Le procureur de la République à Nice, Éric de Montgolfier, est connu pour sa liberté de parole. Ses déclarations récentes sur la politique de la France à l’égard des Roms montrent que sa réputation n’est pas usurpée.
L’occasion de rappeler sa réaction, en mars dernier, aux critiques émises par le président du conseil général des Alpes-Maritimes à propos du maintien en liberté d’un homme mis en examen. Voici comment Éric de Montgolfier concluait sa réponse à Éric Ciotti : « Je vois évoquer l’opinion publique comme une source de justice : son émotion conduirait à justifier des mesures propres à la satisfaire. La justice populaire plutôt que la justice institutionnelle ? En attendant, le mieux, pour tous, est de respecter nos lois, même s’il est des périodes où la recherche des électeurs offre la tentation de s’en écarter. »
Montgolfier : « Avec les Roms, on brandit l’angoisse ! »
[Source : Bakchich, le 28 septembre 2010]
Le procureur de Nice, Éric de Montgolfier, donne son opinion de magistrat sur la politique de la France à l’égard des Roms.
« Je ne me sens pas tenu de m’associer à la guerre contre les Roms. Dans la loi et la Constitution, maintes formules prohibent les discriminations. Donc, ma réponse, quand on me parle de ce “problème”, est : « ne comptez pas sur moi ».
« Et si on veut avoir une politique en matière d’occupation illégale de terrains appartenant à des tiers, très bien, mais qu’on l’applique sans distinction. Dans les Alpes-Maritimes, les objectifs du schéma départemental d’accueil des gens du voyage n’ont été atteints qu’à 13%, et le magistrat que je suis s’interroge : dois-je poursuivre des gens qui s’installent, quand d’autres n’ont pas rempli leurs obligations d’accueil ? C’est de la corruption intellectuelle, de ne voir qu’un seul aspect d’une question. La sécurité a toujours été un terrain propice, pour les politiques, dans ce pays. On brandit l’angoisse… Là, on a collé un macaron sur le front d’un certain nombre de gens, en disant : « Ils doivent partir ». Je ne pensais pas qu’on en viendrait à stigmatiser un groupe humain.
« Je crois beaucoup aux leçons de l’Histoire, qui doivent en principe nous permettre d’éviter de faire deux fois la même faute – et je ne pense pas qu’il puisse y avoir de politique sans culture. Dans le cas présent, au lieu de s’extraire des fantasmes, on dit au peuple : “Dis-moi où sont tes peurs que je t’y mène.” On s’appuie sur ce qu’il y a de moins plaisant, dans la société française, pour exacerber ces peurs. Aujourd’hui cela vise les Roumains – et demain, qui ? »
Propos recueillis par Sébastien Fontenelle
En janvier dernier, un jeune homme de 20 ans, soupçonné d’avoir participé au saccage de plusieurs trains à Nice, a été mis en examen pour « dégradations volontaires en réunion », mais laissé en liberté sous contrôle judiciaire.
Éric Ciotti, président du conseil général et député des Alpes-Maritimes, n’a pas laissé passer l’occasion de réagir devant cette « non-incarcération » d’un suspect :
« Il n’est pas dans mes habitudes de réagir à une décision de justice mais je ne peux qu’exprimer ma stupéfaction et ma colère devant la non-incarcération de l’auteur présumé du saccage » déclare le parlementaire.
« Ce sont des faits très graves ayant engendré des centaines de milliers d’euros de dégâts, des dizaines de milliers d’usagers ont été pénalisés et la police à la laquelle je rends hommage a fait un travail remarquable d’investigation. Je peux mesurer la lassitude qui gagne les policiers qui mettent régulièrement leur vie en danger pour arrêter des malfaiteurs face à une telle attitude et notre pays ne pourra s’épargner un grand débat sur la réforme de la procédure pénale » conclut Éric Ciotti.
Eric de Montgolfier a rapidement répondu à Eric Ciotti en faisant parvenir le communiqué suivant au journal Nice-Matin qui l’a publié le 7 mars 2010 [1] :
« Avec stupéfaction, mais sans colère - il paraît qu’elle est mauvaise conseillère - j’ai pris connaissance de la réaction, qu’au mépris de la loi et du principe de séparation des pouvoirs, a cru pouvoir publier M. Ciotti, élu et faiseur de lois qui plus est. Il me faut donc rappeler, une fois de plus que, dans notre droit, seul vecteur permanent de l’action de la justice, la liberté est le principe et la détention provisoire l’exception (...) À ce titre, j’ai récemment requis le placement sous contrôle judiciaire de fonctionnaires de police accusés de viol dans le cadre de leurs fonctions ; la décision prise en ce sens n’a d’ailleurs pas appelé de commentaires de M. Ciotti. Il faut en déduire que les approches pourraient être différentes d’un dossier à l’autre, car je doute que l’on puisse accorder plus d’intérêt aux objets, des trains d’une part, qu’à des personnes, la victime d’un viol d’autre part.
« Ce parlementaire croit pouvoir justifier également ses critiques par la lassitude des enquêteurs mal récompensés de leur travail par la liberté de l’auteur, encore qu’il ait été mis en examen dans une affaire où d’autres investigations sont nécessaires. C’est sans doute s’égarer tant sur leur conscience professionnelle qui ne doit rechercher de rémunération que dans le travail accompli, que sur les règles du code de procédure pénale qu’il appartient au législateur de modifier s’il ne les trouve pas à son goût.
« Enfin, je vois évoquer l’opinion publique comme une source de justice : son émotion conduirait à justifier des mesures propres à la satisfaire. La justice populaire plutôt que la justice institutionnelle ? En attendant, le mieux, pour tous, est de respecter nos lois, même s’il est des périodes où la recherche des électeurs offre la tentation de s’en écarter. »