

Je suis directeur d’une petite école maternelle. Depuis octobre, j’ai rejoins le groupe des directeurs sanctionnés, puni pour ne pas avoir commencé la saisie de données sur les élèves de mon école et leurs parents. Je passe sans doute trop de temps en face d’enfants de 4 ans, ce qui m’éloigne des réalités du vrai monde de l’éducation, la hiérarchie, les services faits ou non faits, la gestion d’effectifs, les statistiques. Je suis encore un jeune enseignant, j’ai malheureusement toujours la candeur de croire que ma mission première de directeur est d’assurer le bon fonctionnement de l’école dans laquelle j’exerce en garantissant la concorde entre les différents acteurs liés à celle-ci.

Base élèves est depuis quelques mois, une priorité absolue pour l’inspection académique qui avance coûte que coûte sans perdre le temps d’un réel débat. Sur le chemin, elle prend acte des suppressions annoncées par le ministre et donne une marge de manœuvre à des directeurs volontairement sous-informés pour qu’ils renseignent le « minimum syndical », de quoi permettre le calcul du sésame, l’Identifiant National Elève.
L’administration observe aussi les réfractaires donner quitus au ministre de ces avancées significatives en oubliant simplement que le projet initial est éminemment contestable et que l’objet même d’une immatriculation des élèves devrait suffire à justifier la résistance. J’ai pour ma part pris conscience récemment que nous nous étions tous trompés de débat, peut-être depuis le début.
Si l’on observe aujourd’hui les champs obligatoires à renseigner, Base élèves peut paraître anodin, et il est compréhensible que la majorité des directeurs n’y voient pas une menace pour les élèves. La multiplication des missions nous incombant ne nous permet pas toujours malheureusement de raisonner sur le long terme, ce qui ici est pourtant essentiel. Lorsque tous les élèves seront intégrés dans le fichier, le piège se sera alors refermé. Base élèves deviendra un outil usuel comme un autre et les nombreuses attaques à venir contre l’école feront passer au second plan le débat sur celle-ci et les modifications qu’elle ne manquera pas de subir comme son aîné SCONET (fichier informatique en place dans les établissements du 2nd degré). Alors reviendront sans doute la prévention de la délinquance, les statistiques sur la nationalité des élèves, la nécessité de connaître les besoins éducatifs particuliers des élèves ...

Ma sanction, elle, est tombée depuis peu, un fax que je suis allé chercher à la mairie pendant la récréation et une lettre recommandée de trois lignes, symbole d’une communication rompue entre la base manutentionnaire et les hauteurs administratives, symbole également de la brutalité avec laquelle « on » se permet de traiter les directeurs qui portent pourtant sur leurs épaules le fonctionnement des écoles républicaines françaises. La manière d’intimider et de vouloir faire plier un fonctionnaire sur un aspect financier est également tellement infantilisante qu’elle discrédite aujourd’hui l’administration qui l’applique.
Pour ma part, je serai demain matin dans mon école avec les élèves, et par cela et quoi qu’il se passe dans les semaines à venir, je reste conscient du chemin à suivre. Ce n’est pourtant apparemment pas le bon…

Poitiers, le 3 novembre 2008

Christophe Brunault

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